Texte publié dans le recueil collectif “Nos Herboristes” de Kelanie Chapdelaine, 2016
Quand j'étais petite, je voulais devenir comédienne. Ou des fois, chanteuse aussi. Rien de bien original, mais moi c'était pour vrai. J'ai gardé ce rêve bien au chaud dans mon cœur, en grandissant. À quatorze ou quinze ans, je lisais Elle Québec et je suis tombée sur des recettes pour maigrir avec les plantes médicinales. J'étais curieuse alors je suis allée voir à l'adresse indiquée sur l'article : Herboristerie Chantal Desjardins, sur la rue Mont-Royal. Elle n'existe plus aujourd'hui. C'était tout près de chez moi, à l'époque. Quand j'y suis entrée, les pots alignés sur les murs et les odeurs des plantes séchées ont éveillé chez moi le sentiment profond d'être « revenue à la maison » . J'ai essayé les fameuses tisanes, sans vraiment les trouver intéressantes( aujourd'hui je suis très curieuse de ce qu'elles contenaient, je me rappelle qu'il y avait du Noyer Noir, entre autres). Puis, inspirée, j'ai commencé à fouiller dans la bibliothèque de mon école pour voir s'il y avait des livres sur les plantes. C'est là que je suis tombée sur Maurice Mességué et Jean Palaiseul, et d'autres... je découvrais l'herboristerie française. Quelques mois plus t**d, la chercheuse naissait : je me rappelle encore de la fébrilité qui s'emparait de moi quand je copiais les propriétés des plantes qui m'intéressaient et les recettes aphrodisiaques sur un petit cahier. Aphrodisiaque, oui! Parce que j'étais une « raveuse », je voulais augmenter l'intensité des sensations de façon naturelle. Je suis finalement devenue une « pusher » d'huile à massage sensuelle à la polyvalente ( découverte du Ylang-ylang), puis plus t**d de ma fameuse tisane pour dormir( découverte de la Valériane et de la Passiflore!).
À seize ans, en plein éveil spirituel et en quête de mes origines celtes, je fais un rêve symbolique : je vois une lignée de vieilles femmes, il me semble qu'elles étaient habillées en noir et en gris, elles me font penser à des belles sorcières. La dernière de ces femmes me dit quelque chose comme : c'est à ton tour maintenant, c'est ça ta mission.Quand je me réveille, j'ai la confirmation intérieure d'un sujet que j'avais commencé à aborder avec moi-même depuis quelques temps : je ne veux plus être comédienne. Non, je veux être une sorcière, plus précisément une herboriste. Peu importe les montagnes que j'aurai à gravir, les voyages que je devrai faire et la société à défier( j'étais bien sûr déjà rebelle, en pleine adolescence !), peu importe si ce métier existe encore, moi je réussirai à le remettre au goût du jour et même à en vivre. À ce moment, en 1995, je ne sais pas qu'il y a déjà des cours qui se donnent au Québec, qu'il y a un renouveau de l'herboristerie occidentale, que Santé Canada commence à vouloir réglementer tout ça et que la Guilde vient d'être créée. Alors je continue ma quête autodidacte : je vais à la bibliothèque du Plateau, je lis tous les livres possibles, je remplis des cahiers canada de notes, de tableaux synthèses, je continue mes expérimentations avec l'huile à massage et la tisane sédative ... je suis très motivée! Je découvre alors les Fleurbec et je commence religieusement mes cueillettes et mes séchages( c'est là que je suis tombée en amour fou avec l'achillée). Puis, coup de théâtre, la nouvelle blonde de mon cousin projette d'ouvrir une herboristerie culinaire aux Iles de la Madeleine! Je me dis qu'un jour, j'irai apprendre auprès d'elle. Pour l'instant, je me contente de faire un magnifique CV avec des plantes séchées je crois, que j'irai porter avec confiance, moi l'adolescente de dix-sept ans, à la Bottine aux Herbes. J'y travaillerai quelques semaines, mais mes compétences ne s'avèreront pas aussi puissantes que mon ambition, j'ai encore des croûtes à manger!
Après discussion avec le paternel, je décide de m'en aller au Cégep en sciences de la santé, pour éventuellement faire médecine : on n'apprend pas l'herboristerie à l'école( que je croyais), je veux connaître bien le corps humain et faire évoluer la médecine conventionnelle. Mais faisant un détour en Lettres, je tombe amoureuse de la philosophie, de la littérature et du cinéma. Ce qui ne m'empêche pas de continuer à emprunter et acheter des livres sur les plantes, de rencontrer un druide en Bretagne, une sorcière au Mexique et d'accumuler des plantes étranges que je finirai par jeter un jour parce qu'elles sont trop vieilles...
