10/17/2024
Dans la vie de tous les jours, nous sur-communiquons des fadaises ennuyeuses. Nous cherchons désespérément des espaces d’écoute authentique, de l’accueil inconditionnel et sans jugement. Pendant les cercles de parole, ressortent les deuils non terminés, la maltraitance de l’enfance, conjugale, professionnelle, les abandons, les peurs, les héritages des générations antérieures, les traumatismes, les accidents, les ruptures, tout un kaléidoscope abondant de larmes restées contenues des mois, des années, toute la vie.
Quelques marcheurs du désert profitent parfois de ce partage pour faire étalage de leur grand savoir, en affirmant indirectement que « tout va très bien madame la marquise ». Derrière de solides murs, ils se barricadent de certitudes sur le monde et sur eux-mêmes. Il est vrai que la souffrance et les épreuves ne sont pas équitablement réparties mais ceux qui pensent être épargnés ou en savoir plus s’échappent parfois, alors qu’ils ont des trésors à partager : comment s’y prennent-ils pour devenir une meilleure version d’eux-mêmes, quels dragons ont-ils vaincu, pourquoi leur chemin a-t-il du sens et comment l’ont-ils trouvé ? Leur histoire nous intéresse davantage que leur ego. Dans les cercles de parole, les stratagèmes pour éviter de parler de soi sont multiples. Il est très facile de prendre l'œuf de parole, parler plusieurs minutes et ne rien dire. Les tactiques consistent à plaisanter, s’engager dans des discours de la méthode, utiliser le « on » à la place du « je » et rester générique, jouer d’un silence calculé. Il arrive même que certains m’agressent pour tenter de fissurer mon autorité. Sans être dupe, je me dis intérieurement « dommage, quelle belle occasion perdue, un trésor restera caché, une blessure continuera de saigner silencieusement ».
Chaque cercle de parole est une opportunité et un risque. J’attends ce moment solennel avec un brin d’impatience, mélangé d’une vague appréhension que l’exercice serve, apporte un peu d’eau à ces gorges desséchées. Tout l’enjeu consiste à expliquer aux plus rétifs ou aux plus rationnels que la parole vraie les libère et participe à la libération des autres. Il s’agit de pousser chacun à livrer une partie de son intimité, même ceux qui ont été dressés à contrôler leurs émotions dans des carrières professionnelles où la lutte pour la survie côtoie les enjeux de pouvoir, les trahisons, les combats de coqs. Le défi est énorme, parfois la magie du désert ne suffit pas pour briser les digues.
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Extrait de mon livre "Cercle Toltèque en désert Berbère" que j'ai écrit en début de pandémie quand j'ai été bloqué 120 jours dans le sud du Maroc.
Le lien vers la présentation du livre est en commentaire de ce post.