13/08/2025
"Qui est responsable ? Quand la parentalité se vit dans le conflit"
Quand la question de la faute s’invite dans le couple parental
Dans les séparations conflictuelles, la question de la responsabilité — ou plutôt de la culpabilité — surgit presque toujours.
« C’est à cause de lui. »
« Elle m’a poussé à bout. »
« Je n’ai pas eu le choix. »
Ces phrases, je les entends régulièrement en consultation. Elles ne sont pas anodines : elles traduisent une douleur, un sentiment d’injustice, mais aussi une difficulté à prendre du recul.
Lorsqu’un couple se sépare, surtout dans un climat tendu ou marqué par des blessures anciennes, la tentation de désigner un coupable est forte. Cela donne un sentiment de clarté, voire de légitimité à sa souffrance. Mais cette recherche de « la faute » finit souvent par enfermer chacun dans un rôle rigide : victime d’un côté, bourreau de l’autre.
Mais est-ce si simple ? Peut-on vraiment désigner un "responsable" unique d’un climat devenu invivable ? Et surtout : à quoi cela sert-il — ou plutôt, à quoi cela nuit-il ?
Je vous propose ici une autre grille de lecture : celle de la responsabilité partagée. Non pas pour lisser les nuances ou excuser, mais pour sortir de l'impasse, et retrouver un espace de réflexion, d’action, et de reconstruction.
Une responsabilité partagée, mais pas forcément égale
L’une des confusions les plus fréquentes, c’est de penser que « partagé » signifie « moitié-moitié ». Comme s’il s’agissait de mesurer avec précision qui a dit quoi, qui a blessé combien de fois, ou qui a plus contribué au climat conflictuel. Cette approche mathématique du conflit parental est non seulement irréaliste, mais elle est aussi stérile. Ce qui est important, c’est de reconnaître qu’un conflit se co-construit, même lorsque les dynamiques sont asymétriques.
Dans la réalité, les responsabilités sont rarement égales. Elles peuvent différer en intensité, en fréquence, en conscience, ou encore en impact émotionnel.
Un parent peut, par exemple, avoir un comportement très contrôlant, tandis que l’autre adopte une posture d’évitement permanent. Le premier peut générer de la peur ou de la tension, le second de la confusion ou de la frustration. Deux styles opposés, mais qui participent ensemble à la dynamique conflictuelle.
Reconnaître cette co-construction ne revient pas à banaliser des comportements inacceptables, ni à refuser de voir les déséquilibres. Cela revient à nommer ce qui se joue entre les deux, plutôt que seulement chez l’un ou l’autre.
C’est une démarche qui demande du courage, car elle invite à sortir de la logique du blâme, pour entrer dans celle de la compréhension systémique.
Prendre sa part sans s’accabler
Assumer sa part de responsabilité ne veut pas dire porter tout le poids de la relation sur ses épaules. Ce n’est pas se dire "c’est de ma faute", mais plutôt s’interroger :
• Qu’est-ce que je reproduis inconsciemment ?
• Comment est-ce que je réagis quand je me sens blessé.e ou en danger ?
• Qu’est-ce que je ne dis pas ? Qu’est-ce que je ne veux pas voir ?
Prendre sa part, c’est être acteur de son propre positionnement, même quand l’autre refuse de bouger. Cela permet de reprendre un peu de pouvoir sur la situation, non pas en cherchant à changer l’autre, mais en choisissant comment je veux y répondre.
Et ce chemin n’a rien d’évident. Il demande de ne pas confondre responsabilité et culpabilité.
On peut reconnaître ses maladresses, ses réactions inadaptées, ses silences pesants… sans pour autant nier les injustices subies ou les comportements toxiques de l’autre.
C’est cette posture nuancée, à la fois lucide et bienveillante, qui ouvre la porte à un changement réel. Parce qu’elle sort des rôles figés du "bourreau" et de la "victime", pour entrer dans une dynamique de croissance et d’autonomie.
Pourquoi cette posture est essentielle en coparentalité
Dans le contexte particulier de la coparentalité après séparation, continuer à s’enfermer dans le conflit ou dans une lecture binaire du passé a des répercussions profondes.
D’abord sur les parents eux-mêmes, qui restent piégés dans une tension émotionnelle chronique.
Mais surtout sur les enfants, qui sont les premiers exposés à ces clivages.
Lorsqu’un enfant entend ou perçoit (même de manière subtile) que l’un de ses parents est le "gentil" et l’autre le "méchant", il se trouve confronté à des loyautés impossibles. Il doit choisir, trancher, mentir parfois pour ménager l’un ou l’autre, ou porter le poids d’un conflit qui ne lui appartient pas. Cela crée un climat d’insécurité affective et de confusion identitaire.
Sortir de cette logique, c’est permettre aux deux parents de :
• Revenir à leur rôle éducatif, et non défensif ;
• Créer un cadre plus prévisible et sécurisant pour l’enfant ;
• Apaiser leur propre souffrance, en brisant les cycles émotionnels répétitifs.
Il ne s’agit pas de faire « comme si » tout allait bien, ni de nier les conflits passés. Il s’agit d’habiter autrement son rôle de parent, en prenant soin de ce qui peut encore être réparé, réajusté ou simplement respecté.
Et si nous changions la question ?
Plutôt que de demander :
❌ "Qui a tort ?"
On pourrait se poser :
✅ "Qu’est-ce que je peux faire maintenant pour sortir de ce cycle ?"
✅ "Quelle est ma zone d’action, même minime ?"
✅ "De quoi ai-je besoin pour me sentir moins enfermé.e dans un rôle de victime ou de coupable ?"
Ces questions ne cherchent pas à minimiser la réalité. Elles cherchent à l’habiter autrement. À redonner du mouvement à des postures figées, à rouvrir des possibles là où tout semblait verrouillé. C’est un passage de la réaction à la responsabilité, de l’accusation à l’introspection.
Pas pour s’effacer, mais pour redevenir un parent capable d’initier un changement, même modeste, même unilatéral au départ.
Une autre voie que le tribunal intérieur
Chaque situation est unique. Certaines séparations sont violentes, certains comportements destructeurs, certaines blessures profondes. Il ne s’agit pas ici de nier ces réalités. Mais dès lors que l’un des deux parents est en capacité de prendre un peu de recul, de remettre de la conscience dans les interactions, un espace s’ouvre.
Et cet espace, c’est celui d’une transformation possible.
Pour soi.
Pour l’autre.
Et surtout, pour l’enfant.
Car finalement, la vraie question n’est peut-être pas :
"Qui a commencé ?"
Mais bien :
"Qui aura le courage d’être le premier à commencer… à changer ?"
Jessica Libert
Thérapeute parentale et familiale
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