RÉPAD Île-de-France

RÉPAD Île-de-France Présentation :
Le RÉPAD est un réseau de psychologues, psychanalystes et psychiatres intervenant à domicile ou recevant en cabinet. C'est aussi un lieu de formation et de supervision des praticiens. Sur rendez-vous.

Présentation du réseau:

Le RÉPAD est un réseau de psychologues, psychanalystes et psychiatres intervenant à domicile ou recevant en cabinet. C'est aussi un lieu de formation et de supervision des praticiens.
Sur rendez-vous.

Accueillir ou se rendre chez toute personne isolée traversant une épreuve, manifestant une angoisse, subissant des situations d'échecs qui se répètent, des personnes désirant tout simplement se confier sur ce qui fait souffrir et qui persiste. Il s’agit par nos interventions de lutter contre la souffrance et la solitude des sujets, quels que soient leur âge ou leurs moyens, n’ayant pas ou plus les ressources physiques ou psychologiques pour se rendre chez le psy.

Le contrôle ou la supervision des praticiens du RÉPAD sont indissociables à la formation des intervenants. Ils sont essentiels dans la mesure où ils permettent d'apporter un regard extérieur, l'articulation d'une autre clinique, de saisir les difficultés, de tous ordres, pouvant être rencontrées lors des consultations.

Au RÉPAD, bien que nous en reconnaissons l’importance, les diplômes universitaires de psychologue ou de psychiatre ne sont pas une caution indiquant que la position de clinicien est pleinement garantie.

Karim Sarroub


Numéro d'agrément préfectoral du 21/09/2003: W751253885

SANTÉ MENTALE : UN TIERS DES JEUNES PRÉSENTENT DES SIGNES DE TROUBLES ANXIEUX OU DÉPRESSIFSUne enquête inédite sur le lo...
12/10/2025

SANTÉ MENTALE : UN TIERS DES JEUNES PRÉSENTENT DES SIGNES DE TROUBLES ANXIEUX OU DÉPRESSIFS

Une enquête inédite sur le long terme de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale confirme les diagnostics antérieurs : la moitié seulement des 11-24 ans évaluent favorablement leur santé mentale.

Enquête après enquête, les alertes se multiplient sur le mal-être des jeunes. Avec un écho d’autant plus fort que la santé mentale a été érigée, en 2025, en grande cause nationale. Celle rendue publique vendredi 10 octobre se distingue par le nombre de participants : 17 000 jeunes de 11 à 24 ans – collégiens, lycéens et étudiants – ont pris part à l’étude Mentalo coordonnée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’université Paris Cité. Elle tranche aussi par sa méthode : ces jeunes volontaires ont été invités à répondre à un questionnaire non pas une fois mais à sept reprises en douze mois, via une application dédiée.

« L’objectif est d’évaluer qui, parmi les jeunes, va mal et pourquoi, mais aussi d’identifier, à travers un suivi longitudinal, les déterminants de la santé mentale, autrement dit, les facteurs de vulnérabilité ou, au contraire, de résilience », explique la professeure Karine Chevreul, qui dirige l’unité de recherche Eceve (évaluation et recherche en services et politiques en santé pour les populations vulnérables) sous la double tutelle de l’université Paris Cité et de l’Inserm.

C’est parce que ces informations sont « cruciales » pour développer des politiques de santé publique adaptées à ces tranches d’âge, souligne-t-elle encore, qu’elle espère impliquer, dans les années à venir, jusqu’à 50 000 jeunes. A ce stade, les chercheurs n’ont pas réalisé de publication scientifique fondée sur cette étude qui doit courir jusqu’en 2026, mais ils en ont dévoilé les premiers résultats à la presse, sur la base de 15 000 répondants.

IMPORTANCE DE LA SITUATION FAMILIALE

Le tableau général confirme les diagnostics antérieurs : si la moitié des 11-24 ans évaluent favorablement leur santé mentale, plus d’un tiers déclare des signes de détresse psychologique de type anxio-dépressif modéré à sévère. Parmi ces jeunes qui vont mal, les filles sont presque deux fois plus touchées que les garçons – une surreprésentation que l’on retrouve également dans les données publiées, ce même vendredi, par Santé publique France : les hospitalisations pour « geste auto-infligé » (tentative de su***de, scarifications, brûlures…) ont encore augmenté, en 2024, pour les jeunes filles et les jeunes femmes, selon le bilan annuel national de surveillance des conduites suicidaires.

Autre enseignement de Mentalo : la prégnance du sentiment de solitude décrit par 4 jeunes sur 10, et qui augmente avec l’âge. Au titre des vulnérabilités, cet isolement mais aussi une situation financière difficile comptent parmi les facteurs bien identifiés. A l’inverse, un climat familial stable, des activités culturelles et sportives s’imposent comme des éléments protecteurs. « Les facteurs personnels et sociaux, les rapports au sein du foyer, avec les parents, mais aussi la pression à la réussite – évoquée par 1 répondant sur 2 –, influencent très fortement le niveau de bien-être mental », insiste Karine Chevreul. Pour les jeunes qui déclarent une situation familiale mauvaise ou très mauvaise (1 sur 10), les signes de détresse psychologique sont multipliés par quatre comparativement à ceux déclarant évoluer dans une très bonne ambiance.

LIEN AVEC LE SOMMEIL

L’utilisation des écrans et ses conséquences sur la santé mentale font aussi partie des champs sur lesquels l’étude apporte un éclairage. Les données mises en exergue valent alarme : un quart des jeunes passent plus de cinq heures par jour sur les écrans, dont 9 % plus de sept heures, et, parmi ces derniers, 60 % ont un risque de détresse modérée à sévère. L’incidence sur le temps de sommeil et le lien entre sommeil et bien-être mental ont aussi été étudiés : les 62 % de jeunes qui sont rivés à leurs écrans après 22 heures (20 heures pour les collégiens) sont près de la moitié à déclarer ne pas aller bien, contre seulement 10 % chez ceux qui ne le font qu’occasionnellement.

