18/08/2025
Protéger ou enfermer ? L’enfant pris dans le traumatisme parental
Il existe des parents qui, sous couvert de « protéger », enferment inconsciemment leur enfant dans un carcan invisible. Derrière cette hyperprotection, il n’y a pas seulement de l’amour, mais souvent un héritage psychique : un traumatisme familial non élaboré, transmis de génération en génération.
La protection comme transmission du traumatisme
Anne Ancelin Schützenberger a montré combien les traumatismes familiaux – guerres, deuils, secrets, exils – se transmettent silencieusement aux descendants. Lorsqu’un parent a lui-même vécu l’insécurité, la perte ou l’abandon, il peut, sans s’en rendre compte, construire avec son enfant une relation marquée par la peur de revivre le drame. L’enfant devient alors une sorte de « remède vivant » au trauma du parent.
Dans ce contexte, « protéger » signifie en réalité empêcher :
Cela revient à empêcher l’enfant de s’éloigner, d'avoir des relations extérieures qui pourraient représenter une menace et une prise de distance créatrice d'angoisses de pertes ou de mort pour le parent qui ne pourra plus contrôler la relation et bénéficier des fonctions narcissiques de l'enfant.
Il peut y avoir derrière cela une peur ou une angoisse d'abandon.
René Kaës parle de la « dette de vie », ce sentiment inconscient d’avoir été choisi pour réparer, continuer ou préserver quelque chose du passé familial. L’enfant « doit » rester auprès du parent, comme si son départ risquait de raviver une blessure mortelle. Celui-ci est pris dans des loyautés inconscientes et dans des culpabilisation parentales qui l'empêchent de prendre son autonomie et de faire différentes expériences constructrices d'un Moi non vulnérable. Le parent peut formuler directement des propos et manoeuvrer, agir pour maintenir l'enfant près de lui.
Des exemples quotidiens
Ces dynamiques se traduisent souvent dans des situations banales :
Un adolescent qui souhaite partir étudier dans une autre ville se heurte au refus ferme de ses parents :
" Ici tu seras mieux, ailleurs tu risques trop de choses ".
" Loin de nous tu n'iras pas bien, tu ne t'en sortiras pas ".
Un enfant à qui l’on interdit certaines amitiés parce que " les autres ne sont pas de confiance, ce sont des mauvaises relations".
Un jeune adulte qui, chaque fois qu’il parle de s’installer seul, se retrouve face à la détresse maternelle ou au silence réprobateur du père.
Il y aura souvent une absence d'accompagnement de l'enfant dans ses démarches visant à ce qu'il s'autonomise par exemple lors de sa recherche de son premier logement visant à quitter le domicile familial. L'enfant pourra être retenu aussi par des projets familiaux comme prendre la relève de l'entreprise.
Dans ces moments-là, l’enfant n’est pas seulement freiné dans ses choix : il est pris dans une relation d’emprise, où sa liberté est confondue avec une menace pour le parent.
Les effets sur l’autonomie
Winnicott rappelait combien l’autonomie naît de la capacité de l’environnement à offrir à l’enfant un espace de jeu, de séparation et d’expérimentation. Mais si le parent est prisonnier de ses propres blessures, il réduit cet espace vital.
Le résultat est souvent un adulte qui :
Peine à quitter le domicile familial,
A du mal à construire une vie affective indépendante et doute de sa capacité à réussir seul. Il vit dans une loyauté invisible qui l’empêche de respirer pleinement.
Quand l’amour se confond avec l’emprise
Ces parents ne sont pas malveillants. Leur geste d’empêchement est souvent une tentative de survie psychique. Mais, comme l’écrit Didier Dumas, « ce que les parents ne transforment pas de leur histoire, ce sont les enfants qui le portent ». Ainsi, ce qui n’a pas pu être élaboré se rejoue, en silence, dans la relation.
Protéger, oui. Mais protéger au point d’empêcher, c’est transmettre la peur au lieu de transmettre la confiance.
La relation d’emprise : un lien traumatique tr****ti en protection
Sur le plan clinique, la relation d’emprise se définit par un lien asymétrique, où l’un prend pouvoir sur l’autre, souvent sans en avoir conscience. Dans le cas de la parentalité marquée par le traumatisme, il ne s’agit pas d’une volonté de dominer mais d’un mécanisme de survie psychique.
Les mécanismes en jeu
1. Identification projective (M. Klein)
Le parent, hanté par son propre vécu traumatique (abandon, perte, insécurité), projette ses angoisses dans l’enfant. Celui-ci devient alors le dépositaire d’une peur qu’il ne comprend pas, mais qu’il porte comme sienne.
2. Confusion des générations (F. Dolto, R. Kaës)
Le parent, au lieu de soutenir l’individuation de l’enfant, l’enferme dans une position de « parent du parent ». L’enfant est implicitement chargé de rassurer et de protéger le parent, inversant la hiérarchie naturelle.
3. Empêchement de la séparation (Winnicott, Mahler)
La séparation-individuation est une étape fondamentale. Mais si le parent vit cette séparation comme une menace vitale, il met en place des obstacles : culpabilisation, surprotection, contrôle, séduction affective (« sans toi je ne suis rien »).
4. Transmission transgénérationnelle (A.-A. Schützenberger, Didier Dumas)
Ce mode relationnel n’est pas isolé : il s’inscrit dans une chaîne familiale où des drames, secrets ou loyautés invisibles ont empêché les générations précédentes de se libérer. L’enfant devient alors « gardien » du trauma parental, au prix de son autonomie.
Exemple de conséquences chez l’enfant devenu adulte.
Albert Ciccone parlera de la part bébé du Soi et des effets de la relation parents/enfants. Parfois l'enfant peut construire un mode relationnel tyrannique au parent dans le seul but et objectif de tenter de se séparer du parent trop assujettissant.
Difficultés à se séparer du domicile familial.
Culpabilité intense lorsqu’il envisage une autonomie.
Peur du monde extérieur, intériorisée depuis le discours parental.
Sentiment de vide ou d’incomplétude dès qu’il s’éloigne.
Répétition du schéma dans ses propres relations affectives (couples fusionnels ou dépendants). La répétition se rejouera dans tous les liens y compris dans les liens professionnels.
En somme, la relation d’emprise est une emprise traumatique, où l’enfant, au lieu d’être accompagné vers son autonomie, est assigné au rôle de « prolongement psychique » du parent.
Tout droits réservés Karine Henriquet Psychologue Clinicienne Psychanalyste Psychothérapeute. 🐺