27/09/2018
Comment dire ? Ce fut un éblouissement. Découvert il y a deux semaines au MOCA de Taipei, Next Year de l'artiste singapourien Ming Wong est une version shanghaïote et surtout transgenre de L'Année dernière à Marienbad, le film d'Alain Resnais écrit par Alain Robbe-Grillet. Et c'est déjà en soi une surprise, un déplacement si inattendu, presque inconcevable.
L'étonnement est également esthétique : le film somptueux de Marienbad est ici comme brouillé, infiltré par son remake asiatique. Les voix de Delphine Seyrig et surtout de l'acteur italien Giorgio Albertazzi sont doublées par l'artiste dans un accent français venu de plus loin encore. Enfin l'écran éclate de toute sa superbe quand Ming Wong lui-même joue le rôle de Delphine Seyrig, prend ses habits de splendeur et circule ainsi dans Shanghaï, ou quand le visage de Ming se superpose à celui de Seyrig dans un plan de coupe où se joue toute la q***risation du film-source. Comme si la deconstruction des récits entreprise par le Nouveau Roman offrait un espace pour la redistribution des sexes.
À l'image du Café Marienbad de Shanghai où commence le remake, de ce Shanghai qui garde les traces des présences coloniales françaises ou anglaises, mais qui fut aussi dans les années 30 un haut-lieu du cinéma moderne, L'Année dernière à Marienbad est ici décolonisé, et troublé dans son genre - ici décolonisation et q***r vont de pair.
Déjà insensé, le film de Ming Wong s'offre le luxe d'un moment miraculeux : en longeant dans Shanghaï une palissade de chantier, les deux personnages croisent une affiche d'Hiroshima mon amour. Et d'un coup on glisse d'un remake à un autre, de Marienbad à Hiroshima, autre film de Resnais, écrit cette fois par Marguerite Duras. Et Ming Wong glisse de Delphine Seyrig à l'actrice Emmanuelle Riva, à laquelle il se superpose encore, sur laquelle il se penche avec amour, comme on caresse. La voix masculine essaye de retenir cette double créature transgenre qui s'éloigne, sauf qu'elle ne dit plus "Reste à Hiroshima", mais "Reste à Marienbad", et nous fait revenir dans le premier remake. Il y a plusieurs films dans un film, tout comme nous sommes nous-mêmes faits de plusieurs identités, de plusieurs récits, de plusieurs films.
Ming Wong, Next Year, 2016. Notamment co-produit par Passerelle Centre d'art contemporain de Brest, bravo Etienne Bernard !