02/07/2025
Les enseignements de la Montagne ne se font pas toujours dans la douceur et l’extase comme on pourrait l’imaginer en voyant les photos. La marche itinérante en autonomie est parfois confrontante, voici comme promis un partage - un peu long - c’est ainsi qu’il s’est écrit...
C’était une de ces belles journées de juin où le soleil joue à cache-cache avec les nuages ce qui rend la marche plus légère. Curieusement le sac aussi semble moins lourd ! Je crapahute sans faire de longue pause, d’abord à pas feutrés dans le mélézin qui un jour dans le Queyras ma offert la branche qui me sert aujourd’hui de bâton. Et puis en traversant les alpages qui n’ont pas encore été broutés, je salue les marmottes dont le sifflement strident annonce ma présence à la ronde, impossible de passer inaperçue ! Le torrent cascade joyeusement, je le longe, m’arrête à la source, un brin de toilette, un coup d’œil sur la carte. Les lacs Shamen semblent proches, effectivement ils surgissent sans prévenir peu de temps après dans un paysage minéral presque métallique habité par les bouquetins. Quel accueil ! C’est l’heure du petit déjeuner que j’aime prendre après quelques heures de marche à jeun.
D’un col à l’autre, d’un versant sec à un autre enneigé je m’émerveille. Au bout de 3 jours de marche, ma conscience s'élargit, mes perceptions s'affinent, mon regard change.
Le ciel s’assombrit au dessus des crêtes, le tonnerre gronde au Nord, je scrute les alentours pour repérer un lieu de bivouac, j’hésite, me pose pour sentir si c’est raisonnable de continuer, négocie avec les esprits et puis j’y vais, portée par un élan que je connais, une force qui me pousse sans trop me laisser le choix. Mon âme d’aventurière jubile, c’est ainsi !
Arrivée sur la crête je me dirige vers l’Est, le paysage est grandiose. La peau de la Terre-Mer fait des vagues à perte de vue, le Ciel si proche est chargé de nuages en mouvement. Le sentier est ponctué de cordes dans les passages vertigineux, un chamois pointe ses cornes au détour d’un rocher, je souris aux quelques fleurs qui se nichent dans les aspérités du granit.
Premières gouttes de pluie et je scrute la pente à l’affût d’un spot pour me mettre à l’abri. Le vent souffle fort et me fait tituber sur ce fil entre 2 mondes, je descends un peu sur le flanc escarpé de la montagne pour me protéger et tombe sur un bout de terre à peu près plat au pied d’un bloc rocheux au profil rassurant. Sans traîner je monte le tarp en 5mn et me voilà au sec dans un lieu improbable au dessus des lacs Palasinaz à 2800m.
Le temps de m'installer et une accalmie m'invite à une petite cérémonie du thé sublimée par les biscuits achetés dans la petite épicerie de Busson qui a le même âge que son épicière : 70 ans ! Je me remémore son regard pétillant et ses mains tremblantes, une délicieuse rencontre.
A la tombée de la nuit tout est calme, je m’endors au creux du silence, bien fatiguée et encore imprégnée de ces ambiances d’altitude. Pourtant quelques heures plus t**d je me réveille brassée. Pourquoi cette inquiétude alors que tout est si tranquille à l'extérieur ? Je veille, jusqu’à ce que le vent se lève,, le tarp claque sous les rafales de plus en plus fortes, la pluie s'intensifie. Les mats commencent à se plier, je les tiens fermement, la tension monte avec l’orage qui se rapproche, le tonnerre, les éclairs, les éléments se déchaînent jusqu’à arracher les piquets un par un. En quelques secondes je me retrouve sans abri, je rassemble mes affaires à la hâte, mon couvre sac s’est envolé, pas le temps d'avoir peur, tout s'accélêre, il y a urgence ! C’est bientôt l’aube et j’ai repéré la veille un chemin tout proche pour redescendre vers les lacs.
Soulagement, le vent se dissipe bientôt, la pluie s’arrête, le ciel s’ouvre à nouveau. Je m’apaise, remercie. Dans un des lacs, le reflet vibrant de la lune. Je goûte le silence des hauteurs, encore plus mystérieux au moment où la Terre et le Ciel suspendent leur souffle pour donner naissance au soleil. Quel spectacle ! Une invitation à poursuivre le chemin des crêtes jusqu’au C***o Bussola, allez je laisse le sentier qui descend dans le vallon pour continuer l’ascension.
Sous les premiers rayons du soleil je marche, et à un moment donné je perds pied, un sentiment d'angoisse m'ébranle, contrecoup de l’expérience que je viens de vivre, une vague de panique me submerge et je me demande pourquoi je n’ai pas renoncé à mon projet pour aller trouver la tranquillité plus bas...Au-delà de ce chaos intérieur, je comprends le message et la résonance avec une situation que suis en train de vivre et qui me met dans une grande insécurité. Je me sens en errance, ça ne fait pas trop sens de rebrousser chemin mais je ne gravirai pas non plus les 20m qui me séparent du sommet. Symboliquement je poursuis la marche, l’aventurière dit STOP pour partir en quête d'un lieu-refuge et prendre soin.
La descente est longue et agitée, il me faut traverser les névés, me perdre encore un peu, tomber de fatigue, invoquer mes alliés qui sont toujours là en soutien, dans le visible et l’invisible. Au bout de quelques heures me voilà dans une belle prairie fleurie au bord du torrent sous l’ami mélèze qui m’offre son ombre rassurante. J’ai du mal à redescendre, je passe un coup de téléphone pour déposer des mots sur ce que j’ai vécu avant de m'endormir dans les bras de la Terre Mère.
✨ Impermanence – Humilité - Alignement ✨
Il m’a fallu un peu de temps pour me rassembler, intégrer l'expérience et à mon retour poser des actes, m’engager à respecter mon besoin de sécurité. J’ai pu le faire car la montagne m’a redressée, m’a donné la force et le courage dont j’avais besoin.
Immense Gratitude pour ce qu’il m’a été donné de vivre et prête pour la prochaine escapade !!!
Emmalita🪶
Val d'Ayas - juin 2025