01/02/2021
"Faut quand-même être costaud pour encaisser tout ça, toutes ces émotions. Se prendre en pleine gu**le toute cette souffrance.
Être soignant c'est choisir d'être Là, vraiment Là, sans faire semblant, être authentique. Être présent physiquement, psychiquement, de toute son âme quand cette personne est en détresse ou en train de péter les plombs. On est tous les deux Humains, on est animal, et un des premiers réflexes quand on est au plus mal c'est de chercher la présence de semblables. Tout d'un coup, cette personne que vous ne connaissez pas vraiment a besoin de vous au plus haut point.
Besoin de vous pour hurler sa rage. Sa rage parce qu'un cancer avancé a été découvert y'a deux semaines et que la vie est une sale chienne parce que son hygiène de vie était irréprochable, que la petite dernière n'a que 20 ans, que tous les jours c'est un médecin différent qui lui explique des choses impossibles à entendre... Alors là c'était l'élément, l'annonce de trop, et vous vous transformez un punching-ball géant. Vous prenez toute cette colère dans la tronche. Des mots violents, des gestes brusques. Des larmes de détresse et de colère. Vous prenez le temps, essayez de calmer cette tempête en étant là, à l'écoute, en tentant de répondre à ce trop plein qui a juste besoin d'être déversé.
Besoin de vous pour tenir encore un peu. Quand son corps le lâche, quand le cerveau ne suit plus. Ses paroles sont incohérentes, sa respiration est difficile. Il se sent étouffer. Sa fille a appris sa grossesse en même temps que lui, apprenait son cancer. Alors il faut tenir encore un peu pour voir le bébé, allez, toucher sa peau douce juste une fois. Au moins voir le ventre de sa petite à lui s'arrondir un peu. "Restez avec moi, tenez moi la main..." Alors on reste, on appelle partout. Le médecin, la famille. Il faut venir. Oui maintenant. Tout le monde s'agite autour, puis Il n'y a plus rien à faire... Il reverra sa fille, une fois. Et il s'éteindra avec une photo d'échographie posée sur le coeur...
Besoin de vous pour calmer son angoisse car le souffle est de plus en plus court.
Besoin de vous pour ne pas se sentir seul.
Besoin de vous pour soulager la douleur qui finit toujours par revenir.
Besoin de vous pour rire de bon coeur et se changer les idées au moins une fois dans la journée.
Besoin de vous pour conserver son autonomie, parce que même si ça ne sera jamais comme avant, un retour à domicile est envisageable....
La liste peut être encore longue. Ça n'était que la journée de jeudi dernier. Ça aurait pu être mardi, ça pourrait être un dimanche. On est témoin de ces histoires tous les jours. On est costaud, comme on peut. On essaie de se protéger, grâce à l'équipe, avec de l'humour noir, avec nos croyances, nos passions...
Parfois on craque, on pleure, nous aussi on s'énerve contre les mauvaises personnes une fois à la maison. On ressent une urgence à vivre, ou une urgence à mettre tout le monde à l’abri. On a conscience plus que personne que la vie est maintenant, plus t**d n'existe peut-être pas. On aime à la folie et on n'a pas peur de le dire trop ou trop vite.
Ha ça, on se sent utile. On sait pourquoi on se lève le matin. Mais quand le réveil sonne, on se demande parfois combien de temps on va encore pouvoir tenir à faire ce métier qu'on aime tant mais qu'on arrive parfois à détester."
By Manue Rch
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