17/08/2025
Courrier écrit par ABI B, infirmière consultante en soins de santé.
Lettre ouverte à Monsieur Frank Vandenbroucke, au gouvernement belge, et à tous ceux qui prétendent encore gouverner un système qu’ils ont abandonné Hier, je me suis rendue chez ma neurochirurgienne. Elle m’a informée que je devrais être réopérée le 23/09. J’aurais dû attendre. Longtemps. Trop longtemps. Mais j’ai, dans mon malheur, cet étrange privilège : avoir consacré plus de trente ans de ma vie aux soins. Je connais l’équipe de neurochirurgie de l’hôpital Érasme. Cela m’a permis d’avancer la date. Et je m’interroge. Que deviennent, dans ce système à deux vitesses, Monsieur et Madame Tout-le-Monde ? Ceux qui ne connaissent personne. Qui les aide, lorsqu’ils sont dans l’angoisse ou dans la douleur ? Je me pose aussi cette question que tant de patients taisent : qu’avons-nous fait de notre système de santé ? Il fut un temps — pas si lointain — où l’on respectait la convalescence. Une opération ouvrait droit au repos, non à l’angoisse administrative. On ne se relève pas d’une intervention neurochirurgicale d’un simple coup de Tweet. Aujourd’hui, ce temps est révolu. Je me demande, moi qui ai tant donné : si l’intervention échoue, aurai-je encore droit à la mutuelle ? À ces droits pour lesquels j’ai cotisé sans relâche ? Jamais été au chômage. Jamais pris de congé de maternité, ni d’allaitement. Toujours travaillé à temps plein, au service de ce système que vous avez vidé de sa substance. Et pourtant, ce n’est pas à ma santé que je pense, mais à la ruine silencieuse qui pourrait s’abattre sur moi si l’intervention tournait mal. Vous avez transformé un pays digne et solidaire en une caricature bureaucratique, où l’iniquité se déguise en gestion. Pendant que vous vous octroyez salaires vertigineux, chauffeurs, appartements de fonction, nous comptons les franchises médicales. Pendant que vous placez vos proches à des postes confortables, nous attendons une IRM comme on attend une grâce. Certains d’entre vous utilisent même des cartes de stationnement pour personnes handicapées afin d’éviter une amende. La vulgarité n’a même plus le bon goût de la honte. Et nous, que nous reste-t-il ? Une colère polie. Une fatigue infinie. Je vous ai vus. Passer discrètement les portes des hôpitaux. Contourner les files. Tutoyer les chefs de service. Pratiquer ce qu’il faut bien appeler un stoumeling médical de haute volée. Pendant ce temps, Monsieur et Madame Tout-le-Monde attendent. En silence. En souffrance. En colère. Aujourd’hui, je suis patiente. Mais je travaille encore. Non par choix, mais pour fuir l’étiquette de “profiteuse” que vous avez contribué à faire prospérer. Je vous écris avec retenue, mais sans indulgence. Avec respect pour mon métier, mais sans illusion. Vous m’avez profondément dégoûtée. Mais je n’abandonnerai pas. Parce que d’autres n’ont plus la force de parler. Parce que le soin ne se brade pas. Et parce que, quoi qu’il vous en coûte : la dignité ne se négocie pas.