13/04/2024
Alexandre Stevens s’est attelé à commenter, à la Section Clinique de Bruxelles, le syntagme de Lacan « il n’y a pas d’acte sexuel », formulation nouvelle qui a donné le titre du chapitre 13 du Séminaire XIV Le fantasme. En voici quelques extraits :
« C’est la troisième fois que Lacan dévoile un grand secret de la Psychanalyse. C’est à chaque fois, une affirmation majeure, un tournant même. La première fois c’est dans le Séminaire III:“ Le grand secret de la Psychanalyse, c’est qu’il n’y a pas de psychogenèse”. Le deuxième grand secret est dans le Séminaire VI : “Il n’y a pas d’Autre de l’Autre”. C’est dans le Séminaire XIV que Lacan introduit un troisième grand secret : “Il n’y a pas d’acte sexuel”. Cette formule anticipe sur celle plus connue “Il n’y a pas de rapport sexuel” qui apparaîtra un peu ultérieurement et qui est le titre donné pour le prochain Congrès de l’Association Mondiale de Psychanalyse ».
Dans un compte-rendu du Séminaire XIV, publié dans les « Autres Ecrits », Lacan souligne l’écart qu’il y a entre deux formules. La première “Il n’y a pas d’acte sexuel, sous-entendu qui fasse le poids d’affirmer dans le sujet la certitude de ce qu’il soit d’un sexe”. Et la seconde “Il n’y a que l’acte sexuel.” Et cette seconde formule implique, dit Lacan, “dont la pensée ait lieu de se défendre pour ce que le sujet s’y refende”. Il n’y a que l’acte sexuel parce que l’inconscient ne parle que du sexe. C’est après tout, la position freudienne. L’inconscient est dans les discours sur la sexualité. A la p.257 du Séminaire XIV : “L’inconscient, son statut scientifique puisqu’il s’origine du fait de la science, c’est le sujet en tant que, rejeté du symbolique, il reparaît dans le réel, y présentifiant ce qui est maintenant fait accompli dans l’histoire de la science, à savoir son seul support, le langage lui-même. De quoi parle le langage ? Il parle du sexe”. La science a expulsé le sujet du langage, elle crée des formules dans ce langage sans sujet. La formule d’Einstein E=mc² est par exemple, un signifiant maître sans sujet. C’est en cela que la science extrait le sujet du langage à partir de Descartes. C’est l’inconscient et la psychanalyse qui y trouvent leur statut scientifique en tant que surgissant de la science. Comme la science élimine le sujet, ce sujet se récupère dans un langage où surgit l’inconscient. “Ce langage parle du sexe mais il en parle d’une parole dont l’acte sexuel représente le silence”, formule Lacan. C’est-à-dire qu’il n’y a que l’acte sexuel au sens où l’inconscient ne parle que de cela et en même temps, l’acte représente le silence, cela reste un ensemble vide. L’inconscient parle du sexe en ceci qu’il parle des différents objets partiels qui sont, à la sexualité, dans un rapport de métaphore et de métonymie. Les objets a, objets du désir extraits sur le corps de l’autre, métaphorisent le désir. A la fois, il représente et il décale le désir sexuel par rapport à un partenaire. Et métonymie parce qu’on passe d’un objet à l’autre dans la série. En d’autres termes, “l’acte sexuel est ce dont parle l’inconscient mais dont la pensée est le lieu de se défendre pour ce que le sujet s’y refend”. C’est la structure du fantasme qui s’évoque ici. Refente du sujet, c’est-à-dire sa division qui laisse un reste : l’objet partiel. Division entre sa part mortifiée dans le signifiant (S barré) et sa part de vivant, de jouissance (l’objet a). Il n’y a que l’acte sexuel car l’inconscient ne parle que de cela et à la fois, il n’y a pas d’acte sexuel. »
« Que recouvre le concept d’acte pour Lacan ? L’acte comme tel n’est pas une action, fût-elle motrice. “Ce que j’ai appelé l’acte, c’est le redoublement d’un effet moteur, aussi simple qu’un je marche qui fait qu’à se dire seulement, d’un certain accent, il se trouve répété. Et ce redoublement prend la fonction signifiante qui le fait pouvoir s’insérer dans une certaine chaîne pour y inscrire le sujet,” dit Lacan p.259. L’acte demande en l’occurrence trois temps : Premièrement, il y a un effet moteur de mouvement qui n’est pas un acte mais une action ; par exemple “je marche.” Deuxièmement, il y a un redoublement dans un dire : l’action de marcher est répétée dans un dire et cela inscrit le mouvement dans la chaîne signifiante, en le répétant. Troisièmement, cela inscrit le sujet comme effet de cette chaîne “Je suis marcheur” ; on repère la dimension d’acte qui produit un effet sujet ».
« Ce qui manque à l’acte sexuel pour que ce soit un acte, c’est que le sujet puisse s’y inscrire décidément comme sexué, comme homme ou comme femme, dans cette dimension qui lui soit particulière. Dans l’acte sexuel, le sujet peut-il en conclure que de ce fait, il est homme ou femme et du même coup peut-il trouver quelques subjectivations du sexe qui permette d’instaurer l’autre comme du sexe opposé ? Tout dans l’expérience psychanalytique parle la contre. Si l’acte sexuel existait comme acte, cela donnerait l’idée de ce qu’est la subjectivation du sexe. Cela produirait un sujet qui puisse totalement se subjectiver comme mâle dans un acte sexuel avec sa partenaire. Or, se subjectiver comme mâle relève d’une opération signifiante. »
« Il n’y a pas d’acte sexuel car il n’y a rien dans le mouvement qui se fait entre deux sujets au moment de la copulation qui permette d’affirmer “je suis mâle” ou “je suis femelle”, comme répétition de cet acte et qui donne cet effet sujet. Donc, au contraire, tout reste là dans l’incertitude, ou pas tout à fait dans l’incertitude mais dans le symptôme. »
Extraits choisis par Sophie Boucquey, participante à la Section Clinique de Bruxelles.