« Corrélation n’est pas causalité », tiennent à rappeler les chercheurs. « Les jeunes qui consacrent le plus de temps aux écrans sont nombreux à déclarer ne pas aller bien sans que l’on puisse toutefois savoir si c’est l’usage excessif qui génère le mal-être ou si c’est parce que le mal-être est installé, et que le jeune est déjà replié sur lui, que le recours aux écrans est massif », nuance Karine Chevreul. Et de rappeler que le « mode d’utilisation », sans surprise, a son importance : « Regarder des vidéos au hasard, scroller en continu d’un contenu numérique à un autre a un tout autre impact que faire des recherches pour l’école, s’informer, regarder un film, communiquer avec des amis… »

Du flot de statistiques divulguées, on retiendra encore que 4 jeunes sur 10 déclarent une potentielle dépendance, 2 sur 10 pour les réseaux sociaux, sans clivage marqué entre filles et garçons. 1 sur 10 serait addict au p***o, un usage qui est, lui, nettement plus marqué chez les garçons (17 %, contre 3 % chez les filles) et qui s’accroît avec l’âge.

Reste que toutes ces difficultés sont difficilement mises en mots : un quart des jeunes concernés par ce mal-être disent ne jamais en parler.

Photo :

Une pédopsychiatre échange avec une jeune patiente, à l’hôpital Robert-Debré de Paris, le 2 mars 2021.
CHRISTOPHE ENA/AP

« LEURS PAROLES N'ONT JAMAIS AUCUN CRÉDIT » : l’impossible dialogue entre les patients en psychiatrie et les jugesENQUÊT...
12/10/2025

« LEURS PAROLES N'ONT JAMAIS AUCUN CRÉDIT » : l’impossible dialogue entre les patients en psychiatrie et les juges

ENQUÊTE | « La santé mentale sans consentement » (2/3). Depuis une loi de 2011, les juges contrôlent la régularité des mesures de soins psychiatriques imposées contre leur volonté à des malades. Les audiences, tenues au sein des hôpitaux, révèlent l’équilibre difficile entre protection des patients, défense de leurs droits et sécurité de la société.

M. S. est venu accompagné d’infirmiers en blouse blanche au rez-de-chaussée du bâtiment de l’hôpital psychiatrique Edouard-Toulouse, à Marseille. Il est plutôt volubile, même si sa voix est pâteuse en raison des médicaments prescrits à haute dose. M. S. décrit les conditions de son hospitalisation en psychiatrie depuis neuf jours. Les pompiers ont débarqué chez lui, relate-t-il, et l’ont emmené à l’hôpital. Dans la nuit, il s’était mis à faire le ménage bruyamment, déplaçant des meubles. «C’était 2 heures du matin. Les cancrelats, je voulais les exterminer. Peut-être que ça a inquiété ma mère.»

Quelques jours plus tôt, le trentenaire avait manqué son dernier rendez-vous chez son médecin psychiatre. Sa mère a prévenu les secours puis signé les papiers pour son hospitalisation sans consentement. « Des infirmiers m’ont dit que j’étais violent, mais je n’ai pas de souvenirs. Aujourd’hui, je suis stable, je prends mon traitement et je ne comprends pas pourquoi on me garde alors qu’on a mis en place des rendez-vous réguliers », indique-t-il en évoquant le diagnostic de bipolarité formulé par les médecins. « Quand on rigole, on me dit que c’est la maladie qui survient, mais ils veulent que je reste en dépression ? », questionne M. S., père de deux enfants, en attente d’une pension d’invalidité. Avant d’apporter sa propre appréciation : « Ils veulent que je sois toujours sédaté. »

Devant lui, dans une pièce où des panneaux de bois contreplaqué reproduisent l’apparence d’une salle d’audience, se tient une magistrate, Clara Grande, 43 ans, chargée de vérifier la régularité de la procédure. « Je ne suis pas médecin, a-t-elle prévenu au début de l’audience. Mon rôle, c’est de contrôler la mesure d’hospitalisation que vous n’avez pas choisie. » La juge écoute patiemment le père de famille puis son avocate, commise d’office. L’essentiel se joue pourtant à l’écrit, à partir des certificats médicaux versés au dossier. Les médecins ont consigné la longue liste des troubles constatés lors des différents examens : « décompensation de son trouble thymique sur rupture de traitement et de suivi », « humeur exaltée », « idées délirantes mystiques non critiquées avec des conduites de mise en danger et hostilité par intermittence ».

La magistrate dispose de quelques heures pour délibérer à partir du code de la santé publique et de la jurisprudence de la Cour de cassation, très précautionneuse face au pouvoir et à la responsabilité des psychiatres. « Les certificats médicaux établis pendant la période d’observation font état de la persistance de certains troubles et démontrent la nécessité de maintenir la mesure d’hospitalisation complète », écrira la juge Clara Grande dans sa décision. Conséquence : M. S. reste hospitalisé contre son gré. Avec un prochain rendez-vous devant un juge six mois plus t**d, sauf si ses médecins décident de le laisser partir d’ici là.

PROCÉDURES RAPIDES

La voix éraillée d’un patient face à l’autorité des médecins. La liberté suspendue d’un homme ou d’une femme face à la sécurité des autres. La protection d’un individu face aux violences qu’il pourrait commettre contre lui-même. La difficulté de juger face à des patients qui peuvent se trouver dans le déni total de leur maladie. Des dizaines d’audiences ont ainsi lieu discrètement, sans public, une ou deux fois par semaine, dans les principaux hôpitaux psychiatriques français, levant le voile sur les unités fermées, là où 75 000 adultes sont hospitalisés contre leur volonté chaque année en France à la demande d’un tiers (membre de la famille ou ami, par exemple), d’un directeur d’hôpital ou d’un représentant de l’Etat (préfet). Une plongée dans la souffrance et les soins, la maladie et le droit, la prise en charge de la folie et la privation des libertés, mais aussi dans le pouvoir des préfets, celui des médecins, des directeurs d’hôpital, des avocats et des juges face aux maladies mentales et à leurs conséquences.

Depuis une loi de 2011, la justice doit en effet se pencher sur les dossiers des patients hospitalisés sans leur consentement : avant le douzième jour d’hospitalisation, puis tous les six mois, ceux-ci doivent être auditionnés par un juge. La réforme législative avait été réclamée puis saluée par les associations de défense des droits. Elle avait été accueillie fraîchement par une partie de la psychiatrie, qui y voyait de la paperasse supplémentaire et un risque d’immixtion des juges – au point que certains hôpitaux ont continué, jusqu’à peu, de n’appliquer qu’en partie la loi, comme l’ont montré plusieurs enquêtes du contrôleur général des lieux de privation de liberté, une autorité publique autorisée à pénétrer dans les services fermés des hôpitaux. Il pouvait arriver, par exemple, que des malades comparaissent en pyjama, ce qui révoltait les avocats – cela s’est encore produit en avril 2024 dans les Yvelines. Ou bien que leurs droits ne leur soient jamais explicités.