C'est après le décès de mes parents que je quitte la ville. Je me retrouve à vivre dans un teepee, en communauté, dans un rang forestier du Témiscouata. Je cultive mes premières plantes médicinales : spirale de calendule, cœur d'échinacée, mélisse, cataire... j'ai dix-neuf ans. J'apprends à connaître les plantes en forêt, je rencontre l'usnée, le sapin baumier, la trille, l'ail des bois, j'écoute le secret du vent et des ruisseaux, je comprends le cycle des saisons et la magie de la graine au fruit. Peu de temps après, je fais mon premier stage à l'Anse aux Herbes, aux Iles de la Madeleine. Je découvre Danièle Laberge et Herb-Art chez Nouane, je tombe en amour! Enfin une québécoise qui me comprend, qui voit la nature de la même façon que moi! Je lis ses mots comme du nectar précieux. Nouane, quand à elle, m'apprend à faire mon premier tonique à l'ail, ma première huile de calendule, mon premier onguent de consoude. Je reviens chez moi et je prépare mes potions. Ça me rappelle celles que je faisais petite : je faisais macérer des plantes, des fruits, et je ne sais quoi, dans des bocaux avec de l'eau et je laissais ça sur les rebords des fenêtres au soleil, au grand désespoir de mes parents!
Une autre année passe, puis je me retrouve à la fin de l'été suivant, dans un rassemblement alternatif en forêt, en train de soigner les gens en leur faisant de la tisane de feuilles de fraisier (devinez pour quoi!) avec grand succès et en passant partout pour donner des gouttes d'élixirs floraux que j'avais fait depuis les deux derniers étés. Je « trippe ma vie » ! C'est là que je décide d'étudier à l'Herbothèque, dont Natacha Imbeault vient de devenir propriétaire. L'été suivant, je me retrouve en stage à Viv-Herbes, chez Chantal Dufour. J'y resterai six mois, et ce que j'ai appris cet été là constitue encore aujourd'hui une base solide sur laquelle j'ai construit. J'ai tellement faim de connaissances, Chantal est très généreuse de son savoir et de son expérience comme thérapeute, on travaille fort et elle m'emploie même pour faire des visites de jardins. Mine de rien, ça fait à ce moment-là six ans que j'étudie l'herboristerie, là je commence à savoir de quoi je parle !
Suite à ce stage, je démarre l'herboristerie artisanale « Les Produits de Fée ». Je fais des expos pendant plusieurs années, mais pendant ce temps, je décide d'étudier à Flora Medicina ( une des plus belles décisions de ma vie), car mon objectif, c'est de devenir thérapeute, spécialisée en santé des femmes. J'aime l'utérus, j'aime les hormones féminines, j'aime la spiritualité féminine et j'aime être une femme et je veux inspirer les autres femmes à honorer leur corps et leur être. Je m'implique à la Guilde des Herboristes, je m'implique dans son Aile Professionnelle et voilà, je suis lancée... avec le temps, je deviens clinicienne, simplement par la force des choses : je pratique dans une clinique multidisciplinaire, je vois beaucoup de femmes, j'apprends sans cesse, je discerne maintenant la complexité de la pratique, entre la théorie et l'expérience clinique. Un jour, on me contacte de la France pour co-écrire un livre car on a entendu parler de moi en santé des femmes. La vie se charge bien de m'amener là où elle veut que j'aille! Et ainsi de suite, j'apprends, je pratique et je réalise avec le temps que plus j'en sais, moins j'en sais.
Maintenant âgée de trente-sept ans, je continue à marcher le chemin que j'ai entamé à l'âge de seize ans... et tout ça parce qu'un jour, je suis tombée sur un article d'Elle Québec et que j'ai fait un rêve saisissant, que j'ai pris au sérieux. Oui, j'ai écouté ce que la Vie avait à me dire, j'ai bâti pierre par pierre ma carrière, en co-création avec elle, et à aucun moment, aucun, je n'ai regretté mon choix. Ça n'a pas toujours été facile, à tous les niveaux. Mais de vivre un métier sain, en cohérence avec mes valeurs, ça n'a pas de prix. Les plantes sont mes meilleures amies, mes alliées depuis plus de vingt ans maintenant. Elles m'ont sauvé la vie à plusieurs moments! Au niveau de mon corps oui, mais surtout, au niveau de mon âme! Parce que pour moi, être herboriste, c'est de servir de courroie de transmission, de reliance entre la nature et les humains, c'est d'être au service de la Terre et de sa conscience. Maintenant étudiante à la maîtrise en étude des pratiques psychosociales à l'UQAR, je suis en phase d'intégration de tous mes chemins, de toutes les parties de moi. Je suis à l'étape où je suis prête à intégrer consciemment la “sorcière” à la clinicienne, la femme-médecine à la chercheuse. Je ne sais pas trop comment faire, ayant vécu ces deux vies un peu en parallèle, mais je tente de mon mieux de continuer à écouter quand la Vie me parle, de pousser là où elle veut me faire pousser. À travers mes consultations, mes Skype un peu partout dans la francophonie et mes études à l'université, je jardine mes alliées, je prépare mes teintures, je bois des sirops de sorcière( bon, des toniques d'adaptogènes si vous préférez! ) et des tisanes de basilic sacré... en tout cas, quoi qu'il arrive, une herboriste-thérapeute, toujours je serai !