06/01/2024
OSONS L’ÉDUCATION :
L’évaluation des apprentissages: parlons des notes!
Il faut changer! Vite! Au plus vite! Pas dans un mois, pas la semaine prochaine, pas demain, mais aujourd’hui et toute de suite même, si possible. Enseignants du Sénégal, vous ne semblez pas être conscients des enjeux, mais surtout de l’impact négatif des mauvaises notes que vous donnez en classe au moment de l’évaluation des apprentissages sur le devenir des étudiants du Sénégal. Votre manière de noter les apprenants perpétue une tradition de sévérité insensée qui remonte de l’époque coloniale.
N'avons-nous pas l’habitude de répéter que le système éducatif sénégalais est une copie conforme des tares et défauts du système français? En matière d’éducation, le Sénégal peut se considérer comme étant l’appendice de la France. En vérité, là où l’école française prend du laxatif pour se soulager, l’école sénégalaise est déjà morte de constipation.
Les étudiants français qui arrivent au Canada pour y poursuivre des études, dix fois plus nombreux que les Sénégalais, se plaignent souvent de leurs notes acquises en France qui frisent parfois le ridicule quand on les compare à celles des étudiants canadiens. Ces plaignants ne savent pas que les Sénégalais ont les mêmes difficultés en manière de notation. Et que même notre système est encore beaucoup plus sévère que ce qui se fait en France en matière d’évaluation.
Dans les lycées et collèges du Sénégal, il est courant de voir un premier de classe avec une moyenne de 12 sur 20. La plupart des bonnes moyennes dans les compositions semestrielles se situent entre 12 et 13 sur 20. Dès l’instant qu’un élève franchit la barre de 11 sur une note de 20, presque tout le monde considère que c’est une bonne note. Dans les séries scientifiques quand un élève a une moyenne entre 14 et 16 sur 20, il est considéré comme excellent.
Tant qu’un étudiant reste dans l’univers clos du Sénégal, ses mauvaises notes pourraient ne pas constituer un problème majeur. Les ennuis commencent réellement quand il sort du pays pour aller vers des écosystèmes éducatifs comme celui du Québec. Les réalités changent alors du tout en tout.
Au Canada, le système de notation des étudiants n’est pas chiffré, on utilise la notation littérale. C’est-à-dire que les notes dans les examens sont traduites sous forme de lettres (A+ A, A-, B+, B, B-; C+, C, C-, D, D-, E) affectées de pourcentages en termes de correspondance. Dans le contexte du Québec où la notation littérale est en vigueur, la majeure partie des notes des étudiants se situe généralement entre A+ et B, c’est-à-dire entre 100% et 75%. Les rares étudiants qui obtiennent des notes se situant dans la catégorie des C, malgré leur réussite, se comportent comme s’ils étaient en échec. Évidemment, c’est parce qu’ils sont conscients que de pareils résultats, au-delà d’altérer leur fierté, tuent en eux aussi la moindre prétention à une bourse d’études ou à un tableau d’honneur.
En vérité, même avec une note de A-, l’étudiant n’a parfois aucune chance de succès dans certains types de compétitions académiques très sélectives, a fortiori s’il a des notes inférieures à un B+. En d’autres mots, il importe de comprendre que beaucoup de jeunes Sénégalais malgré leur mention bien ou très bien obtenue au Sénégal, lorsqu’ils débarquent au Canada, ils se retrouvent dans une situation où ils n’ont aucune possibilité de prétendre à une bourse d’études ou mêmes d’entrer dans certains programmes universitaires, à cause de leurs notes acquises fièrement au pays, mais hélas jugées faibles au Québec, en comparaison à celles des Canadiens.
Les notes des étudiants sénégalais les plus brillants ne peuvent pas rivaliser avec celles des Canadiens qui excellent dans les mêmes disciplines. Cette situation constitue donc un sérieux problème pour la jeunesse sénégalaise qui poursuit des études au Canada. Les étudiants canadiens seraient-ils meilleurs que les Africains? La réponse est mille fois non! Pourquoi des notes supérieures à 17 sur 20 sont-elles très courantes au Canada, mais rares au Sénégal?
L’explication des écarts n’est pas compliquée à fournir. Au Canada, on promeut une pédagogie de la réussite. Il n’existe pratiquement pas d’évaluation surprise; ensuite, l’enseignant ne donne rien en évaluation qui n’a pas été vue et exploitée en classe au préalable. En d’autres mots, l’évaluation au Canada n’est pas un traquenard où l’on cherche par tous les moyens à prendre en défaut l’apprenant. Son but vise à vérifier l’acquisition des connaissances vues en classe, et non pas à tester la capacité de l’étudiant à déjouer des pièges...
Au Sénégal, en revanche, il est courant de voir les enseignants donner pendant l’évaluation des questions qui n’ont jamais été abordées en classe. Les évaluations surprises sont monnaie courante. Les caprices des correcteurs peuvent parfois interférer dans le travail. Sans compter le fait que les corrections sont d’une sévérité écœurante. Les enseignants utilisent dans leurs corrections des barèmes de notation qui commencent à zéro et s’arrêtent à la barre maximale de 15 ou 16 sur 20, tout au plus. Dans tous les établissements du Sénégal et à travers toutes les disciplines existantes, obtenir des notes de 19 voire 20 sur 20 demeure exceptionnelle.