Dans les faits, les procédures devant les tribunaux, très rapides, fondées sur des dossiers assez légers, débouchent rarement sur des remises en cause des arbitrages des médecins – un peu plus de 6 % des décisions en moyenne, selon les dernières statistiques. « Dans le contexte actuel, l’approche sécuritaire l’emporte sur tout le reste », relève la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot. « Les juges doivent avancer sur une ligne de crête entre plusieurs normes qui peuvent entrer en conflit. Ils ne sont pas armés pour effectuer un contrôle de fond, ils effectuent surtout un contrôle de forme », appuie Paul Véron, maître de conférences en droit, spécialisé dans la santé, en insistant sur l’impact des faits divers sur les représentations des maladies mentales, perçues comme dangereuses pour autrui, alors qu’elles le sont d’abord pour les patients eux-mêmes.

Les juges, comme les psychiatres et les préfets, arbitrent avec la crainte de l’erreur d’appréciation conduisant à la sortie d’un malade qui se rendrait auteur, ensuite, d’un crime. Les procureurs, quant à eux, sont systématiquement du côté du maintien des mesures coercitives, alignés sur la position des préfets, lorsque ceux-ci sont à l’origine des hospitalisations.

Certains patients ne contestent pas leur hospitalisation. Ils sont rares toutefois, à la lecture de plusieurs milliers d’ordonnances rendues par les tribunaux en 2024 dans toute la France, et collectées par Le Monde, sur cette matière couverte par le secret médical. Dans la petite salle de l’hôpital de Marseille, un sans-domicile-fixe dit ainsi espérer reprendre des forces plutôt que retourner dans la rue ou dans un foyer. « Là-bas, tout le monde veut de l’argent, des ci******es, de la nourriture. J’ai besoin de soins, j’ai besoin de calme », témoigne l’homme de 42 ans, sous curatelle, hospitalisé après une décompensation psychotique.

A Meaux (Seine-et-Marne), une femme soignée pour une dépression grave, mère de deux jeunes enfants, explique que l’hospitalisation se passe bien. « Je souhaite continuer encore un peu pour trouver le bon traitement », dit-elle à la magistrate. Une autre femme, âgée de 73 ans, vient de perdre un proche. Elle a sombré dans la dépression. Sa fille a demandé son hospitalisation en urgence : « A la maison, ça n’allait pas du tout, elle perdait du poids, elle ne s’alimentait plus et faisait n’importe quoi », raconte-t-elle en posant tendrement une main sur l’épaule de sa mère. Les deux voudraient que l’hospitalisation se poursuive.

Dans la salle d’audience de l’hôpital de Rennes, mi-novembre 2024, un détenu, entouré de trois agents pénitentiaires, indique mieux manger à l’hôpital qu’en détention, où, faute de ressources, il doit se contenter de la « gamelle ». « Je suis mieux ici », insiste-t-il en évoquant le « bruit » incessant de la prison. Toujours à Rennes, Mme T. a le sens de la formule : « Les services de police, les pompiers et moi-même avons convenu que ce serait mieux que je sois hospitalisée », glisse-t-elle en s’excusant d’avoir la bouche un peu sèche à cause des traitements. L’hôpital lui a donné un tee-shirt pour qu’elle puisse s’habiller correctement. « Je n’ai eu que des malheurs », répète cette femme de 48 ans. « Vous aurez la possibilité de faire appel de ma décision », lui signale la magistrate, Louise Miel. « Je n’en ai pas la force », répond-elle. Avant de se reprendre : « Je ne suis pas bien habillée, mais j’ai de belles chaussures, vous ne trouvez pas ? » Sourire de la juge : « Oui, madame. »

« LEURS PAROLES N'ONT JAMAIS AUCUN CRÉDIT »

La plupart des patients présentés devant les magistrats font toutefois part de leur incompréhension. M. G., âgé d’une trentaine d’années, hospitalisé à Rennes depuis quelques jours, dit ne pas accepter ce qu’on lui impose. « La police m’a arrêté parce que j’avais quelque chose qui ne m’appartenait pas dans mon sac. Si je suis un voleur, arrêtez-moi ! Mais là, ils m’ont amené en ambulance dans un centre psychiatrique. On m’a scanné, on m’a même donné des médicaments. » La magistrate l’interroge : « Vous n’étiez pas d’accord ? » « On m’a prescrit des médicaments qui ont affecté ma situation cognitive. J’ai perdu le contrôle de moi. Mais j’ai été assez intelligent pour ne pas trop parler. Quand on vous prête un problème psy, mieux vaut ne pas trop parler », ajoute l’homme.

Son avocate soutient que la mesure, prise dans le cadre d’une procédure de péril imminent, n’est pas suffisamment circonstanciée. Dans un langage châtié, M. G. demande à émettre une dernière remarque avant de repartir dans le service fermé de l’hôpital : « Le certificat de la 72e heure [d’hospitalisation], dans le deuxième paragraphe, alinéa 6, il est écrit : “Il existe des rires immotivés.” Je ne vois pas comment un médecin peut évaluer un rire. » La magistrate ne bronche pas.

Au sein de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, l’un des hauts lieux de la psychiatrie française, l’institution n’a pas cherché à représenter une salle d’audience. Un bureau avec quatre chaises violettes fait l’affaire, dans l’un des pavillons de l’institution gardé par un agent de sécurité. Une jeune femme de 26 ans, hospitalisée pour bipolarité, s’est assise face au juge. L’audience est par principe publique, sauf si le patient demande à être entendu à huis clos. Ce qui n’est pas son cas : « C’est important que les gens sachent comment cela se passe ici ! », affirme-t-elle, soutenue par son avocate. « C’est une audience à publicité restreinte », rétorque le magistrat pour refuser la présence inhabituelle d’un journaliste. Le juge tente de justifier : « Ici, c’est un peu comme le tribunal des enfants. » Colère de la jeune femme : « Mais pourquoi vous me comparez à une enfant ? Je suis une adulte, je ne veux plus être traitée comme une enfant ! »

Le magistrat cède face à la menace de saisir la présidence du tribunal. La patiente assure vouloir suivre son traitement, mais pas sous la contrainte, devenue insupportable à ses yeux après une dizaine d’hospitalisations demandées par ses parents, inquiets face au risque élevé de su***de. « L’hôpital psychiatrique m’a engloutie, témoigne-t-elle. Je ne vois pas l’intérêt d’être ici, on me laisse toute la journée dans une chambre, j’ai un couloir pour marcher et on m’enferme à clé la nuit dans ma chambre. » Plus t**d, dans le petit bureau vitré jouxtant la salle d’audience, l’avocate, Me Ghizlen Mekarbech, commise d’office, s’indigne : « Elle a raison, cette jeune femme ! Ils sont infantilisés. Leurs paroles n’ont jamais aucun crédit. » Les médecins, de leur côté, pointent l’absence de conscience de la maladie, et donc l’importance du risque suicidaire. Le juge a préféré ne pas lever la mesure d’hospitalisation.

