21/09/2021
Texte de Mr MONDIALISATION
Christo fait réagir et c'est le but de l'Art. Il est quand même pertinent de souligner 2 choses importantes :
1. Les 14 millions d'euros : beaucoup de commentaires se focalisent sur son coût avec énormément de fantasmes sur ce qu'on aurait pu faire avec cet argent. Soudain certains se souviennent que les SDF existent. Cet argent ne vient pas de l’État ni même d'un grand capital, de la finance ou de la pub, mais de la vente des objets de la conception de l’œuvre : dessins, peintures, cartes, plans, etc. Tout était en vente libre. C'est donc un financement collectif du public par les artistes et pour les artistes. Ces centaines d'oeuvres, dessins, peintures et plans du monument font d'ailleurs intégralement partie de l’œuvre globale. Il ne s'agit PAS juste d'emballer un bâtiment. Ceux qui le pensent n'ont regardé qu'en surface et c'est triste pour eux. On y trouve notamment des tableaux magnifiques de l'Arc (avant emballage) ce qui participe à faire rayonner le patrimoine.
Et où va cet argent de l'art du coup ? Les poches de capitalistes véreux ? Nope. Dans la conception de l’œuvre matérielle : ouvriers, architectes, artistes, techniciens, surveillants, couturières (en photo), etc. Des travailleurs ! Des salaires. De l'économie réelle uniquement. Depuis quand c'est mal de soutenir l'économie réelle ? Depuis quand c'est mal de payer des gens pour leur travail ? Depuis quand les artisans n'ont pas droit à une rémunération ?
14 millions distillés en salaires pour des centaines de français, en pleine crise, c'est directement moins polémique. Mais ça intéresse qui ? Tout le monde râle tout au long de l'année sur la financiarisation de l'économie mais quand des artistes dépensent de l'argent privé dans de l'économie réelle, on leur reproche de le faire ? Qui peut dire à la fin d'un mois de travail que son salaire n'est mérité ? Qui peut dire que son salaire aurait été plus utile directement donné à un SDF ?
Sortir un chiffre de son contexte pour faire jaser est tellement facile et c'est ça fait partie de la mentalité réactionnaire que nous dénonçons régulièrement. Réfléchir en nuances de gris demande un peu plus d'efforts que de hurler au scandale comme l'ont fait tous les médias de droite et d'extrême droite type BFMTV et Cnews. Du pain béni pour leur audimat incapable de réfléchir sans sombrer dans le manichéisme "c'est trop moche, moi j'aime pas donc tout le monde doit détester comme moi, et nos SDF alors?!"
2. L'emballage : C'est sans doute le mot qui fait réagir. Il fait penser à un sac plastique, au jetable, au gaspillage. Pourtant ce n'est PAS le cas ici. On parle de corde et de tissu brut recyclable en rouleau qui seront récupérés juste après. La belle affaire... Certes, on peut alors crier au greenwashing en jouant sur le fait que personne ne sait si ce tissu sera effectivement recyclé ou pas. Mais c'est aussi un sophisme ! Les limites du recyclage, on le trouve dans le monde industriel pour les produits de grande consommation = industrie systématique. Cette oeuvre c'est la paille dans l'oeil d'un modèle mortifère que la majorité refuse toujours de voir.
Dans le cas présent, c'est un acte ponctuel sous contrôle de A à Z. On ne jette pas un rouleau de tissu de 30 mètres comme on jette une bouteille à la mer. Entre émettre un doute et imaginer des intentions diaboliques des concepteurs, il y a un monde. On ne parle pas de Coca-Cola ou d'une grande multinationale en recherche de profit, mais d'une action artistique ponctuelle impliquant un grand nombre de professionnels et artisans. Pourquoi leur prêter des intentions mauvaises ? Les rouleaux de tissus vont être récupérés et transformés. Il n'y a pas de secret ou de conspiration comme certains aimeraient s'en persuader pour appuyer leur propos.
Et si vraiment une telle chose devait arriver... Si on découvre par la suite que les artistes ont jeté ou détruit le tissu à l'abri des regards (ce qui est peu probable vu leur démarche), on sera les premiers à en parler et les responsables devront répondre de leurs actes pour avoir menti. Jusqu'à nouvel ordre, il n'y a aucun raison de leur prêter de mauvaises intentions. On ne peut pas juger aussi radicalement quelqu'un et son œuvre sur des supputations futures et des vues de l'esprit. Ce n'est pas raisonnable.
Ceci étant, cette soudaine émotion autour d'un plastique "recyclable" à but artistique montre quand même une énorme lacune dans notre capacité à cerner le problème de la pollution : l'incapacité à différencier un problématique systémique enracinée dans le quotidien d'une réalité ponctuelle.
-> Une œuvre d'art -> Ponctuel, sans incidence systémique, effets limités et contrôlés.
-> Le plastique jetable dans le commerce -> Systémique, incidence annuelle astronomique, pollution permanente. 4,8 millions de tonnes de plastique consommé par an en France. Sans arrêt. Continuellement.
S'indigner devant une oeuvre éphémère n'a pas de sens. Ce qui tue la planète ce n'est pas ça, ce sont les pollutions systématiques, celles qu'on ne voit pas justement car elles sont chaque jour devant nos yeux. Les gens s'indignent car ils se laissent émouvoir par un symbole choquant et ultra-visuel : l'arc de triomphe emballé ! Difficile de ne pas le voir. Mais est-ce vraiment ça qui nous choque ? Où le fait que l'emballage soit omniprésent dans nos vies et que nous fermons tous bien volontiers les yeux sur ce qui nous tue à petit feu. Et si c'était ça que cette oeuvre exposait ? Notre incapacité collective à faire ça au vrai problème ? Voilà ce qui devrait nous mettre vraiment en colère. Certes, il est plus facile de crier au scandales devant quelque chose de polémique, ponctuel et visuel, d'autant plus si on peut cracher sur l'Art au passage (tellement consensuel). C'est ça aussi un autre aspect de l'esprit réactionnaire sans nuance et profondeur contre lequel nous luttons depuis toujours.
Moralité, l'art existe à travers les réactions qu'il génère. Que certains le considèrent moche, beau, choquant, provoquant, etc, il existe car on en parle en bien comme en mal. En ça, mêmes les commentaires les plus malfaisants ne font que confirmer ce pourquoi il existe et doit continuer d'exister, quoi qu'en disent ceux "qui pensent bien".
Photo: Yacine Ait Kaci