
19/06/2025
La rue marcel Aymard et l’hôtel d’Espinay
( Texte : Michel Lecomte ) ©
Le patrimoine Loudunais est un trésor précieux, qui témoigne de l'histoire riche et variée de notre cité. Chaque rue, chaque chemin, vous mène vers une autre histoire.
La rue Marcel Aymard, s’appelait encore « rue de la porcherie » au début du XVIIe siècle, puis « rue sèche » au milieu de ce même siècle, quand elle fut assainie. Sa pente naturelle permettant l’écoulement naturel des eaux, lui a permis d’être une des toutes premières rue de Loudun à avoir des caniveaux et le tout-à-l'égout (fig.1). C’est en 1946 que le conseil municipal la transforme en « rue Marcel Aymard » en hommage au maire de Loudun de 1929 à 1943 (fig.2), qui avais obtenu pour sa ville, le statut de « ville ouverte » et évité les représailles pendant l’occupation allemande (fig.3). Elle était autrefois une des rues la plus chic de Loudun avec ses maisons de notables locaux. Dans « histoire des rues de Loudun » Sylvette NOYELLE et Sylviane ROHAUT, nous indiquent que « La portion de la ville, comprise entre les rues du Portail Chaussé et Marcel Aymard, concentre une densité exceptionnelle de demeures aristocratiques et bourgeoises. Construites entre le XVIe et le XIXe siècle, victimes du temps qui passe ou somptueusement restaurées, elles nous rappellent aujourd’hui l’histoire de quelques grandes familles qui dominèrent longtemps la destinée de la cité »
Dans les villes de province, les hôtels particuliers sont le reflet de l’économie local, dans des cités administratives comme Loudun, c’est la noblesse de robe qui construit des hôtels particuliers afin d’asseoir son statut social. Au Moyen-Âge, le terme hôtel désignait les résidences des grands seigneurs. Au 17e siècle, il inclut les habitations des riches bourgeois et des financiers. L’hôtel particulier désigne une imposante maison de ville, luxueuse, occupée par un unique propriétaire (et ses domestiques). Il n’y a pas de règles architecturales qui permettent d’englober tous les hôtels particuliers, ils sont le reflet des époques, des fortunes de leurs propriétaires et de la forme du terrain. Ils s’articulent généralement entre “cour et jardin”. L’habitation se situe au fond d’une cour, et les côtés accueillent les bâtiments de service, d’autres affichent leurs façades majestueuses le long des rues, dissimulant cours et jardins à la vue des curieux.
Au 18e siècle l’église St Pierre de Loudun, et parfois la grande chapelle du couvent des cordeliers quand l’église était en travaux, virent de nombreuses alliances scellées par de grandes familles du Loudunais, dont les hôtels particuliers s’alignaient autour de la rue sèche. Les Blondé de Méssémé, Montault des Isles, D’Espinay, Confex Lachambre et autres notables locaux, y ont célébrés moult mariages. Pour ces familles, le choix du conjoint étant parfois déterminant, car à cette époque le mariage était plus souvent une affaire d’intérêts que de sentiments. L’objectif étant le plus souvent de maintenir ou d’accroître le patrimoine familial. Ainsi les hôtels particuliers passaient de mains en mains au fil des alliances, mais pouvaient aussi être parfois vendus ou loués au gré des événements.
L’Hôtel d'Espinay, Imposant hôtel particulier situé au n° 17 de cette rue, a connu de nombreuses transformations au cours de son histoire (fig.4). Construit probablement au début du XVIIIe siècle, après être passé de main en main, puis modifié au milieu du XIX e siècle pour y accueillir les services et bureaux de la sous-préfecture, avant de devenir une polyclinique dans la première moitié du XXe siècle, au lendemain de la seconde guerre mondiale, il accueille « l’orphelinat du refuge » tenu par les sœurs hospitalières, qui sera finalement remplacé par un centre d’accueil pour personnes âgées, après avoir été longtemps à l’abandon, il est en cours de restauration et c’est un hôtel pour les voyageurs qui occupe une partie de ses locaux. Bref ! Comme le dit son actuel propriétaire, c'est un peu d’histoire, au cœur des Loudunais… Certains y sont venu faire leurs démarches administratives, d’autres y sont venu se soigner, il y a ceux qui y sont nés, puis ceux qui y ont grandi sans famille, et enfin ceux qui ont fini leur vie entre ses murs. Aujourd’hui en attendant sa restauration définitive, ce sont des voyageurs qui viennent y profiter d’un repos bien mérité et découvrir ce trésor de notre belle cité.
