24/06/2025
MEDECINE ESTHETIQUE : MEDECINE DE TOUTES LES DERIVES. Par Dr Yacine TERKMANE
Président du Conseil Régional de l’Ordre des médecins de Blida
Le 24 juin 2025
Depuis quelques années, face à une demande croissante en soins esthétiques, la médecine esthétique attire de nombreux médecins, notamment les jeunes généralistes, car plus lucrative et moins contraignante que la médecine conventionnelle. La médecine esthétique connaît aujourd’hui une expansion fulgurante. Mais derrière cette popularité se cache une réalité préoccupante celle d’une médecine souvent pratiquée en marge de toute éthique et des formations en dehors de tout cadre légal
Quand la médecine esthétique devient commerce et médecine spectacle
La plus flagrante dérive est la dérive commerciale et la marchandisation de l’acte médical. Nous assistons au quotidien sur les réseaux sociaux à des offres ou l’acte médical est soumis aux lois du marché, du marketing et de la concurrence, avec rabais, ristournes, pack promotionnels. Le discours médical cède la place à un langage commercial : on ne soigne plus, on vend, on solde et on brade, le patient devient un simple client. Certains médecins s’avilissent, devenant des agents commerciaux faisant de la publicité pour des équipements, des produits de médecine esthétique voire pour des cosmétiques contre l’acceptation de quelques royalties
Autre dérive, la médecine esthétique s’exhibe sans retenue. Des médecins esthétiques exhibent leurs ‘’talents’’ sur les réseaux sociaux par des images chocs, vidéos d’injections en direct, de botox, comblement de rides, épilations laser et se targuent de leurs ‘’succès’’ montrant des images avant/après, souvent téléchargées sur internet. Les patients dans cette relation asymétrique sont mis à contribution malgré eux par des commentaires complaisants, élogieux et flatteurs. La pudeur, l’humilité, et le secret médical sont balayés au profit d’une course à la visibilité, aux likes et aux followers. Loin de toute démarche scientifique, la médecine esthétique devient une médecine spectacle, dangereusement menacée par la notoriété et la célébrité numérique
Ce comportement est en violation flagrante et ostentatoire avec les principes éthiques et déontologiques et les textes règlementaires qui régissent l’exercice médical : loi 18/11 du 2 juillet 2018 relative à la santé et le décret 92/276 du 6 juillet 1992 portant code déontologie médicale. Ces dérives nuisent aux patients et mettent en cause la respectabilité du corps médical et la crédibilité de l’exercice médical.
Une formation souvent hors cadre légal.
Autre problème trop souvent ignoré, celui de la formation des médecins esthétiques. La médecine esthétique est une formation complémentaire qui nécessite, pour être pratiquée en toute sécurité pour les patients, une formation académique universitaire diplômante. Pour ne citer que la France, la règlementation vient d’être significativement renforcée par l’instauration d’un DIU de médecine esthétique, ouvert depuis la rentrée 2024, et qui sera la seule voie légale reconnue par l’Ordre des médecins, pour l’exercice de la médecine esthétique par les médecins généralistes. En Algérie, la grande majorité des médecins généralistes pratiquant la médecine esthétique ont acquis leur ‘’formation’’ dans des journées, séminaires et colloques, nationaux ou internationaux, orchestrés par des associations ou entités non agréées légalement ou des fournisseurs de matériels et d’équipements de médecine esthétique, sans aucun encadrement académique réglementaire. Ces formations express, le temps d’une journée ou d’un weekend dans des endroits inappropriés, notamment pour les gestes invasifs, le plus souvent dans des hôtels, souvent onéreuses, aboutissent à des formations sanctionnées par une attestation de participation sans aucune validation scientifique ni reconnaissance par les Conseils de l’Ordre des médecins.
Conclusion : Vigilance et régulation
Aujourd’hui, la médecine esthétique glisse dangereusement vers une logique commerciale, loin de ses fondements éthiques Face à cette situation alarmante, il est urgent que les instances ordinales et les pouvoirs publics s’emparent de ce phénomène.
L’Ordre des médecins doit rappeler à tous que la médecine, même esthétique, n’est ni une marchandise, ni un spectacle, qu’elle doit être exercée dans le respect des principes éthiques et déontologiques et le respect des textes règlementaires. Il doit sanctionner les violations aux textes règlementaires
Les pouvoirs publics doivent réguler la formation par l’instauration d’une formation académique universitaire sanctionnée par un DU ou DIU de médecine esthétique ouvert aux médecins généraliste sous certaines conditions telle qu' après une durée de 5 à 10 ans d’exercice exclusif de la médecine générale.