03/19/2024
😊J’ai été cité dans l’article paru dans le journal La Croix, en France:
Au Québec, des médecins prescrivent des remèdes littéraires
(Crédits : CHU de Québec-Université Laval - Bibliothèque de Québec)
Un projet pilote québécois, mené conjointement par un centre hospitalier universitaire et une bibliothèque, permet à des professionnels de la santé de prescrire une quarantaine d'ouvrages à leurs patients. L'initiative est un nouvel indice d'une relation qui se réinvente entre le médecin et son patient, dans le monde anglo-saxon.
Au Québec, les médecins ne prescrivent plus seulement que des médicaments. Oscar et la dame rose, d'Éric-Emmanuel Schmitt ou Le guerrier pacifique, de Dan Millman, se retrouvent désormais, avec quarante-trois autres ouvrages, sur des carnets de prescription fournis à des professionnels de la santé, dans le cadre d'un projet pilote. Durant un rendez-vous, ils peuvent cocher sur ces carnets les livres qu'ils veulent prescrire à leur patient. Baptisée « Remèdes littéraires », l'initiative a été lancée par le Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval et la bibliothèque de Québec. Les livres prescrits se retrouvent dans des rayons clairement identifiés de six bibliothèques de la ville, situées proches des centres de soins du CHU.
Le directeur de l'enseignement et des affaires universitaires du CHU de Québec, Patrice Lemay, note un enthousiasme évident pour le projet. Près d'une centaine de professionnels y participent déjà. « Leur entrain est lié à une évolution des soins. Les patients ont un rôle plus actif, veulent être mieux préparés. Les livres peuvent les aider à prendre le contrôle sur leur anxiété, par exemple. » Sur le site du programme, le CHU précise que la lecture de ces livres « n'est pas un substitut » à un traitement.
Les ouvrages choisis sont regroupés par thème : la nutrition, la pédiatrie, la psychologie et les soins spirituels. « C'est devenu essentiel de fournir des œuvres de référence, parce que beaucoup de patients lisent des contenus en ligne qui véhiculent de mauvaises informations », observe Patrice Lemay. Le livre peut agir comme un complément aux mots du professionnel, selon lui. « Les rendez-vous médicaux sont parfois trop courts, le spécialiste ne peut pas toujours tout expliquer. Ces livres peuvent les soutenir. »
« Un honneur d'être prescrite ! »
Parmi les œuvres retenues dans la catégorie des « soins spirituels » figure donc Oscar et la dame rose. L'ouvrage d'Éric-Emmanuel Schmitt raconte l'histoire d'un garçon de dix ans, à l'hôpital en raison d'un cancer. Une infirmière invente un jeu pour qu'il profite davantage de ses derniers jours et lui propose d'écrire à Dieu. « Cet ouvrage, par exemple, permet une réflexion sur la mort et développe une capacité à prendre un pas de recul », dit Patrice Lemay. D'autres livres de la liste suivent des personnages qui doivent affronter une épreuve, « ce qui crée un effet miroir », selon lui.
Sophie Martel, autrice du livre Le Monde d'Éloi : une histoire sur l'autisme, vient d'apprendre que son œuvre figure parmi les remèdes. « C'est un honneur d'être prescrite ! » Elle dit d'ailleurs utiliser énormément la littérature jeunesse dans son autre métier, éducatrice spécialisée, pour aider les enfants qu'elle rencontre à comprendre ce qu'ils vivent. « Ça les amène à parler de leur réalité, à verbaliser certaines émotions, à se dire qu'ils ne sont pas les seuls à vivre telle ou telle chose. C'est souvent thérapeutique, la lecture. Il y a des enfants qui me disent même : " Ce livre-là me fait du bien. "»
Une médecine plus intégrative
« Remèdes littéraires » n'est pas la seule initiative du genre dans le monde anglo-saxon. L'Angleterre tente déjà l'expérience depuis plus de dix ans, en prescrivant des livres comme The Feeling Good Handbook, de David D.Burns, aux patients atteints d'anxiété modérée ou de dépression. « L'ouest canadien a aussi des programmes proches », remarque Patrice Lemay. Il dit assister à un véritable changement culturel : le médecin n'est plus le seul responsable de la santé du patient. « Les gens touchés par une maladie veulent prendre l'ascendant, notamment dans l'aspect préventif. Ces livres, c'est un peu dans le même esprit que la prescription d'activité physique, ou celle d'une balade en forêt. L'idée, c'est d'agir sur différents volets de la vie, que l'on néglige parfois en milieu médical. » Si le succès est au rendez-vous, d'autres bibliothèques pourraient avoir envie de plonger dans ces remèdes.
Alexis Gacon
Reporter