11/20/2025
VINCENT LARIN
La Presse
« Je ne comprends pas qu’il n’y ait personne qui se soit grouillé, en bon québécois, alors qu’on a un avion qui pourrit sur le tarmac », s’indigne le président général du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, Christian Daigle, qui représente les pilotes et les agents de bord.
Acquis par le Service aérien gouvernemental (SAG) pour 28,5 millions en août 2024, l’appareil en question, un Challenger 650 de Bombardier, devait permettre de « sécuriser » le Programme d’évacuations aéromédicales du Québec.
Depuis plusieurs années, l’évacuation des patients de régions éloignées souffre de ratés en raison de la vétusté de la flotte gouvernementale qui compte deux vieux Challenger 650 en fin de vie. Leur indisponibilité a notamment été liée à la mort d’un patient sur le tarmac de l’aéroport de Val-d’Or en janvier 20241.
Dans ces circonstances, le gouvernement Legault a autorisé, à la fin de 2024, l’acquisition de deux appareils neufs de type Challenger dont la mise en service est attendue pour 2028 et 2029.
Recherche « approfondie »
En parallèle, le ministère des Transports du Québec (MTQ), dont relève le SAG, a entamé des démarches pour « médicaliser » l’appareil d’occasion, c’est-à-dire l’adapter au transport de patients. Mais un an et demi après son achat, ce processus qui doit prendre un an n’est toujours pas terminé.
Il avait pourtant démarré sur les chapeaux de roues, grâce au lancement d’un appel d’offres peu de temps après la commande de l’appareil. Mais aucune soumission n’avait été déposée à ce moment.
Le MTQ indique avoir ensuite mené une « recherche plus approfondie », avant de se tourner vers Bombardier pour signer, en février dernier, un contrat de gré à gré de 3,4 millions US. L’avionneur était alors le seul fournisseur apte à répondre à ses besoins, selon le Ministère.
Or, ce n’était pas le cas.
Au moment d’annoncer l’attribution du contrat à Bombardier, une autre entreprise québécoise, Elisen & Associés, qui se spécialise dans la conception ou la modification de structures d’aéronefs, a finalement levé la main.
Six mois après l’acquisition du jet, le MTQ a donc dû recommencer du début le processus d’appel d’offres.
Migration du SEAO
Mais pourquoi avoir tant tardé à se manifester ? Le coprésident d’Elisen & Associés, Stéphane Durand, affirme n’avoir jamais été informé du premier appel d’offres. Il dit en avoir appris l’existence par l’entremise d’un partenaire d’affaires.
Il met en cause la migration, à l’été 2024, du Système électronique d’appel d’offres (SEAO)2, grâce auquel il recevait auparavant des notifications lorsqu’un contrat susceptible d’intéresser son entreprise était publié.
« Pendant les six ou sept mois de transition, on n’a rien reçu, dont cette annonce-là », dit-il. La modification d’aéronefs représente pourtant « le pain et le beurre » de son entreprise.
Stéphane Durand refuse toutefois de jeter la pierre au gouvernement.
Peut-être qu’on a eu des courriels [du SEAO] qui ont abouti dans les spams. Parce qu’avec ce genre de plateforme numérique, il y a beaucoup de choses qui se passent, puis selon nos filtres de spam, peut-être que les infos ont été manquées.
Stéphane Durand, coprésident d’Elisen & Associés
Une fois le contrat accordé, les travaux de médicalisation prendront un an, en vue d’une mise en service de l’appareil d’occasion en 2027, indique le ministère des Transports.
D’un point de vue systémique, le système [d’appel d’offres] a fonctionné, c’est juste qu’il n’a pas bien fonctionné », analyse le professeur agrégé de l’École nationale d’administration publique Nicholas Jobidon, qui se spécialise entre autres dans les questions de marchés publics et d’appels d’offres.
Le MTQ aurait dû mener une étude de marché avant de lancer son appel d’offres ; cela lui aurait permis d’identifier Elisen & Associés comme fournisseur apte à répondre à ses besoins, dit M. Jobidon.
« De l’argent qui a dormi »
Pendant ce temps, les avaries s’accumulent sur les vieux appareils gouvernementaux.
L’un d’eux ne peut se poser sur les pistes en gravier des aéroports de Puvirnituq et de Kuujjuarapik, dans le Nord-du-Québec, n’étant pas équipé des pièces nécessaires, indique un médecin appelé à se rendre dans ces communautés.
Ça entraîne beaucoup de complexité dans le système de soins. Si une situation critique se présente, c’est des vies qui risquent d’être perdues à un moment donné », explique cette source qui n’était pas autorisée à s’adresser aux médias.
Le président général du SFPQ, Christian Daigle, s’explique mal les délais dans ce dossier. « Ce n’est pas de l’argent gaspillé », juge-t-il, puisque l’appareil servira tout de même au transport des patients, « mais c’est de l’argent qui a dormi ».
L’HISTOIRE JUSQU’ICI
Janvier 2024
Un patient qui devait être transporté d’urgence à Montréal meurt sur le tarmac de l’aéroport de Val-d’Or.
Août 2024
L’aménagement de l’avion d’un sous-traitant privé et le gel de certains équipements médicaux sont mis en cause par un coroner qui presse le gouvernement de renouveler sa flotte.
Septembre 2024
Québec autorise l’achat de deux avions neufs. Un autre appareil Challenger 650 d’occasion est acquis dans le cadre d’une « phase transitoire ».