06/07/2025
Il y a quelques années de cela, l'HUDERF (hôpital des enfants Reine Fabiola) participait à une étude multicentrique, avec 4 centres français, visant à évaluer les effets du modèle de Denver, une méthode d'intervention pour l'autisme tout droit sortie des USA. En Belgique, nous étions les seuls à proposer cette prise en charge. L'article vient de sortir dans le British Medical Journal of Mental Health. Une belle expérience pour moi, même si la coordination d'un tel projet, pour la Belgique, n'a pas été simple tous les jours !
Le Denver est un modèle d'intervention précoce et intensif qui partage certaines caractéristiques avec l'ABA tout en s'en détachant sur des points précis comme les niveaux de guidance proposés lors des apprentissages (de la plus légère à la plus importante- le contraire de l'ABA) ou encore le type de renforçateurs utilisés (intrinsèques ou sociaux). La collecte des données est par contre tout aussi minutieuse, permettant ainsi de suivre attentivement l'évolution de l'enfant. Quant aux objectifs de travail, ils sont calqués sur les étapes du développement ordinaire et travaillés dans un ordre précis.
Deux ans de prise en charge, avec 2 groupes de très jeunes enfants : l'un bénéficiant du Denver et de prises en charge plus traditionnelles er pluri; l'autre dans les mêmes conditions sauf le Denver. Les résultats extrêmement positifs vantés par les recherches américaines n'ont pu être répliqués dans notre étude. Si on s'arrête sur les conclusions générales (chiffres) : peu d'évolution d'un point du vue développemental ou interpersonnel. Seul le langage a montré des signes d'évolution. Pas ou peu d'évolution lorsque les professionnels utilisent des outils de mesure standardisés. Mais quand on dit pas ou peu d'évolution, c'est en comparaison avec les enfants qui n'ont pas bénéficié de cette méthode. Donc ce n'est pas que "ca ne marche pas". C'est que ce n'est pas supérieur aux autres approches ! Par contre, les parents, eux, ont le sentiment que leur enfant a progressé et que les interactions et les moments de jeux libres sont plus faciles. Tout cela pour dire quoi ?
(1) Qu'aucune méthode n'est universelle. Ce qui est aide une personne ne sera pas bénéfique pour une autre.
(2) Que le développement des enfants avec un TSA diffère du développement des enfants sans TSA
(3) Que la vision des professionnels ne correspond pas nécessairement à celles des parents.
(4) Que les mesures chiffrées (QI, Quotient de développement...) ne sont pas le meilleur moyen d'évaluer des progrès subtiles : un chiffre reste un chiffre et ne dit pas tout.
Et donc :
(1) a. Arrêtons de faire croire aux parents qu'il y a des "traitements miraculeux". Car aujourd'hui encore, de fausses promesses circulent. Je ne parle pas du Denver, en partie bien pensé mais qui, selon moi, n'est bénéfique que pour des enfants ayant déjà quelques prérequis socio-communicationnels. C'est ce que l'on a observé dans notre étude mais qui n'apparaît pas dans les résultats globaux.
b. Promulguons des interventions ciblées, basées sur les besoins précis de la personne. Non, l'ABA ne convient pas à tout le monde. Pas nécessairement besoin d'un horaire TEACCH si la personne n'a aucune difficulté avec les changements, les transitions. Certaines personnes répondront positivement à la mise en place d'une CAA gestuelle tandis que d'autres auront besoin de visuel (ex: PECS)...
(2) Rappelons que les étapes du développement, en cas de TSA, sont généralement chamboulées et ne suivent pas la même logique que celle du développement classique (ex : ordre, temporalité...). Arrêtons de vouloir faire rentrer ces enfants dans des cases normatives qui les enferment et ne leur correspondent pas. Aidons-les à grandir pour ce qu'ils sont et pas comme la société voudrait qu'ils soient.
(3) Les modèles de guidance/coaching parental doivent être accessibles au plus grand nombre car ils permettent aux parents de se sentir plus en confiance et de monter en compétences face aux challenges qui découlent du TSA. Ce qui est perçu comme un manque de progrès, en cabinet, peut au contraire être un vrai changement pour le quotidien des familles.
(4) Enfin, n'oublions jamais de nous pencher sur l'aspect qualitatif de nos interventions. Car si l'on se cantonne à des chiffres, on risque fort de passer à côté des progrès certes moins impactant sur les scores des tests mais qui constituent des petites victoires si précieuses à nos yeux.
Pour avoir été activement impliquée dans cette recherche, je suis sûre que le modèle de Denver à des choses à nous apporter à condition de pouvoir définir au préalable le profil des enfants qui en retireraient des bénéfices (et j'en ai vus) et, peut-être, de modifier certains aspects de la méthode en elle-même (mais alors, est-ce encore du Denver ?😉).
J'en profite pour saluer ici les intervenants de l'unité d'intervention précoce en autisme de l'HUDERF qui se sont impliqués auprès des enfants à cette période (dont Audrey, Maude, Claudine, Wivine, Trecy, Hélène...), Lesley du CRA pour les évaluations et les Dr Stanciu et Massat comme médecins-référents de l'unité. Car derrière les auteurs d'une publication, il y a des équipes motivées qui travaillent souvent dans l'ombre 😃 !
Pour lire cet article, suivez ce lien : https://mentalhealth.bmj.com/content/28/1/e301424
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