10/04/2025
À QUOI JE PENSE ?
À quoi je pense ? Je pense à tous ces massacres sur fond de pauvreté, voire de dénuement total, qui font partie du quotidien ¨ordinaire¨ sur tous les écrans du monde tandis que certaines et certains se pavanent sur toutes les ¨Fashion weeks¨ de notre Occident. Certes, tout comme vous, je ne peux rien y faire, mais j'ai honte collectivement et je ne peux m'empêcher de penser aussi qu'il y a environ un millénaire ¨quelqu'un¨ avait déjà tout compris. Alors... pour raviver la Flamme, je suis allé chercher un vieux texte rédigé il y a plus de quinze ans en raison de l'Essentiel qu'il met en évidence à travers toutes les cultures...
François d'Assise, ce chamane ignoré...
Lorsqu’on considère l’empreinte que François d’Assise a imprimée sur notre monde, on ne peut s’empêcher d’être étonné que celle-ci soit à ce point respectée et vénérée à travers toutes les cultures. En effet, l’intérêt que le ¨Poveretto¨ a suscité de tous temps et suscite encore dépasse de très loin le cadre du Christianisme. Son seul nom crée instantanément l’unanimité et rallie croyants et mystiques de toutes les fois. Les Musulmans eux-mêmes voient en lui ce qu’ils appellent un grand ¨soufi chrétien¨.
Si on observe le fait que toutes les religions peuvent reconnaître, d’une certaine manière, en François d’Assise l’un des leurs, on devrait cependant noter aussi qu’il existe une Tradition à la lumière de laquelle on ne semble pas l’avoir observé. Je parle de la très vaste culture chamanique répandue de multiples façons sous toutes les latitudes.
Cette constatation est, à mon sens, absolument surprenante car la première des caractéristiques du Petit Frère d’Assise est précisément son rapport étroit et privilégié avec toutes les forces et tous les règnes de la Nature. Son fameux ¨Cantique des Créatures¨, son œuvre sans nul doute la plus diffusée à travers le monde, est bien là pour nous en apporter la preuve indéniable.
Véritable hymne universel composé en remerciement à la Présence du Divin en toute chose, un tel cantique sait toucher instantanément le cœur des multitudes. Le ton de ses vers est si particulier et si rassembleur qu’on serait bien en peine d’y trouver un élément le rattachant à une pensée strictement chrétienne. Il pourrait au contraire être l’œuvre d’un chamane rendant grâce aux Puissances célestes et terrestres ainsi qu’aux quatre directions de l’horizon.
La position catholique romaine qui consiste à dire que la formulation d’un tel hymne est tout à fait ¨normale¨ et ¨à sa place¨ au sein du Christianisme ne me satisfait pas, quant à moi.
Bien que la foi chrétienne affirme haut et fort l’omniprésence du Divin, elle ne peut en effet s’empêcher, par le dualisme fondamental qui la caractérise, de placer le Créateur à l’extérieur de sa Création. Elle en fait une sorte de démiurge qui, un jour, décidera arbitrairement de mettre fin à son œuvre après avoir, d’un côté, placé les ¨bons¨ et, de l’autre, les ¨mauvais¨, sans la moindre considération, semble-t-il, pour ce qui n’est pas humain. Dans un tel système, la Nature et tout ce qui la constitue n’est en effet guère plus qu’un décor sans âme.
Cette vision manichéiste et, disons-le, très simpliste de l’ordre des choses entre fondamentalement en contradiction avec l’affirmation globale que l’on trouve de façon sous-jacente au cœur même du Cantique des Créatures… à savoir que tout ce qui est a été doté d’une conscience et doit donc être honoré individuellement en tant qu’acteur et témoin de la Présence divine universelle.
Lorsqu’on appelle frère, sœur et mère des éléments faisant en principe simplement partie du décor de la vie… on leur accorde en fait bel et bien une âme.
Qu’y a-t-il de plus chamanique qu’une telle approche de la vie ? Même si tout est ramené à l’unité de Dieu en tant que ¨Doux Seigneur¨, c’est pourtant sur les acteurs essentiels de la Création de Celui-ci que l’accent est mis. Ce ¨Doux Seigneur¨ de Francesco ne correspond-t-il pas étonnamment au ¨Grand Esprit¨ des chamanes ?
Y a-t-il également de comportement plus chamanique que celui du Petit Pauvre que l’on représente traditionnellement en train de sympathiser avec un loup ou d’attirer spontanément à lui des myriades d’oiseaux ?
