04/01/2023
👂À écouter sur France Inter 📻
« Alors voilà, en dix ans de médecine générale, je crois que j’ai bien pris 10 kg, 1 kg par année, et je crois même que je peux me souvenir de chacune des situations qui a occasionné la prise de ces kilos.
Il y a ce patient, qui souffrait d’un cancer, qui habitait juste à côté de chez moi, et que j’ai accompagné jusqu’à la fin, j’allais le voir, puis après je traversais la rue pour rentrer chez moi, je faisais la fête à la maison pendant que lui il s’étiolait.
Y’a toutes ces femmes qui viennent au cabinet médical aussi, qui subissent des violences conjugales, ou la violence masculine en général, on les aide, on fait de son mieux, évidemment quand on rentre le soir c’est plus facile de se jeter sur la bouffe que d’espérer un monde où les hommes arrêtent de taper, alors on grossit.
J’en vois des tas, des patients qui mangent leurs émotions, ou qui -je ne connais pas le terme psychanalytique- transfèrent leurs souffrances morales et leurs névroses vers la bouffe, comme un moyen d’apaiser ce qui gratte et crie très fort à l’intérieur.
Le sucre, le gras, le sentiment de satiété excessif, comme une ancre dans le ventre permettant d’immobiliser le corps au milieu de la mer d’un monde qui va trop vite et où tout est tempête et tonnerre, et où, finalement, le seul sentiment de contrôle et de joie est d’acheter ce qui nous fait plaisir temporairement même si ce n’est pas ce qui nous fait du bien.
De fait, y a des tas de raisons de grossir, il y a des tas de raisons que je me trouve gros dans la glace, mais on a aussi le droit d’être gros pour rien, parce que c’est comme ça. Y en a qui fument, qui se rongent les ongles, qui se perdent dans des relations sans lendemain, se jettent dans le sport à outrance, d’autres qui picolent ou qui se font sortir des plaques rouges d’eczéma à cause de trop d’inquiétudes, chacun fait comme il peut dans un monde pas facile, où les événements plus grands (BIEN PLUS GRANDS que nous) s’enchaînent sans nous laisser de répit.
Alors vous allez-vous dire : mais où il veut en venir Baptiste ?
C’est vrai, ça, simplement, où je veux en venir ? Je pense qu’on devrait fo**re la paix aux gens sur leur poids.
Une personne a grossi ?
Ne vous inquiétez pas, elle le sait, toute la société, le lui montre et le lui dit, avec les publicités à la TV, dans le métro, dans les magazines, elle n’a pas besoin de vous pour être tenue au courant de ce qu’elle NE PEUT pas ignorer.
De même : une personne a maigri ? Beaucoup maigri ?
Pas la peine de se réjouir non plus, ou de la féliciter, on ne sait pas ce que cet amaigrissement peut cacher, un problème de couple, un divorce, un décès, une grande souffrance, un grand malheur.
Foutons la paix aux gens avec leur poids, s’ils ont besoin d’un conseil, ils iront voir un médecin ou un diététicien, mais la démarche viendra d’eux-mêmes. Faire culpabiliser une personne sur son poids n’a jamais été productif, ça n’a jamais aidé à maigrir, et ce n’est pas moi qui le dit, ce sont de vrais chercheurs, avec de vraies études, dont je mettrai le lien ici.
Il est documenté scientifiquement que pratiquer la culpabilisation n’est pas efficace et entretient a contrario des comportements alimentaires personnels néfastes
On peut aider les gens en les écoutant, en apaisant, leur souffrance, en recueillant leurs paroles, et en écartant les facteurs négatifs qui les poussent à chercher dans l’alimentation le bonheur qui leur manque.
Mais on ne peut pas les aider et on ne les aide pas en étant sur leur dos.
Gros, pas gros, les gens sont beaux et surtout n’ont pas besoin de notre regard non sollicité sur leurs corps. »
Liens vers les études :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25212272
http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0070048
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21760636
Alors voilà, en dix ans de médecine générale, je crois que j’ai bien pris 10 kg, 1 kg par année, et je crois même que je peux me souvenir de chacune des situations qui a occasionné la prise de ces kilos.