La question fondamentale qui mérite d’être posée aux enseignants est de savoir pourquoi ils portent leurs évaluations sur 20, alors qu’en aucune façon ils ne sont pas prêts à donner à l’élève une note supérieure a seize sur vingt. Même si la réponse à une telle question n’est jamais claire auprès des enseignants, force est d’admettre que cette manière de procéder n’a aucun sens. Le plus paradoxal encore, et il faut le signaler, c’est que beaucoup de correcteurs n’ont aucun état d’âme à distribuer de mauvaises notes, mais lorsqu’il s’agit d’en donner de très bonnes à ceux qui le mériteraient, on dirait qu’ils coupent sur leur propre chair...
L’école sénégalaise va vraiment mal! L’université ne vaut pas mieux. Les mêmes pathologies se poursuivent à travers les cycles et les univers d’apprentissage par voie de vases communicants que le système éducatif a du mal à endiguer.
Si l’évaluation fait partie du talon d’Achille du système sénégalais, n’allez surtout pas croire que ses travers datent d’aujourd’hui. C’est tout le contraire : les problèmes ont toujours été là. Pour preuve, en 1945, Cheikh Anta Diop a obtenu son baccalauréat avec la mention passable. En revanche, l’histoire nous fait penser aujourd’hui que ce n’était pas lui le médiocre, mais plutôt ses propres enseignants. À bien des égards, la bonne note de l’étudiant reflète le travail qualitatif de l’enseignant. C’est pourquoi d’ailleurs, dans des endroits comme le Québec quand les notes sont catastrophiques dans les établissements d’enseignement, c’est plutôt l’enseignant qui est appelé à rendre compte, et non les étudiants. Dans le même ordre d’idée, l’occasion est belle de réveiller ici le triste souvenir que nous avons d’un Professeur en sciences économiques et gestion de l’UGB dénommé F. B. qui terrorisait ses étudiants par ses mauvaises notes. Ce dernier est devenu tristement célèbre pour avoir proclamé un seul admis aux examens de fins d’année dans toute une Faculté, en 1990. Et il en bombait fièrement le torse. De tels résultats, quelles que soient les explications fournies, n’auraient jamais été validés au Canada. Le professeur aurait été remercié illico presto.
Au regard de tout ce qui précède, nous sommes convaincus que les enseignants du Sénégal dans leur écrasante majorité doivent revoir leurs façons d’évaluer les apprenants. En disant cela, nous ne cherchons pas à plaider pour la distribution de notes de complaisance à tout venant. Nous en appelons juste à davantage de logiques et de cohérences de la part des enseignants dans les barèmes de notations, en les exhortant à donner le maximum de points à tout apprenant qui répond correctement aux questions posées. Il est donc grand temps que des raisonnements loufoques du genre « c’est le bon Dieu qui peut avoir partout 20 sur 20 » soient purgés de la tête de certains enseignants. Plafonner la note de l’apprenant à un seuil de 15 ou 16 qu’il ne pourra jamais dépasser en partant, alors que le travail reste noté sur 20, et cela, quelle que soit l’excellence des réponses fournies, c’est une injustice! Quelle aberration!
L’évaluation des apprentissages, c’est du sérieux. Elle engage le futur des apprenants; quand elle est mal faite, elle peut être une entorse fatale au rêve de certains d’embrasser plus t**d certaines carrières. Elle doit être guidée par le bon sens, l’équité, l’esprit de justice et s’adosser principalement aux valeurs du système et au professionnalisme du correcteur. Une mauvaise note quand elle n’est pas justifiée, elle est cassante, démotivante, humiliante et parfois même criminelle. Beaucoup de jeunes sénégalais chaque année sont privés d’admission dans des institutions d’enseignants à l’étranger, et de bourse d’études à cause de leurs mauvaises notes, alors que leur valeur intrinsèque, souvent éloignée de ce que traduisent leurs notes, aurait pu leur permettre d'étudier à l’étranger sans souci. D’ailleurs, n’est-il pas étonnant de constater que les étudiants sénégalais performent dix fois mieux dans les études à l’étranger qu’au Sénégal.
En définitive, affirmer que l’évaluation des apprentissages est un gros problème au Sénégal, c’est une vraie lapalissade. Tout le monde le sait, mais la volonté réelle de s’occuper de ses défis majeurs semble manquer de tout bord. L’évaluation des apprentissages est une responsabilité partagée entre l’État, les enseignants et les acteurs intermédiaires qui assurent la gouvernance des institutions d’enseignement. Forts de ce constat, nous appelons les correcteurs dans tous les ordres d’enseignement du Sénégal à faire preuve de plus de cohérence et de professionnalisme dans leurs démarches évaluatives, même si nous reconnaissons à contrario que les évaluations harmonisées constituent un pas important au Sénégal dans le sens de l’amélioration. Bref, que les évaluateurs sachent que les effets des notes et leurs conséquences sur la vie des apprenants dépassent le cadre légal de leurs obligations professionnelles, ils façonnent ou déstructurent des futurs probables. Enfin, pour ce qui concerne les décideurs, notamment le ministre de l’Éducation nationale et son homologue de l’Enseignement supérieur, nous les exhortons fortement à engager un vrai débat sur les pratiques et les valeurs, impulser ainsi de facto une réflexion profonde sur l’évaluation et ses enjeux dans une perspective de réussite éducative pour tous.
Mamadou Bamba Tall,
Spécialiste en planification et gestion de l'éducation.
Consultant international en Gestion de l'éducation.
Courriel: bambatall@yahoo.fr / Whatsapp: 514-604-2263