Quand on accepte de s’attarder à ces éléments en ne les réduisant pas à de simples ¨détails¨ mais en les reconnaissant comme les éléments significatifs d’une démarche et d’un état d’esprit, il devient alors soudain évident que François d’Assise captait partout la manifestation du Céleste et ostensiblement dans l’animal. Cela signifie en d’autres termes qu’il accordait à celui-ci une conscience digne d’être respectée et aimée.
On se trouve là très loin du comportement classique des ¨bons Chrétiens¨ qui s’offusquent à la seule vue d’un chien dans une église, comme s’il s’agissait d’une souillure faite à leur lieu de culte.
On est bien proche, par contre, de celui du ¨prêtre-né¨ qu’est le véritable chamane éprouvant d’emblée un profond sentiment de fusion avec tous les degrés d’expression de la Vie.
Qu’on le reconnaisse enfin : honorer le Soleil, la Lune, la Terre, l’Eau, le Feu et l’Air avec un amour filial ou fraternel n’a rien qui soit particulièrement représentatif de l’ensemble du dogme chrétien. Il s’agit plutôt d’une démarche exprimant une sagesse universelle, celle qu’on retrouvait autrefois au centre des rituels dits ¨païens¨, c’est-à-dire, étymologiquement, provenant des campagnes. Il est question de la démarche d’un Sage libre de toute appartenance, qui a déjà réussi dans sa propre ¨quête de vision¨ et qui perçoit par conséquent ce qu’il y a de plus sacré au sein du grand puzzle de la Création.
On parle ici de l’affirmation d’un homme qui a compris du dedans l’Unité de toute chose et qui s’est haussé au-delà de la foi dans laquelle il est né. Il s’agit enfin de l’attitude d’un Maître de Sagesse qui, derrière le masque et la robe transitoires d’un moine, est parvenu à marier en lui les perceptions monothéiste et panthéiste de l’univers.
À bien y réfléchir, d’ailleurs, pourquoi ces deux perceptions seraient-elles en opposition ? Si le Divin est omniprésent, pourquoi ne chercherait-Il pas à nous parler par l’intermédiaire de l’astre qui éclaire nos jours, par celui d’une constellation qui scintille dans la nuit, d’une eau qui nous lave le visage ou encore d’une mésange qui vient se poser sur le rebord d’une fenêtre ?
Que tout, dans la Nature, traduise la Source, hérite d’une parcelle de son Essence, soit doté de sa propre intelligence et de sa propre sensibilité pour partager avec nous son contact avec l’Ultime Réalité me paraît, quant à moi, on ne peut plus cohérent.
Lorsque François d’Assise songe à remercier la Terre-Mère ou son Frère le Feu, il nous montre à quel point il communiait avec la grande Âme du Monde, celle qui englobe une multitude d’autres âmes, d’autres formes de conscience comparables à des pierres nous traçant le chemin de l’Illumination.
Peut-être est-ce tout cela qui n’a pas échappé à la ¨Sainte Inquisition¨ lorsque, deux ou trois siècles après le départ de Francesco, elle fit monter quelques Franciscains sur le bûcher… Curieusement, ¨on¨ passe cela silence.
Ce qui est frappant dès qu’on prend tant soit peu de recul par rapport à la trajectoire de son âme, je veux dire en extrayant celle-ci du conditionnement totalitariste chrétien de son temps et en dépit de son vœu d’obéissance à l’Église, c’est de voir à quel point elle est demeurée libre.
Sa vraie liberté, c’était sa capacité d’immersion dans l’Océan de la Vie, une capacité qui disait l’intensité de sa communion avec toutes les manifestations du Divin à travers l’Infini.
Que François ait été à sa façon un chamane qui s’ignorait me semble ne faire aucun doute, quand bien même cela choquerait certaines habitudes de pensée.
Une grande âme n’est, en vérité, la propriété d’aucune Tradition définitive et figée. Elle s’exprime certes avec la culture de son époque, elle en subit souvent les trahisons, mais demeure inclassable pour qui sait percevoir sa réelle dimension.
Elle manifeste une ¨prêtrise naturelle et spontanée¨ dans laquelle le Un et le Multiple s’accueillent mutuellement.
C’est ainsi qu’en affirmant son amour pour un Dieu unique, elle ne craint pas de s’adresser aux Forces de la Nature afin d’obtenir leur concours… et d’entonner ainsi toujours plus haut le chant de l’Univers.
Après tout, le Christ lui-même ne répugnait pas à calmer les tempêtes sur le lac de Tibériade… un pouvoir réputé typiquement chamanique !
© Daniel Meurois
Illustration : gravure ancienne d'origine inconnue.