Pour entrer dans l’histoire de ce monument de la ville de Loudun, il faut se plonger dans « l’histoire des rues de Loudun » édité par la « Société historique du Pays de Loudunois » sur les recherches de Noyelle, Sylvette et Rohaut, Sylviane : auteurs, édité en 2001.
De la rue du Bourg-Joly à la place de la Boeuffeterie :
« Le XIXe siècle a profondément modifié l’aspect, voir l’organisation, des immeubles qui bordent cette portion de rue, au point qu’il est parfois difficile de retrouver l’emplacement de certaines maisons dont nous pouvons cependant retracer l’histoire. Les bâtiments de la maison de retraite, utilisés un temps pour abriter la sous-préfecture, n’échappent pas à cette situation générale, même si on y retrouve une portion épargnée des constructions du XVIIe siècle » (fig.5)
(Histoire des rues de Loudun - Noyelle, Sylvette et Rohaut, Sylviane)
De la maison de Catherine Chabrol a l’hôtel D’espinay :
« En 1776, Catherine Chabrol, v***e de Philippe Leclerc, écuyer, loua pour 6 ans à Mr Laurent David (adjudicataire général des fermes unies de France) demeurant à Paris, (une maison audit Loudun, appartenant à ladite Dame Leclerc, faisant l’un des coins du bout de la rue sèche, joignant une autre petite maison appartenant à ladite Dame Leclerc) née en 1695, la v***e Leclerc était alors une vieille dame. Elle était v***e depuis quarante-six ans d’un ancien garde du corps du régent Philippe D’Orléans. La maison d’angle louée au sieur David, était dans la famille Chabrol depuis un siècle. L’autre petite maison correspondait sans doute à la partie de l’hôtel actuel. Elle consistait en 1767, (En deux chambres basses, deux hautes, grenier, caves, petite cour ou est un puit) et venait de René Normandine (avocat aux sièges royaux de la ville de Loudun). Ce dernier en avait hérité de son père René (procureur du roi à Loudun). en 1791, l’hôtel comprenant (Cour, entrée, antichambre, salon, cuisine, buanderie, cour, écurie, jardin, serre bois, trois chambre à feu, cabinets et autres appartements) appartenait à Daniel Montault, administrateur du district et futur maire de la ville entre 1824 et 1829. Il passât ensuite par mariage à Claude Blondé de Méssémé, puis à Louis D’Espinay. En 1866 Mr et Mme D’Espinay, désirant se retirer dans leur propriété de la Tapotiére, vendirent leur hôtel au département pour y établir la sous-préfecture » (fig.6)
(Histoire des rues de Loudun - Noyelle, Sylvette et Rohaut, Sylviane)
De la sous-préfecture à la polyclinique :
Le 4 mars 1790 Le département de la Vienne est créé par lettres patentes du roi Louis XVI (fig.7), en même temps que les 82 autres départements originels. Il a pour chef-lieu Poitiers. La Constituante par le décret-loi du 28 pluviôse de l'an VIII (1800) redécoupe la France en 98 départements, eux-mêmes divisés en arrondissements, (entre 3 et 6). Le gouvernement était représenté par un préfet dans chaque département et le préfet par un sous-préfet dans chaque arrondissement. Loudun est chef-lieu de son district de 1790 à 1795, puis de son arrondissement de 1800 à 1926. En 1802, lors de la nomination des premiers préfets de France, c'est un Loudunais, Pierre Montault-Désilles qui devient premier préfet du département de Maine-et-Loire. Une telle rupture avec l'organisation de l'Ancien Régime entraîna rapidement des aménagements dans notre région. Le tout jeune département pris ses quartiers dans l’ancien monastère des cordeliers (actuel hôtel de ville) qui hébergea un temps la sous-préfecture avant son départ vers la rue Centrale (actuel rue Grand’cour). Le logement des sous-préfets semble avoir quelques fois posé des problèmes. Claude Martin, sous-préfet, décrit la situation de la sous-préfecture de Loudun en rapportant le texte d’une lettre d’architecte de l’époque :