Retour à Marseille, où défilent dans les audiences des patients marqués physiquement par la puissance des sédations reçues. « Les dosages mis en place sont très, très lourds », remarque, à la barre, un avocat, Me Youssouf-Mdahoma Aboubacar, en défendant un jeune homme qui semble assommé, presque incapable de s’exprimer, et qui se déplace avec difficulté. « Je ne mets pas ma robe d’avocate pour ne pas les perturber quand ils arrivent », glisse l’autre conseil commis d’office, Me Yamina Dahmani, pour témoigner de leur fragilité.

Le visage tiré, les gestes ralentis, l’élocution difficile, M. I., 27 ans, bipolaire, décrit à son tour son malaise : « Je me sens mal à l’hôpital psychiatrique, je vois des choses qui me rappellent de mauvais souvenirs. Ça fait cinq jours que je suis enfermé, je ne comprends pas. » Autoentrepreneur dans le secteur artistique, il affirme vouloir travailler et « contribuer à l’Etat ». « Je ne suis pas d’accord avec le traitement que l’on me donne, souligne-t-il. Je n’aime pas les effets. Les médecins ne m’écoutent pas, ils ont toujours raison, de toute façon. Je suis dans un mauvais environnement. Il faut que je m’assoie et que je ferme ma gu**le. Je n’ai rien à faire dans un hôpital psychiatrique. »

Les médecins ne sont pas d’accord. Eux ont identifié des troubles « manifestes » imposant des soins, longuement décrits dans leurs certificats : « Pathologie mentale sévère évoluant depuis des années », « épisode maniaque aigu l’ayant amené à un état de forte altération », « agitation psychomotrice majeure », « pensée sous l’emprise d’un délire mégalomaniaque l’exposant à des situations de risque », « négligence dans la prise en charge de son traitement habituel ». La juge n’est pas médecin, elle valide l’hospitalisation.

ESPÉRANCE DE VIE RÉDUITE

Les débats sont plus expéditifs pour les patients incapables de se déplacer devant les magistrats. Soit parce qu’ils sont jugés dangereux pour les autres ou pour eux-mêmes, soit parce que sous sédation trop profonde. En situation de grande vulnérabilité, Mme Z., 50 ans, a été hospitalisée dix jours plus tôt, après avoir été aperçue errant sur la voie publique à Marseille. « Désorganisation psychique et comportementale », « délire floride », « trouble schizophrénique pharmaco-résistant », ont relevé les médecins. Son état de santé ne s’est pas amélioré depuis, et les soignants ont refusé qu’elle se présente devant le juge. Une décision que personne ne peut contester, zone grise dans le non-consentement et son contrôle. L’avocat n’a donc pas grand-chose à ajouter, faute d’avoir pu rencontrer sa cliente et s’entretenir avec elle. La juge valide.

Même chose à Rennes. Une avocate s’agace en constatant que les médecins estiment l’état de son client incompatible avec une audience. « Le certificat ne donne pas les motifs de cette incompatibilité. Cela soulève une difficulté pour les droits de la défense », plaide Me Marion Jaffrennou. Sans succès. Si l’hospitalisation doit durer, les patients croiseront de nouveau la route d’un autre juge, six mois plus t**d. Pour quelques minutes, et avec un autre avocat commis d’office.

Des malades se trouvent parfois en « fugue », ce terme traduisant leur situation juridique : ni détenus ni libres. Les mesures d’hospitalisation sont alors reconduites en leur absence, sur la base de certificats eux-mêmes établis en leur absence. M. T., sans-domicile-fixe de 25 ans, est parti avant l’audience. Les médecins marseillais avaient peu de doutes quant à la prolongation de son hospitalisation : « signes de décompensation maniaque », « logorrhée », « discours discordant émaillé de propos délirants », « menaces envers le personnel soignant », etc. M. B., sans-domicile-fixe âgé de 34 ans, avait été hospitalisé en mai 2024. « Ce patient présentait une désorganisation psychique avec errance, un état délirant avec des éléments de persécution, de mystique et de mégalomanie, sans que son identité véritable ait pu être établie », résume la juge. L’homme reste introuvable. Le plus probable est qu’il revienne à l’hôpital, celui-ci ou un autre, par le biais des urgences.

L’espérance de vie de ces hommes et de ces femmes est dramatiquement réduite. La consommation fréquente d’alcool ou de drogues les rend plus fragiles. Pour financer la drogue, certains commettent des délits. La plupart finissent alors en détention, où leur accompagnement médical est erratique. « C’est le triangle de la rue, de la détention et de l’hôpital où naviguent certains des patients », résume André Ferragne, secrétaire général du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Des malades sont aussi traités pour des pathologies qui n’avaient jamais été diagnostiquées, ou bien après de nombreuses ruptures dans leur parcours de soins. Le constat est ancien, mais, en raison des difficultés actuelles du service public de la psychiatrie, en manque de ressources humaines, les prises en charge se sont compliquées, au risque que les crises s’aggravent, elles aussi.

M. E., 26 ans, est probablement schizophrène, mais il n’avait jamais été diagnostiqué avant d’être admis à l’hôpital, à Marseille, quelques jours avant son audition. Les médecins ont noté une série de troubles du comportement : « Contact étrange avec des sourires et rires immotivés, désorganisation du discours, coq-à-l’âne, distractibilité, quelques barrages, propos bizarres avec persévérance de la phrase “Je ne comprends pas les femmes”. » Une poignée de minutes, quelques mots de l’avocat commis d’office, et l’examen du dossier s’achève. Plus rapide qu’une comparution immédiate en matière pénale. Hospitalisation validée.

