04/20/2025
Pourquoi recevoir un compliment nous rend-il mal à l’aise ?
FLORENCE DANCAUSE
LA PRESSE 2025-04-20
Une personne vous complimente et vous ressentez un malaise ? Vous rejetez tout de suite la gentille remarque ou vous attribuez le mérite à d’autres ? Mais pourquoi est-ce difficile d’accepter les compliments ?
Plusieurs facteurs expliquent nos sentiments ambivalents, indiquent les experts interrogés par La Presse. Quelques recherches se sont intéressées aux niveaux d’acceptation des compliments, en s’attardant particulièrement aux différences entre nationalités. Par exemple, au Japon, 45 % des compliments analysés dans une étude de 2022 de l’Université de Keio, à Tokyo, ont donné lieu à une réponse négative, alors que c’est plutôt 12 % pour les Sud-Africains dans une autre étude de 2024.
Christopher Littlefield, un chercheur américain spécialisé en culture d’entreprise, a interrogé en 2008 plus de 400 Américains sur les marques de reconnaissance. Bien que la première chose que les gens ressentent est le sentiment de valorisation (88 %), près de 70 % d’entre eux éprouvent de l’inconfort. Selon lui, la réception d’un compliment génère souvent une surprise : on peut figer, être pris au dépourvu et ne pas savoir comment répondre, ce qui occasionne… de la gêne.
Une autre explication serait le syndrome de l’imposteur, relève le neuropsychologue Mathieu M. Blanchet.
« Ça nous met sur un piédestal. Si je n’ai pas l’impression que je mérite le compliment ou que je ne serai pas capable de maintenir ces attentes-là, je vais rapidement essayer de le minimiser. »
— Mathieu M. Blanchet, neuropsychologue
Ce syndrome est plus présent si notre estime de soi est basse, parce que ça ne concorde pas tout à fait avec notre récit interne. Une personne avec une meilleure estime de soi est « plus apte à faire une évaluation juste de la situation », souligne Mathieu M. Blanchet. « La personne peut se dire : “J’étais bon aujourd’hui, mais ça se peut que je ne réussisse pas aussi bien la prochaine fois, et ce n’est pas grave” », illustre-t-il.
Selon une étude ontarienne de l’Université de Waterloo, parue dans le Journal of Experimental Social Psychology en 2017, les compliments créent plutôt de l’anxiété chez les personnes avec une faible estime de soi. Les compliments remettent en question leur vision d’elles-mêmes, qui serait négative, et leur donnent l’impression d’être incomprises.
Nous pouvons ressentir un inconfort plus grand encore si le compliment nous est adressé lorsque nous sommes en public. « Ça peut mettre mal à l’aise parce qu’on peut appréhender la réaction des autres, concède la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier. On ne veut pas susciter de jalousie ou d’envie. » Surtout que paraître imbu de soi-même est souvent mal vu dans la société, ajoute-t-elle.
« Plusieurs ont aussi été éduqués à ne pas se mettre de l’avant, que ce soit par les parents, au niveau religieux ou culturel. »
— Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue
Ce trait serait plus marqué chez les femmes. « On a pu nous apprendre à être humbles [en tant que femmes], parce que d’une certaine façon, recevoir un compliment, c’est aussi affirmer notre fierté et qu’on fait bien les choses », suggère Geneviève Beaulieu-Pelletier.
D’après une étude américaine, publiée dans Language in Society – mais qui date déjà de 35 ans –, seuls 22 % des compliments faits par une femme à une autre ont été acceptés (reconnus ou approuvés comme tels), et 40 % des compliments faits par un homme à une femme l’ont été. Pour Lisane Moses, étudiante au doctorat en psychologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui s’intéresse aux interactions sociales, les femmes sont plutôt habituées à se faire critiquer. Se faire complimenter peut créer une « dissonance cognitive », puisque ça fait sortir de sa « zone de confort », relève-t-elle.
NOUS AIDER À GRANDIR
C’est un consensus parmi les experts : les compliments sont essentiels dans le développement des enfants. « On a besoin du regard de l’autre quand on grandit, souligne Geneviève Beaulieu-Pelletier. C’est comme ça qu’on se construit. »
Selon la psychologue, en tant d’adultes, nous oublions le pouvoir de ces remarques bienveillantes sur nous-mêmes. Les compliments permettent de se sentir reconnu, valorisé et de continuer à se développer, explique-t-elle. Les compliments sincères ont également un effet de récompense sur le cerveau de celui qui le reçoit, a démontré une étude japonaise.
« Quand on rejette le compliment, il ne peut pas se déposer en nous et nous aider dans notre vie. »
— Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue
Ces attentions de la part des autres sont aussi importantes au travail, et au fil de notre carrière, ajoute Mathieu M. Blanchet. « La paie, ce n’est pas nécessairement ça qui est valorisant, dit-il. On recherche une reconnaissance de nos employeurs et ça peut venir de compliments. »
COMMENT ACCEPTER LES COMPLIMENTS ?
SE PRÉPARER
« Parfois, ce qui nous gêne, c’est de ne pas trouver les bons mots », précise Geneviève Beaulieu-Pelletier. On peut donc réfléchir d’avance à une formulation assez simple. « Ça me fait plaisir à entendre » ou « Merci de me le transmettre » ou un simple « Merci » sont quelques idées de réponses, propose-t-elle.
VIVRE LE MALAISE
« On se familiarise avec l’émotion ou l’état physique dans lequel ça nous met », indique Lisane Moses. Et on n’en fait pas tout un plat, s’exclame-t-elle. On freine notre tendance à essayer de diminuer nos réussites et à retourner le compliment, ajoute Mathieu M. Blanchet. On peut aussi carrément faire part de notre inconfort à la personne, conseille Geneviève Beaulieu-Pelletier.
FOCALISER SUR L’AUTRE PERSONNE
Un compliment nous met sous les projecteurs, mais nous pouvons les tourner vers notre interlocuteur. « L’autre est en train de m’offrir une information précieuse », indique la psychologue. Et celle-ci a eu le courage de nous la dire, ajoute Lisane Moses.
ALLER PLUS EN PROFONDEUR
« C’est sûr que juste l’accepter, ce n’est pas ça la panacée, met en garde Mathieu M. Blanchet. Il faut faire le travail de savoir pourquoi tu es mal à l’aise de les accepter. » Ça passe peut-être par mettre des efforts à développer une meilleure estime de nous-mêmes et à ne pas viser à tout prix la perfection, indique-t-il.