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Loudun le 17 avril 1819
« Monsieur de Sous-Préfet de Loudun n’a point de logement, ses bureaux sont à loyer et le propriétaire prend, à la fin de cette année, le local des dits bureaux. Monsieur le Maire de Loudun propose d’acheter la maison de M. Cornay, qui paraît suffisante pour loger M. le Sous-Préfet et ses bureaux. En conséquence, l’un et l’autre nous ont invités d’en lever le plan. Le 1er étage fournit quatre appartements, ce qui paraît devoir suffire. L’établissement des bureaux et du cabinet de M. le sous-préfet est d’une dépense de deux milles francs, l’acquisition de la maison, non compris les frais d’acte, est de 10 500 francs. Fait au total douze mille cinq cent francs que coûtera le dit établissement qui se trouve au centre de la ville de Loudun, et que nous estimons n’être pas cher »
Par nous architecte
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Claude Martin nous indique que la maison de M. Cornay ( fig.8 ), qui se trouve dans l’actuelle rue Grand Cour est presque immédiatement investie par le représentant de l’État et ses services. En effet, en 1819, l'hôtel de la sous-préfecture était situé 15 rue centrale (à l'actuel angle de la rue Saint-Jean, de la rue de la Grand Cour, et de la rue du Collège). Mais l’occupation s’effectue sous forme d’une location, l’achat n’ayant finalement pas été réalisé malgré l’avis de l’architecte. L’immeuble en cause existe toujours et demeure la propriété des descendants de la famille de M. Cornay. En 1866 le département rachète l’hôtel d’Espinay, après quelques transformations (fig.9), dans la seconde moitié des années 1860 la sous-préfecture y installe définitivement ses locaux. Les bureaux de l’administration occuperont les bâtiments qui font l’angle de la rue Sèche et de la rue du Bourg Joly, (fig.10) dont la partie comprise entre la rue Sèche et la rue de l’Abreuvoir devient «rue de la Sous-Préfecture» (fig.11). Apres plus d’un siècle d’activité, La sous-préfecture de Loudun créée le 17 février 1800 est supprimée le 10 septembre 1926. Le décret-loi Poincaré fait disparaître Loudun de la liste des sous-préfectures. La ville n'est plus qu'un simple chef-lieu de canton qui, comme les autres cantons environnants est rattachés à l'arrondissement de Châtellerault.
De la polyclinique du Dr Chauvenet a l’orphelinat du refuge :
Rachetés en 1937 par le chirurgien André Chauvenet de Thouars, les anciens bâtiments désaffectés de la Sous-Préfecture, (fig.12) se transforme en une polyclinique chirurgicale (fig.13) très moderne pour l'époque, spécialisée dans la médecine de l’estomac et de l’intestin, qui fonctionnera en collaboration avec le radiologue André Colas de Loudun (fig.14). Un bâtiment en retour de l’ancien a été rajouté rue de la sous-préfecture, elle comprendra notamment un service de maternité. Pendant la seconde guerre mondiale, les Docteurs André Chauvenet et André Colas, médecins réputés, ont été aussi tous les deux de grandes figures de la Confrérie Notre-Dame, important réseau de renseignements de la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale. Arrêté tous les deux en janvier 1942, Chauvenet sera déporté à Buchenwald en Allemagne, il sera libéré et rapatrié en avril 1945, Colas lui aura plus de chance, interné à Fresnes, il sera rapidement libéré en juin 1942 (fig.15 & 16). Après la seconde guerre mondiale, la clinique continuera son activité jusqu’en novembre 1965 date de la dissolution de son activité. En 1966 le bâtiment devient la propriété de (l’hôpital Renaudot), l’activité de la clinique reprendra en juin 1967 sous la direction du Dr Jean Daraignez chirurgien Loudunais, et ce, jusqu’en 1995, date de sa fermeture définitive (fig.17).
