12/24/2024
Lisez cet article dans La Presse d'aujourd'hui.
Incursion dans une ressource intermédiaire qui joue un rôle décisif dans la vie des résidents.
Geneviève Perras jure qu’elle a « la meilleure job au monde ».
Au moment où la copropriétaire de deux résidences intermédiaires (RI) nous fait cette confidence, l’un des résidants hurle dans la salle de bains.
L’intervenant responsable de changer sa culotte d’aisance finit par en ressortir essoufflé, des gouttes de sueur perlant sur son front. On comprend qu’une goutte de savon dans l’œil a déclenché une colère monstre.
Nous sommes dans un duplex situé dans l’est de Montréal où vivent huit hommes autistes et ayant une déficience intellectuelle avec troubles graves du comportement.
Un immense ballon gonflable Omnikin trône au centre de la salle à manger. Les intervenants peuvent mettre le ballon entre eux et un résidant violent. Ainsi, c’est l’objet, et non l’intervenant, qui absorbe les coups.
« La meilleure job au monde », vraiment ?
Mme Perras nous présente Félix, 31 ans, pour le prouver.
À son arrivée il y a deux ans, le jeune autiste qui vit avec une déficience intellectuelle de modérée à sévère faisait des crises à répétition. À chaque repas, il agressait d’autres résidants.
Dès qu’un intervenant lui tournait le dos, Félix l’agrippait violemment pour attirer son attention. « Mon équipe disait : on ne sera pas capable de le garder », raconte Mme Perras, copropriétaire des ressources Léger et Desautels avec Valérie Coombs.
Mais pour ces deux éducatrices spécialisées de formation, pas question de renvoyer Félix à l’hôpital psychiatrique ou dans une résidence à assistance continue (RAC) sans avoir tout tenté. Il arrivait d’une RAC où il était très malheureux. Cela faisait deux ans qu’il attendait pour obtenir un hébergement plus adapté à ses besoins.
« C’est plus rough, les RAC », raconte la maman de Félix, Suzie Coutu. « Le roulement de personnel y est épouvantable. Les cas sont très lourds. Tout est vissé au sol à cause de la violence des résidants. »
Et un retour à la maison à temps plein était trop dangereux. « Disons qu’à l’époque où Félix n’allait pas bien, j’ai eu peur pour ma sécurité », décrit la maman, séparée du père de son fils. Le jeune homme s’en est pris à elle physiquement plus d’une fois.
En plus, dans sa dernière RAC, les intervenants interdisaient au jeune homme tout contact physique avec les autres. Ils lui répétaient : « Non, Félix, on ne se touche pas » alors que le jeune autiste a besoin de contacts humains. « On ne demanderait pas à une éducatrice en garderie de ne pas prendre un enfant dans ses bras », souligne sa mère.
À la RAC ou à l’hôpital, Félix se sentait rejeté ; ce qui aggravait ses troubles de comportement. Il devait également suivre une routine militaire. On lui imposait des moments « solo » durant la journée.
Félix a besoin « d’être avec le monde », ont compris les copropriétaires de la RI. Elles ont assoupli son horaire et aboli le temps où il devait s’occuper seul. Elles prennent les mains de Félix lorsqu’elles échangent avec lui.
Noël : une passion à l’année
Le jeune homme a deux passions dans la vie : les personnages de Disney et Pixar – il en imite 800 – et… Noël. « Félix commence à parler de Noël au mois d’août », dit son père, Claude Castonguay, avec beaucoup d’affection dans la voix.
Sauf que l’attente et l’excitation entourant le grand jour peuvent aussi être problématiques. L’an dernier, durant le mois de décembre, il n’y avait pas une activité thématique chaque jour. « Notre calendrier de l’avent avait des trous, raconte Mme Perras. Ces jours-là, son comportement était catastrophique du matin au soir. »
Nous avons constaté la rapidité avec laquelle la situation peut dégénérer lors de notre visite, quand Suzie a rappelé à son fils qu’il n’avait pas le droit de boire de Coke la semaine – c’est sa récompense du week-end. Félix lui a agrippé la gorge avec ses deux mains pour l’étrangler. Ils se sont mis à plusieurs pour l’éloigner de sa maman.
Pour éviter la multiplication des crises, les copropriétaires ont offert cette année un calendrier de l’avent complet à Félix et ses « colocs ». Le jour de notre visite, la décoration du sapin était au programme.
Des ressources risquent de fermer
Les parents de Félix ne tarissent pas d’éloges envers les copropriétaires dévouées. La conversation prend ici une tournure politique. Ils font valoir que les RI sont sous-financées par le gouvernement québécois.
Félix a besoin d’un « intervenant dédié » �(1 pour 1). Or, Québec accorde – avec la Mesure reliée aux services de soutien ou d’assistance exceptionnels – un financement en deçà du coût réel du salaire d’un intervenant.
En d’autres mots, les propriétaires des RI s’appauvrissent avec cette mesure.
« Il s’agit d’une situation aberrante à nos yeux dans un contexte budgétaire déjà difficile », affirme le directeur des affaires juridiques et gouvernementales à l’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec, Simon Telles.
Sans intervenant dédié, les jeunes comme Félix seraient condamnés à vivre en institution, confirme Mme Coombs.
Dans les dernières années, le gouvernement a créé 1244 places en maisons des aînés, souligne M. Telles. Pour le même coût, près de 3732 places en RI auraient pu être créées. Une place en maison des aînés coûte 992 000 $, contre 317 000 $ pour une place en RI, toujours selon l’Association.
Sans nouveaux investissements ou une accélération des mesures, près de la moitié (43 %) des ressources intermédiaires risquent de fermer d’ici trois ans, selon un sondage mené par l’Association. Cela représente potentiellement 8600 places à trouver ailleurs dans le réseau de la santé et des services sociaux.
En attendant, Geneviève Perras et Valérie Coombs continuent d’exploiter leurs deux RI. Avec leur aide, Félix est devenu beaucoup moins violent qu’avant. Ses parents peuvent désormais l’accueillir à tour de rôle les fins de semaine.
« On a réussi à faire la différence dans la vie de Félix », lance Mme Perras, fière. D’où « la meilleure job au monde ».