04/20/2025
La suite de l’article précédent concerne l’inconfort qui accompagne le fait de faire un compliment
Ne boudons pas notre plaisir
FLORENCE DANCAUSE
LA PRESSE
Un inconfort peut se présenter au moment de donner des compliments. Surtout à des inconnus. Certaines personnes s’abstiennent ainsi d’en offrir, au détriment d’une société plus solidaire, croient les experts.
« On s’expose en complimentant quelqu’un et on peut se faire rejeter, explique le neuropsychologue Mathieu M. Blanchet. On se dit : “Il doit déjà le savoir” ou même “Il va penser que je veux le cruiser, le manipuler, que je fais ça pour un gain”. » L’exercice peut être plus simple avec des proches. Mais il s’avère particulièrement anxiogène avec des inconnus, relève une étude américaine de 2020 de l’Université de Pennsylvanie et de l’Université Cornell.
Lors de l’étude, les chercheuses ont demandé aux participants de faire un commentaire spécifique (par exemple, « J’aime ta chemise ») à la quatrième personne qu’ils voyaient. Systématiquement, les gens surestimaient l’inconfort ressenti par celui qui recevait le compliment. Selon les chercheuses, si l’anticipation d’une interaction avec un étranger provoque de l’anxiété, ce sentiment peut avoir un impact sur l’estimation du risque.
On s’évalue nous-mêmes à travers notre « compétence » à bien articuler notre remarque, alors que les gens évaluent plutôt notre « convivialité », explique la doctorante en psychologie Lisane Moses.
« On s’abstient de donner des compliments parce qu’on sous-estime systématiquement à quel point ils vont être appréciés. »
— Lisane Moses, doctorante en psychologie
Et l’étude a aussi évalué si les participants s’abstenaient par comparaison sociale – ressentaient-ils de la jalousie en donnant un compliment ? –, mais les résultats infirmaient cette hypothèse.
Lisane Moses s’est elle-même donné le défi de donner davantage de compliments à ses proches, à des connaissances plus éloignées, mais aussi à des inconnus. Avoir une peur non fondée de la réaction des gens, « c’est comme un cercle vicieux que je me force à briser », et ça fonctionne, souligne-t-elle. « Je le vis, le malaise de me dire “Je le fais, je ne le fais pas ?” et je fonce quand même. La personne est toujours plus contente qu’on le pense. »
Un autre frein peut être l’impression d’établir une connexion un peu trop intime avec une personne qu’on ne connaît pas beaucoup, explique la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier. « On peut avoir peur d’avoir l’air trop envahissant », dit-elle. Mais en trouvant les « bons mots » et le « bon contexte », une gentille remarque est la bienvenue, rappelle-t-elle.
« Quand c’est sincère, on devrait le dire, s’exclame pour sa part Mathieu M. Blanchet. Il n’y a pas de contre-indication. Oui, ça fait du bien, ça prouve notre reconnaissance, ça crée des liens. »
SE RAPPELER L’IMPORTANCE DES COMPLIMENTS
Justement, les compliments ont une fonction « pro-sociale », affirme Lisane Moses, « c’est pour aller vers les autres ». Donner un compliment, ça permet d’« alimenter et de nourrir une relation, ajoute la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier. C’est une façon de dire “Je t’apprécie” ».
Les chercheuses des universités de Pennsylvanie et Cornell ont aussi constaté que les compliments augmentent le bien-être autant de ceux qui les expriment que de ceux qui les reçoivent.
Lisane Moses croit que les compliments devraient être réhabilités dans notre société et vus comme une façon de se connecter aux autres. En acceptant un compliment, « on donne une belle expérience pour la personne qui l’a offert et ça va l’encourager à en donner d’autres dans l’avenir », s’enthousiasme-t-elle.
« Les compliments peuvent devenir des phares pour nous-mêmes, quelque chose auquel on peut se référer et y retourner », philosophe Geneviève Beaulieu-Pelletier. On ne doit donc pas sous-estimer ses effets sur nous, dit-elle, et sur les autres.