26/09/2025
Comment traverse-t'on le pays des deuils multiples ?
Aujourd'hui j'ai envie de venir déposer ici un témoignage personnel. Une apartée dans ma série sur l'anxiété. Un partage qui fera peut-être écho à d'autres. Une façon de penser/panser les plaies. Les vôtres, les miennes.
J'ai vécu beaucoup de pertes ces derniers années. Une mère, un conjoint, un père pour mon enfant, un cousin, un parrain, un grand-père, une nounou d'enfance... Des piliers relationnels qui ont quittés ce monde pour de bon.
J'ai aussi perdu des personnes qui ont été des repères relationnels pendant longtemps et qui, maintenant, continuent leurs chemins dans d'autres paysages que le mien.
Des projets familiaux, des desirs d'enfants, des projets de vie qui ont été balayés et qui n'auront peut-être jamais lieu.
Ce n’est pas "juste" une série d’événements douloureux ; c’est comme si tout le tissage relationnel dans lequel j’étais insérée, s’était défait. Comme si tout mon paysage, mes projets de vie, mon identité, s'étaient défaits.
Les liens, les repères, les présences, les projets, qui nourrissaient mon être se sont effondrés les uns après les autres. Et à chaque perte, toutes les autres résonnent, comme des échos.
On croit parfois qu’un deuil, c’est « faire avec une absence ». C'est vrai bien sûr mais, dans les deuils multiples, c’est tout l’horizon qui change. C’est un pays de deuils. On y marche avec l’impression que tout est familier et pourtant étranger. On avance sur une terre aride où plus rien ne semble pouvoir pousser. On se retrouve face à la ruine, face à une sécheresse tellement grande, que la vie elle-même semble suspendue, impossible dans de telles conditions. C’est terriblement long et désespérant parfois.
Et pourtant, comme dans le désert, la terre garde des graines invisibles. On ne les voit pas, on ne les sent pas, on les devine parfois. Mais elles sont là, en attente. Quand l’eau reviendra, elles germeront. Ce savoir — qu’il y a encore des graines — est fragile et essentiel.
Dans ce pays des deuils, il y a aussi une faim relationnelle. Le vide est si grand qu’on peut être tenté de se tourner vers des liens qui ne nourrissent pas vraiment, comme on boirait de l’eau salée parce qu'on est assoifé. On peut aussi être tenté de maintenir des liens qui ne nous font pas vraiment du bien. Parce qu'on a peur de perdre encore.
Mais paradoxalement, cette traversée m’a appris autre chose : je ne peux plus, je ne veux plus, m’insérer dans des liens où je ne suis pas entendue, reconnue, accueillie. Là où je suis jugée, bousculée, critiquée. Là où on cherche à me faire adopter des choix, des attitudes, des croyances, qui ne sont pas les miennes. La vie est trop courte et trop précieuse pour laisser les autres définir qui nous sommes et quel est le bon chemin pour nous.
Je me suis retrouvée contrainte à faire ce tri radical. Aujourd’hui, je ne peux plus accepter des liens qui ne me reconnaissent pas réellement, qui ne me soutiennent pas là où je suis. C'est une question de dignité et de sens que je donne à ma vie.
Même si je dois me retrouver avec une poignée de personnes sur qui je peux compter, ce qui a été le cas, c’est cela qui me tient debout. Ces liens-là changent tout.
Ce tri a un coût : j’ai perdu encore d’autres liens, parfois choisis par moi-même, parce que je ne pouvais plus accepter ce qui n'était pas acceptable pour moi. Ces personnes ont eu une place importante dans ma vie pendant longtemps. Elles ont été des repères. Et ces pertes aussi sont des deuils. Je suis encore en train de les digérer. On est parfois surpris des répercussions d'un deuil sur nos vies. De la façon dont les pertes peuvent entrainer d'autres pertes. Même quand on se croyait dans un tissu social suffisamment solide.
Tout cela laisse des cicatrices. Elles ne disparaissent pas vraiment. Parfois elles font mal, parfois elles sont juste là. Même quand les gens sont encore vivants, quand les liens se brisent, c’est aussi un deuil.
Ce pays des deuils, c’est ça pour moi :
– la perte d’un tissage relationnel ;
- un changement radical d'horizon ;
– l’écho des pertes qui se renvoient les unes aux autres ;
– la marche dans une terre aride où pourtant des graines existent encore ;
– la faim relationnelle et le choix conscient de ne plus boire d’ "eau salée" ;
– la découverte que quelques liens nourrissants valent plus que beaucoup de liens tièdes ou inadéquats ;
- faire avec le sentiment de solitude ;
– et la conscience que, même dans ce désert, je suis en train de me redéfinir.
La sortie de ce pays des deuils multiples c'est pour moi de savoir accepter le passé et de se construire un nouvel avenir.
- retisser de nouveaux liens ;
- s'insérer dans de nouveaux réseaux ;
- construire sur de nouvelles bases ;
- redessiner un nouveaux paysage, un nouvel horizon ;
- prendre soin de soi et de ceux qui restent.
- veiller à être aligné sur les vérités que nous avons découvertes.
Chacun fait au mieux, suit son propre chemin, avec les cartes qu'il a en main.
En ce qui me concerne, on pourrait dire que c’est un processus de réajustement identitaire et relationnel. Déjà bien entamé mais toujours en cours, car je pense que cela va encore s'inscrire dans un temps long. Après une série de chocs et de pertes, j'ai redéfini mes frontières, mes besoins et mon discernement relationnel. Je me suis redéfini moi, aussi, et mes priorités.
Ceci est un chemin parmi tant d'autres. Et c'est le mien. Il n'y en pas un qui vaut mieux qu'un autre. Un qui soit le bon et l'autre non.
L'important pour moi aujourd'hui, c'est de vivre ma propre vie, selon mes propres choix. De proposer au monde ma singularité et d'accepter que cela ne conviendra pas à tous. Voilà où j'ai mis ma priorité. Pour moi-même mais aussi, pour ma fille. Pour qu'elle sache que ce chemin là est possible.
Quel est votre chemin ?