Souvent, les mêmes motivations reviennent sous la plume des juges. Au tribunal de Meaux, par exemple, les magistrats ont utilisé des centaines de fois la même phrase dans autant de décisions de validation des hospitalisations : « Une rupture intempestive du protocole thérapeutique initié ferait inévitablement ressurgir des troubles majeurs susceptibles de mettre la personne hospitalisée et son environnement en danger. » Au tribunal de Bordeaux, les magistrats répètent aussi la même formule, qu’il s’agisse de dépression grave, de schizophrénie ou de bipolarité – plus de 400 fois en une année : « La prise en charge dans un cadre contenant et sécurisé s’impose encore, afin de garantir l’observance des soins, et le cas échéant la réadaptation du traitement, ce qui ne peut se faire qu’en milieu hospitalier. »

RESPONSABILITÉ DE LAISSER UN PATIENT SORTIR

Les magistrats sont débordés, et ils le reconnaissent. Cela explique qu’ils annulent rarement les mesures fondées sur des certificats qui semblent être des copier-coller. Parce que les psychiatres, eux aussi, sont débordés. Idem pour les avocats commis d’office, rémunérés par le biais de l’aide juridictionnelle, qui arrivent aux audiences avec des niveaux de préparation très disparates.

A Meaux, ce jeudi de décembre 2024, Me Imen Bichaoui a récupéré dix dossiers à 10 h 30 le matin pour une audience à 14 heures. « On n’a pas le temps de travailler comme il le faudrait », regrette-t-elle. La jurisprudence cantonne la justice à une analyse formelle des droits des malades, elle ne juge jamais sur le fond des dossiers, pour lesquels les avocats comme les juges ne sont pas formés. Les délais ont-ils été respectés ? Leurs proches ont-ils été prévenus ? Les patients se sont-ils vu notifier leurs droits ? Cela conduit des juges à prononcer la levée d’hospitalisation exclusivement pour les irrégularités les plus graves, lorsqu’il manque un certificat médical obligatoire, lorsque le tiers à l’origine de l’hospitalisation n’avait en réalité aucun lien avec le patient ou lorsque les délais légaux n’ont pas été respectés.

« Dans certains cas, on sait qu’il arrive que les hôpitaux reprennent une décision d’admission dans la foulée d’une mainlevée pour que le patient reste, parce qu’ils estiment qu’il faut absolument le maintenir en soins », note l’universitaire Paul Véron. Ces nouvelles mesures sont ensuite validées par les juges, si les erreurs formelles ont été corrigées. « La montagne a accouché d’une souris », résume M. Véron. La loi était censée protéger les droits des patients contre le risque d’hospitalisation injustifiée ou trop longue, elle se heurte à la responsabilité considérable, pour les médecins comme pour les juges, de laisser un patient sortir.

Les rares avocats spécialisés en psychiatrie ne dissimulent pas leur découragement. « Quand on prive quelqu’un de sa liberté, quand on l’oblige à prendre un traitement, rien n’est plus grave. On est en droit d’attendre des magistrats qu’ils appliquent strictement la loi, et non qu’ils tirent sur la loi pour éviter d’avoir à prononcer la mainlevée des mesures, d’autant plus qu’il s’agit le plus souvent de personnes particulièrement vulnérables », s’agace Valérie Castel-Pagès, la coordinatrice du groupe d’avocats intervenant à l’hôpital de Rennes.

« Pour la plupart des juges, ce contentieux leur est arrivé en plus du reste. Ils se contentent d’enregistrer ce que disent les médecins, alors que les hospitalisations sous contrainte ont des conséquences sociales et existentielles majeures pour les individus », souligne Me Pauline Rhenter, avocate à Marseille, une des figures de la défense des malades en France. Elle-même va arrêter de défendre ces dossiers, si mal rémunérés qu’ils ne permettent pas d’en vivre. Trop décourageants, trop durs aussi.

Fin novembre 2024, celle qui est devenue l’une des meilleures spécialistes de ce droit si particulier a assisté à l’enterrement de l’un de ses clients, schizophrène en rupture de soins, pour lequel l’hospitalisation s’était mal passée. En perdition, le quadragénaire est probablement mort de faim dans son appartement. Devant le cercueil, l’avocate a entendu les mots de douleur et de colère d’une mère face à la maladie mentale : « Tu as été mon combat, porté à bout de bras pendant vingt-quatre ans, mon enfant. Devant la chaire des juges de notre justice, devant les bureaux insipides des psychiatres et des curateurs. Ils ignorent tout de ta souffrance. » Des mots de culpabilité, aussi : « Je ne suis pas arrivée à te redonner des cartes de vie, de bonheur et de paix. Pardon à toi, mon grand chéri, pour n’avoir pas su te délivrer de ton enfer. »

Photos :

Clara Grande (à gauche) s’apprête à entendre Mᵉ Youssouf-Mdahoma Aboubacar et son client, lors d’une audience de la juge des libertés et de la détention destinée à examiner la régularité des soins sans consentement à l’hôpital psychiatrique Edouard-Toulouse, à Marseille, le 26 novembre 2024. LAURENCE GEAI/MYOP POUR « LE MONDE »

Repas dans l’unité d’hospitalisation Nicolas-de-Staël de l’hôpital François-Quesnay, à Mantes-la-Jolie (Yvelines), le 6 novembre 2024. LAURENCE GEAI/MYOP POUR « LE MONDE »

Un patient dans la cour de l’unité de soins intensifs en psychiatrie du CHU de Montpellier, le 26 novembre 2024. LAURENCE GEAI/MYOP POUR « LE MONDE »

LA PSYCHIATRIE PUBLIQUE EN FRANCE, UN SYSTÈME À BOUT DE SOUFFLEENQUÊTE : « La santé mentale sans consentement »Les diffi...
29/03/2025

LA PSYCHIATRIE PUBLIQUE EN FRANCE, UN SYSTÈME À BOUT DE SOUFFLE

ENQUÊTE : « La santé mentale sans consentement »

Les difficultés auxquelles le secteur est confronté, dont le manque de praticiens, révèlent des fractures dans une discipline chargée d’une mission délicate depuis deux siècles : soigner des patients, parfois contre leur gré, tout en respectant leurs droits.

Des pyjamas bleus obligatoires pour les patients. Comme des uniformes. Pas de téléphone portable. Pas de télévision dans les chambres. Des horaires à respecter pour le lever, le repas, les pauses et l’extinction des lumières. Un minimum d’affaires personnelles. Des chambres interdites d’accès une partie de la journée et fouillées par le personnel tous les soirs. Le recours régulier à l’isolement. C’est un soignant qui lâche le morceau : « Certains détenus préfèrent repartir en détention plutôt que de rester ici. » Ici ? L’unité de soins intensifs psychiatriques (USIP) de Montpellier. Un bâtiment sécurisé avec des murs qui dépassent 6 mètres. Quinze patients au maximum. Quatre chambres d’isolement occupées presque en permanence.