De l’orphelinat du refuge à la maison de retraite :
En 1797, la municipalité de Loudun se voit attribuer par l'Etat l'ancien couvent de la Visitation construit en 1675. La municipalité installe un hospice dans les anciens bâtiments conventuels de l'ancien couvent, et en confie la direction aux Sœurs de la Présentation de La Bretèche de Tours (fig.18). Elles ouvrent par la suite une école de filles et un orphelinat. Annexe de l’hospice de Loudun fondé en 1870, et dirigé par les sœurs hospitalières, l’orphelinat du refuge est placé sous la surveillance de la commission de l’hospice. À la fin du XIXe siècle, Il reçoit des filles légitimes, orphelines ou délaissées de 5 à 10 ans, et les garde jusqu’à 18 ans, moyennant une pension annuelle de 150 francs- on y compte alors 13 places. En 1935 l'hospice devient "Hôpital Renaudot". En septembre 1936 des réfugiés espagnols républicains serons hébergés pendant une quinzaine de jours dans les bâtiments de l’hôtel d’Espinay. En 1966 les bâtiments de l’hôtel deviennent une annexe de l’hôpital Renaudot, ils comprendront entre autre (l’orphelinat du refuge), qui compte 30 places lorsqu’il est transféré rue de la sous-préfecture, et qui cessera son activité probablement en 1976 lors du départ des dernières sœurs hospitalières, (fig.16) ainsi qu’un centre d’accueil pour personnes âgées. La polyclinique et la maternité ont continué à fonctionner jusqu’en 1995.
De la maison de retraite à l’hôtel du Clos Albert :
En 1988, c'est une maison de retraite rénovée qui est inaugurée, le bâtiment bénéficiant d’une réfection de façade. La maison de retraite fermera ses portes en 2011, car un nouvel établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) permet de regrouper, sur un seul site, la maison de retraite de la rue Marcel-Aymard et la cure médicale, située au 2 e étage du bâtiment de l'ancien cloître de l'hôpital. En 2016 un hôtel (le clos Albert) sera aménagé rue de la sous-préfecture (fig.20 & 21).
Quant à l’hôtel d’Espinay, bien que remodelée au XXe siècle, au moment d’accueillir la sous-préfecture, cet hôtel particulier a conservé certains traits de son époque, dans la partie proche du carrefour des rues Marcel Aymard et de la Sous-Préfecture (fig.22). Sur la façade de la cour on peut voir encore les encadrements plats en relief, et la grille en fer forgé du XVIIIe siècle, qui borde le perron et son double escalier (fig.23). Sur la façade on peut apercevoir deux dates 1722- date probable de la construction de l’hôtel, et 1988- date d’aménagement de la maison de retraite (fig.24). Les travaux du XXe siècle ont fait disparaitre le balcon en fer forgé le long de la rue Marcel Aymard. À l’intérieur les appartements habillés de boiseries en chêne sculptées ont également totalement disparues. Seuls vestiges de son histoire l’escalier du vestibule et sa rampe en fer forgée ont résisté aux travaux des différentes époques (fig. 25 & 26).
Merci à Thierry Morin actuel propriétaire du lieu pour sa sympathie et son aide précieuse, et les membres du groupe Histoire et patrimoine du Pays Loudunais qui ont connu ce lieu et accepté de partagé leurs souvenirs (fig.27).
Sources : Société historique du Pays de Loudunois, Le Souvenir Français comité de Loudun, Archives départementales de la Vienne, Greffe du tribunal de commerce de Poitiers, Archives de l’hôpital Renaudot de Loudun, A la Croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou (Jean-Claude Raymond), Loudun histoire civile et religieuse A. L. Lerosey, centre de mémoire du Loudunais ( M. Jacques Sergent).