14/08/2022
. C’était à Saucats, le20 août. Quatre-vingt deux personnes ont péri la lande a progressivement reculé sur les bords du Bassin, fermée par la barrière continue de la forêt, bien qu’ici, comme ailleurs, il restât des propriétaires de pins qui faisaient résiner. Mais on en parlait peu, bien moins que du Bassin où l’huître monopolisait toutes les attentions. C’était l’époque où l’on éclaircissait les jeunes plantations pour donner aux pins le soleil qui faisait perler la résine sur la care. Les arbres sacrifiés étaient utilisés comme barrières ou repères sur le Bassin. Nous avions tout : la forêt de lumière, la résine, les sous-produits du résinage et les incontournables « pignots », si particuliers au Bassin. Il y a longtemps que les tchancats (les bergers sur échasses) avaient disparu. Les résiniers ne vont pas tarder à leur tour à déserter la forêt en raison de la guerre de 1914-18, qui a fait des ravages dans leurs rangs et des Portugais qui ont raflé le commerce de la résine, après leur révolution des œillets, pour reconstituer leurs fonds. L’administration réserve les incendies aux pompiers. Il n’y a plus de contre-feux.
Objet jusqu’à nos jours de toutes les passions des anciens habitants et des curiosités des nouveaux, la forêt usagère subsiste en ses deux communes de la Teste et Gujan depuis plus de six siècles. Ne touche pas à mon bien, disent les anciens. C’était au milieu des paduens, (terrains libres à la pâture) une forêt concédée par le captal à ses sujets. Chaque habitant devenait propriétaire de la forêt toute entière avec le droit d’y prélever gratuitement le bois de chauffage ou le bois à construire. Sans divisions ? Pas tout à fait : ceux qui avaient pris sur eux d’en cueillir le fruit, c'est-à-dire la résine, sont devenus les « ayant pins », seuls administrateurs d’une forêt parfois oubliée par ceux-là même qui y « avaient droit » un temps vendu en partie par les communes afin que les nouveaux venus (les «estrangeys ») puissent s’installer au bord de l’eau. Même les nouveaux venus se sont passionnés pour la forêt usagère. Pensez donc : un privilège qui a survécu à la révolution ! La multiplication des articles et ouvrages qui en traitent en sont la preuve.
Ce sont les pins, ces « oubliés», qui sont au cœur des derniers grands élans de solidarité : commune par commune, hameau après hameau. La cause ? Les incendies de forêt ? Il y en eut beaucoup : les escarbilles des locomotives, la foudre, les culs de bouteille, le mégot jeté par la fenêtre de la voiture…Comme pour la chasse du dernier loup des landes qui a mobilisé en 1905 les populations de Biscarosse, Sabres, Pissos, Labouheyre, Mios, Le Teich, La Teste pour le cerner et l’acculer au bord du lac de Cazaux où il fut tué , les incendies rendaient nécessaire l’appel aux habitants. Une colonne noire à l’horizon, le tocsin qui égrenait ses notes sinistres et la mobilisation commençait : le camion passait : « aou huc ». Les hommes embarquaient dans le camion, sans distinction d’âge ou de fonction, munis de pelles, de haches, de tout ce qui pouvait servir à combatte le feu. Ceux qui n’avaient rien trouveraient bien un fouail sur place (une branche de pins encore garnie d’aiguilles vertes). Le plus terrible fut celui de 1949. On avait fait appel à l’armée. Un tourbillon a fait le tour d’un groupe de combattants, les étouffant avant de les brûler dans l’incendie. Trois mille hectares de forêts, une vingtaine de maisons, soixante granges furent détruites. Du bétail perdu. Bordeaux, au ciel obscurci, regardait vers l’ouest, espérant une fin prochaine des lueurs qui stagnaient au bas de l’horizon. L’incendie vaincu il fallait encore rester sur place, surveiller les rougeoiements de la tourbe qui brûlait lentement sous le sable.
Et les sauterelles, parles-moi des sauterelles. Je crois entendre la demande d’un enfant à la recherche d’une histoire. Une histoire orientale. On aime l’insolite sur les bords du Bassin. C’était l’année d’après les grands incendies, en 1950. La molinie avait envahi la lande calcinée. Il y a toujours eu des criquets dans la lande, qui s’amputaient de la cuisse quand on leur tenait la patte. Mais autant que cette année là, jamais. Venaient-ils du Maroc comme ces sables du désert qu’on voit parfois se déposer sur les voitures? Ont-ils proliféré dans l’ « aouguitche » (la molinie) qui ne fut jamais aussi abondante que sur les cendres de la forêt ? Toujours est-il que de gros nuages cuivrés couvraient le ciel à Bordeaux comme à Arcachon, sur le Bassin comme sur toute la lande. Ils ne se défaisaient pas sur le Bassin : il n’y avait plus de champs de maïs depuis longtemps mais àMios, à Salles, là où restaient des champs, quand elles arrivaient tout le monde sortait taper sur des casseroles, des plaques de tôle, tout ce qui faisait du bruit selon la vieille méthode arabe. Tout ce bruit et les you-you des femmes ne semblaient pas les inquiéter. Quand le nuage fondait sur un champ il était nettoyé en peu de temps. L’hiver les a endormis, ou tués. Au printemps suivant, en 1951, les larves s’amoncelèrent dans la lande. D’où sortaient- elles ? De la terre sans doute. De l’enfer sûrement. Elles grouillaient par couches superposées. Il fallait faire quelque chose. Alors nous sommes partis, mon grand-père et moi rejoindre les gens du hameau pour creuser des tranchées où tombaient les premiers rangs tandis que les suivantes, passant sur leurs corps allaient plus loin où nous creusions d’autres tranchées ; nous y mettions le feu, l’une après l’autre, jusqu’à extinction des jeunes aptères. Les criquets ne sont jamais revenus.
Leroy-Ladurie écrit dans Histoire du climat depuis l'an mil qu'il y a eu des criquets après les très fortes chaleurs de 1718-1720 (7oo morts) , canicule qui a ait plus de mors due celle de 1660 (500 mort)...