L’unité est destinée aux malades en crise. L’homme qui arrive attaché sur un brancard, ce soir de la fin de novembre 2024, est en plein délire. Une dizaine de soignants de l’USIP sont présents, dont deux membres d’une équipe mobile de sécurité, au moment où il faut le détacher et l’installer dans une chambre d’isolement.

« Vous êtes ici en sécurité, lui assure Mathieu Lacambre, psychiatre et chef du service. On va vous voir deux fois par jour, le temps que vous alliez bien. »

La discussion s’engage.

« Vous étiez en communication avec d’autres personnes ? On vous donne des ordres ? demande le médecin.

— Le diable, répond le patient.

— On peut le repousser ?

— Non.

— C’est quelque chose que vous ressentez comme une présence, comme une force ? Le diable, en particulier, vous m’avez bien dit qu’il était là ?

— Ça fait 100 millions d’années. »

Le patient reçoit une sédation – une piqûre dans la fesse administrée après que les infirmiers et les aides-soignants l’ont immobilisé et retourné sur le ventre. « Vous voulez me tuer ? », hurle le patient. Dans ses affaires, placées à l’écart, une Bible. « Il combat le démon à travers lui, s’interroge Mathieu Lacambre en sortant de la chambre, désormais fermée à clé. D’un côté, le diable, de l’autre, les anges, tout cela se mélange et il doit le combattre. Le délire est un mécanisme de défense, c’est un moyen de se protéger de la réalité. » Ce patient restera probablement plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dans l’unité. A la fin de son séjour, dans les derniers jours uniquement, il aura le droit de quitter l’uniforme-pyjama.

Ce malade, et les quatorze autres dans l’unité, ont un profil très particulier : une partie vient de détention, les autres de garde à vue, suspectés d’un délit ou d’un crime, ou bien des urgences générales. Leur point commun, c’est de traverser une crise aiguë, d’être hospitalisés sans leur consentement et d’être considérés comme dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui. « On compte chacune des cuillères à la fin du goûter pour réduire les risques d’agression », explique une infirmière, Justine Le Mouel, dotée, comme tous ses collègues, d’un équipement d’appel d’urgence en cas de violences. Le matin, au moment de se laver, les patients viennent utiliser des bâtonnets en coton et du déodorant sous l’œil vigilant des soignants.

Le dispositif, qui existe depuis 2004 à Montpellier, est volontairement contraignant et rigide. « Notre approche, c’est d’être dans la clinique du risque, souligne M. Lacambre. Plus on est disponibles, plus on aide à gérer la crise. On essaie de laisser le moins de choses au hasard, la journée est très ritualisée, on apporte un cadre aux patients. La privation de liberté, pour ces patients, dans ce moment-là, c’est un moyen de soin. »

« ENVIRONNEMENT FAVORISANT »

L’architecture du bâtiment a été conçue pour obliger les malades à bouger, donc à sortir de leur chambre, même s’ils n’en ont pas envie, pour rejoindre l’espace collectif, avec une télévision et une table de ping-pong, ou bien, à heures fixes, le jardin intérieur, où ils peuvent fumer. « Certains arrivent en état de désorganisation, complète Jonathan Dos Santos Peixoto, infirmier, un des anciens du service. Ici, on repose avec eux des rituels dans leur quotidien. Le cadre est rigide pour qu’ils aient quelque chose à faire toutes les heures : se lever, faire leur lit, débarrasser la table au repas. »

Une quinzaine de départements sont désormais dotés de ces unités de soins intensifs ; plusieurs projets sont dans les cartons des hôpitaux et des agences régionales de santé. Ces dispositifs visent à recevoir les patients que les services traditionnels de psychiatrie ne parviennent plus à prendre en charge – ou qu’ils ne le veulent plus. Leur admission est transitoire, à la différence de la dizaine d’unités pour malades difficiles qui accueillent les patients les plus dangereux pendant des années. « Les patients viennent pendant une période parce que leur état de santé n’est plus compatible avec le service de secteur. Ils se retrouvent dans un environnement favorisant : moins de patients, donc moins de stimulations, plus de soignants, donc plus de temps pour chacun, ça permet d’obtenir un apaisement psycho-comportemental », plaide Clémence Bied, responsable d’une USIP à Bron (métropole du Grand Lyon) et présidente de l’association nationale regroupant ces unités.

Une vision purement sécuritaire, rétorquent les critiques. Un modèle qui consiste, selon eux, à enfermer et à isoler un peu plus les patients, en l’absence de tout cadre légal. « Le retour des maisons de force », se sont insurgés, à plusieurs reprises, des syndicats de psychiatres et des associations de familles, dénonçant l’absence de réglementation et d’évaluation indépendante de ces dispositifs d’enfermement. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), une autorité dotée de moyens d’investigation, s’inquiète, de son côté, par la voix de son secrétaire général, André Ferragne, d’une « organisation quasi carcérale », de « règles de vie restrictives », de « privations d’objets personnels », de « restrictions sur les relations extérieures » et d’une « pratique intensive de l’isolement ».

Cela pourrait ressembler à un conflit de territoire. Le sujet illustre, en réalité, l’état de tensions et de divisions de la discipline. Parce que la psychiatrie se trouve soumise à des injonctions contradictoires entre l’enfermement et le soin, entre la protection des droits des patients et la sécurisation de la société face aux risques, réels ou fantasmés, des maladies mentales. Parce que le manque de médecins tend à concentrer sur les hôpitaux publics de plus en plus de malades en rupture, en crise grave, faute de prise en charge en amont. Parce que le nombre de soins psychiatriques sans consentement − décidés à la demande d’un tiers (famille ou ami), d’un directeur d’hôpital ou sur ordre du représentant de l’Etat (préfet) – a fortement augmenté depuis dix ans, même si une partie des traitements peut aussi s’effectuer à domicile.

Dit autrement, la discipline traverse une phase critique. Bien plus qu’une simple crise des ressources comme d’autres services publics : une crise de son modèle, une crise d’identité, aussi. Les patients et leurs familles connaissent mieux que quiconque le paradoxe de la psychiatrie française, construite, depuis les années 1960, sur l’idée ambitieuse d’une couverture par secteurs géographiques de l’ensemble du territoire afin de proposer une offre de soins égalitaire et complète, au plus proche des patients. Mais cette ambition se heurte à la grande diversité des pratiques médicales, donc à une approche en réalité très inégalitaire.

« Sur notre territoire, des services pépites coexistent avec des endroits d’où tout espoir est absent », constate Emmanuelle Rémond, présidente de l’Union nationale des associations de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), à partir des remontées effectuées auprès de ses 350 points d’accueil dans toute la France. L’association dénonce « l’extrême hétérogénéité de la qualité des soins » et ses conséquences en chaîne : « ret**ds diagnostiques », « traitements inadéquats », « interventions inappropriées et stigmatisantes », « non-prise en compte des avancées de la science », « non-respect des droits », « mise à l’écart de leur entourage. »

SYSTÈME À BOUT DE SOUFFLE

Les dizaines de rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté témoignent des mêmes disparités : des établissements exemplaires qui côtoient des services en déshérence, avec un patrimoine vieillissant, des conditions d’hébergement jugées indignes et, parfois, le non-respect des droits des malades. Cela se sait parmi les patients et leurs proches. L’avancée historique de la sectorisation est alors vécue par une partie des familles comme un piège individuel – il arrive, dans les grandes agglomérations, que des parents déclarent de fausses adresses pour relever d’un secteur plus innovant, comme pour l’école.

Le système est à bout de souffle, s’alarment les médecins les plus expérimentés. « Aujourd’hui, nous ne pouvons plus garantir un juste soin pour tous. Lorsque j’ai débuté ici, en 1995, la démographie médicale et les conditions d’exercice le permettaient. Cela n’est plus le cas », regrette Marie-José Cortès, cheffe de pôle à Mantes-la-Jolie (Yvelines) et présidente du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, après avoir animé la réunion du matin dans l’unité d’accueil des patients en crise. « On a asséché la psychiatrie de secteur. Donc, le modèle ne fonctionne plus. Donc, cela justifie qu’il faille le remplacer par autre chose – et là s’engouffre notamment le secteur privé », se désole Delphine Glachant, psychiatre en poste à l’hôpital de Landerneau (Finistère), critique sur la place prise par les neurosciences.

La faiblesse politique des ministres de la santé, ces dernières années – sept titulaires différents depuis 2022 –, n’a pas permis de donner d’impulsion forte. Sur ce sujet particulier, les gouvernements se révèlent démissionnaires depuis longtemps, pas seulement du fait d’une motion de censure : les dernières réformes importantes sur les droits des patients ont été imposées au législateur, par des questions prioritaires de constitutionnalité, par le Conseil constitutionnel. Les difficultés s’accumulent, donc.

« L’héritage d’une discipline médicale insuffisamment pilotée est lourd », diagnostiquait le professeur Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale, à la fin de novembre 2024, lors d’un colloque de l’Unafam. « Il en résulte une somme de particularismes peu lisibles pour les patients et les professionnels », constate-t-il en employant des mots inhabituellement fermes sur « l’hétérogénéité des pratiques selon les territoires, selon les services, et même selon les unités au sein d’un même service ». Les recommandations de bonnes pratiques, qui sont censées unifier les approches, n’existent quasiment pas, en particulier pour les maladies les plus graves. La culture de l’évaluation est jugée disparate, la spécialité est à la traîne sur les démarches qualité.

La Haute Autorité de santé (HAS) attribue ainsi, de fait, des notes assez passables aux établissements de santé mentale en comparaison avec les autres spécialités. Une part significative des hôpitaux publics spécialisés (25 %) ont seulement obtenu une certification « sous conditions », alors que 10 % ont été certifiés avec une mention « haute qualité de soins », selon les données publiées, en décembre 2024, par la mission d’information parlementaire sur les urgences psychiatriques. Fait rare, l’hôpital Gérard-Marchant, à Toulouse, un site historique, vient ainsi de perdre sa certification par la HAS en raison d’une « qualité des soins insuffisante ». « Dans les chambres de la zone fermée, il n’y a pas d’accès à la lumière directe naturelle et pas d’aération possible. Dans les chambres d’isolement, il a été constaté un défaut d’hygiène avec des odeurs, le plafond taché, des sanitaires dégradés », a relevé la HAS dans son rapport rendu public, début janvier.

« La thérapie qui est appliquée à un patient ne dépend pas de sa maladie mais de son médecin », résume, un peu brutalement, M. Ferragne, impliqué depuis des années dans la défense du droit des patients. « On aura beau arroser les établissements de moyens supplémentaires, si les pratiques ne changent pas, cela n’évoluera pas », complète le professeur Bellivier.

Le secteur public est entré dans un cercle vicieux. Des hôpitaux ferment des lits, des unités, des services, faute de bras, tandis que l’offre de proximité se raréfie. « C’est comme si, pour le cancer du sein, on vous disait : “Revenez dans deux ans quand la tumeur sera plus grave” », déplore Mme Rémond, la présidente de l’Unafam. Plus d’un quart des postes sont ainsi vacants dans 40 % des établissements. « Le personnel souffre, les patients souffrent. Cela se dégrade depuis une dizaine d’années », note Gilles Leproust, maire d’Allonnes (Sarthe), où est installé le principal établissement du département.

MANQUE DE SUIVI RÉGULIER

« Nous couvrons un secteur de plus de 300 000 habitants, témoigne, à son tour, Yves Praud, directeur de l’hôpital spécialisé de Blain (Loire-Atlantique). Nous avions 74 lits ouverts en 2022, on n’en a plus que 20. Nous avons un effectif autorisé de 19 équivalents temps plein de psychiatres. Or, aujourd’hui, nous n’avons que 5,5 équivalents temps plein. » Un exemple parmi des dizaines d’autres. Conséquence première : faute de suivi régulier, une partie croissante des patients a recours aux urgences, contribuant à leur embolie. Conséquence seconde : les services hospitaliers qui restent ouverts concentrent les cas les plus difficiles. Au risque de privilégier une approche plus sécuritaire. « Ne voulez-vous que des services fermés de patients en soins sans consentement où l’isolement et la contention seront la règle ? », ont interpellé quatre syndicats, à l’automne 2024, en s’adressant au gouvernement du premier ministre d’alors, Michel Barnier.

Avec 15 000 psychiatres en exercice – un chiffre constant depuis dix ans –, la France ne manquait pas, jusqu’à peu, de médecins à l’échelle nationale, en comparaison avec d’autres pays. Mais ceux-ci apparaissent très inégalement répartis sur le territoire, plus nombreux en Ile-de-France, singulièrement à Paris : la capitale, à elle seule, compte 2 000 psychiatres pour 2 millions d’habitants ; le reste du territoire en recense 13 000 pour 66 millions d’habitants, soit cinq fois moins par habitant. Ce qui explique le ret**d dans l’appréhension de l’ampleur des difficultés sur le territoire.

Plus inquiétant, les nouvelles générations de médecins rechignent à devenir psychiatres, alors même que la demande en matière de santé mentale est en forte augmentation et que les départs à la retraite seront nombreux dans les prochaines années. « Depuis onze ans, les postes ouverts ne sont pas tous pourvus. Les premières années, c’étaient quelques pourcents. Depuis quatre ans, cela s’est accru. Très clairement, il n’y a pas suffisamment d’internes », insiste le professeur Olivier Bonnot, président du Collège national des universitaires en psychiatrie. Pour le dernier concours classant, fin 2024, où les étudiants choisissent leurs spécialités, la discipline, moins rémunératrice que les autres, a de nouveau dû se contenter des derniers reçus. Une soixantaine de postes n’ont pas été pourvus. Autant de trous à combler, très vite, dans les hôpitaux les moins attractifs. Avec de l’intérim. Des médecins étrangers. Ou personne.

Le secteur privé est venu se positionner sur la partie la plus rentable de l’activité. Très rentable, même. « Dans le secteur privé à but lucratif, la psychiatrie demeure ainsi la discipline qui dégage le plus de bénéfices en pourcentage des recettes », rappelle, dans une note, la direction des études et des statistiques du ministère de la santé. Le résultat net du privé, pour cette spécialité, est trois fois plus élevé que pour les cliniques spécialisées dans la médecine, la chirurgie ou l’obstétrique. Or, le privé à but lucratif ne prend pas en charge les pathologies les plus lourdes. « Ils font les névroses, on fait les soins sous contrainte », glisse Nassim Messaoudi, chef de service à l’hôpital de Mantes-la-Jolie, avant de se dépêcher d’intervenir pour un patient en crise.

« ASPIRATEUR À COMPÉTENCES »

« Au moment où l’on a fixé l’objectif de développer la prise en charge en ambulatoire, au moment où l’on a baissé les capacités hospitalières, le privé lucratif a développé ses capacités en nombre de lits », décrypte Pascal Mariotti, directeur de l’hôpital public Le Vinatier, à Bron, également président de l’Association des établissements du service public de santé mentale. La conséquence ? « Les ressources vont vers les troubles les plus légers et les populations les plus favorisées », critique le directeur.

Les bénéfices des uns ne font pas le bonheur des autres. Les hôpitaux publics sont confrontés à la fuite des cerveaux de soignants vers des établissements avec plus de ressources et moins de pression sur la continuité des soins, donc de gardes. « Il y a un aspirateur à compétences chez eux avec moins de contraintes et plus d’argent pour des patients moins lourds, cingle Jérôme Goeminne, directeur du grand hôpital de l’Est francilien, dont le siège est à Meaux (Seine-et-Marne). On ne peut même pas parler de concurrence, parce que les règles sont bien trop différentes entre le public et le privé. » Un discours à l’unisson de beaucoup de psychiatres du public, inquiets que les paroles officielles sur la santé mentale, promue « grande cause nationale » en 2025, masquent une affectation des ressources vers les pathologies les plus légères. « Attention ! Nous avons un noyau de malades que l’on ne peut pas oublier », alerte le professeur Jean-Louis Senon, une des figures de la psychiatrie française.

Confrontée à la misère et à la précarité, bien plus que les cliniques, la psychiatrie publique se retrouve en première ligne des évolutions sociétales, notamment les actes de violence contre les soignants, parmi les plus touchés du personnel de santé. Cela conduit à des mouvements de grève réguliers à l’échelle locale, lesquels passent, jusqu’à présent, sous le radar du monde politique. Des soignants déposent des plaintes individuelles et parfois collectives. Cela conduit les plus jeunes, en tout cas une partie, à refuser le modèle sacrificiel de la médecine et à réclamer de meilleures conditions de travail, donc moins de contraintes. Cela peut aussi conduire des équipes dépassées à recourir à des mesures coercitives plus souvent. « Donnez-nous plus de soignants et il y aura beaucoup moins d’isolement et de contention à l’échelle nationale », plaide ainsi Pierre-Noël Vasse, infirmier expérimenté à Mantes-la-Jolie.

La discipline se retrouve aussi sur un équilibre fragile quand d’autres piliers du secteur public flanchent et déportent leurs difficultés. A commencer par la pédopsychiatrie, aujourd’hui en situation critique, après avoir perdu un tiers de ses effectifs de médecins en dix ans. « Il y a de plus en plus de départements complètement dépourvus de pédopsychiatres », relève Charles-Olivier Pons, président de l’Union syndicale de la psychiatrie, en poste à Dole (Jura), où la moitié seulement des emplois sont pourvus. Il passe une partie de sa semaine à parcourir des centaines de kilomètres pour rejoindre ses différents lieux d’exercice dans le département.

« J’ai un attachement viscéral au service public. Quitter la barque, non ! », affirme M. Pons. Mais se désoler de constater que, parmi les futurs internes, les mieux classés plébiscitent la chirurgie plastique, oui. Avec la pédopsychiatrie, toute l’enfance en danger est en plein glissement. « Tout le secteur médico-social se trouve en difficulté, signale-t-il encore. Les maisons d’accueil pour les ados ont de plus en plus de mal à recruter des éducateurs. »

Ce matin de novembre 2024, à l’hôpital de Mantes-la-Jolie, quand les soignants font défiler les dossiers pour partager les observations, entre croissants et cafés chauds, il apparaît que plusieurs des patients accueillis sont passés par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Un autre trou noir de l’action publique. « Les mineurs qui ne sont pas pris en charge comme ils devraient en pédopsychiatrie, ils repartent à l’ASE. Ça met à mal leur fonctionnement à eux », ajoute M. Praud, directeur de l’hôpital de Blain.

Dans le bureau où il effectue ses consultations, au milieu de l’unité de « soins intensifs », le docteur Mathieu Lacambre échange des derniers mots avec un patient mineur qui repart en détention. Un trou noir, là aussi. « Ça va aller », lui dit-il avec chaleur pendant que les agents pénitentiaires passent les menottes au garçon, venu pour un épisode suicidaire. « La question de fond, insiste le médecin, c’est l’état des services publics en France : l’école, l’hôpital, la justice. Nos patients ont besoin des trois parce qu’ils sont parmi les plus vulnérables des vulnérables. Eux paient comptant lorsque cela se dégrade. » L’effet domino des services publics qui tombent.

Photo : Un patient de l’unité de soins intensifs psychiatriques du centre hospitalier universitaire de Montpellier, le 26 novembre 2024.
LAURENCE GEAI/MYOP POUR « LE MONDE »

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