07/30/2025
🌍 Du mythe à la mémoire : ce que la Grèce m’a soufflé sur le féminin oublié
Je suis venue en Grèce avec ma famille pour vivre la douceur d’un été méditerranéen : la mer Égée, le sel sur la peau, les ruelles blanches de Milos, les couchers de soleil sur les pierres antiques. Je voulais offrir à mes filles une parenthèse heureuse, lumineuse, loin du tumulte du quotidien — et peut-être aussi m’y déposer, reprendre souffle.
Mais ce voyage s’est chargé d’un sens inattendu.
Un soir, alors que nous marchions au milieu des colonnes en ruine, ma fille s’est tournée vers moi et m’a demandé :
« Maman, pourquoi tous les dieux puissants sont des hommes ? Est-ce que Dieu lui-même est un homme ? »
Sa question m’a traversée comme un éclair doux et profond. Elle venait de toucher, sans le savoir, une faille dans l’histoire que nous nous racontons depuis des millénaires — et que j’avais peut-être moi-même cessé de questionner.
C’est là que quelque chose a commencé à remonter. Un fil invisible m’a tirée vers l’arrière — bien avant les temples de marbre et les mythes classiques. Et une question s’est imposée avec la force tranquille d’une évidence trop longtemps tue :
Et si la mythologie que nous connaissons n’était que la réécriture t**dive d’un monde bien plus ancien, plus fluide, plus enraciné dans la vie — un monde centré non sur la domination, mais sur la relation ?
🏺 Sous les dieux, une mémoire effacée
En parcourant les ruines, en relisant les récits des dieux de l’Olympe, en observant les représentations de femmes, j’ai ressenti un décalage. Un inconfort diffus. Je reconnaissais la richesse de ces mythes, leur portée symbolique, mais quelque chose sonnait comme un écho brisé.
Presque toujours, le pouvoir y est vertical, viril, éclatant. Zeus règne par la foudre, Athéna mène des armées, Héra est jalouse. Le féminin est là, oui, mais souvent blessé, puni, diabolisé ou réduit à son pouvoir de séduction ou de reproduction.
Et pourtant, lorsque j’ai commencé à creuser et à rechercher, j’ai découvert une autre trame. Avant les dieux, il y avait des déesses. Avant les empires, des cercles. Avant la guerre, des danses.
🌕 Les civilisations du féminin : 25 000 ans d’harmonie
Dans les fouilles de Çatalhöyük, dans les temples mégalithiques de Malte, dans les fresques de la Crète pré-minoenne, des archéologues ont retrouvé les traces d’un monde profondément différent. Un monde où la divinité portait des seins, des hanches, un ventre. Où le sacré s’exprimait dans le cycle de la vie et non dans la transcendance. Où l’espace domestique — souvent associé aux femmes — était aussi le lieu du rituel, de la sagesse, du pouvoir symbolique.
Ces sociétés ne reposaient pas sur la hiérarchie ou la violence. Elles n’étaient pas matriarcales au sens d’une domination inversée, mais matrifocales : centrées sur la continuité, la transmission, le lien. Elles valorisaient le soin, la mémoire, la coopération.
Et ce n’était pas une exception isolée ou une parenthèse brève de l’histoire humaine. Ces cultures ont duré plus de 25 000 ans.
Vingt-cinq millénaires d’équilibre relatif, sans temples de guerre, sans empereurs, sans conquêtes. Vingt-cinq millénaires d’intimité avec la terre, de rituels enracinés dans la fertilité, la mort, la renaissance.
Et puis, tout a basculé.
⚔️ Quand la force s’impose : le grand renversement
Avec l’arrivée des peuples indo-européens, porteurs d’un imaginaire de conquête et d’une structure sociale plus patriarcale, une autre vision du monde s’est imposée. Le ciel l’a emporté sur la terre. La ligne droite a supplanté le cycle. Le héros a remplacé la gardienne.
Dans les nouveaux mythes, le masculin guerrier s’impose : il tue les dragons, dompte la nature, prend possession des femmes et des terres. La Déesse est réduite, fragmentée : elle devient vierge, mère ou sorcière — jamais tout cela à la fois.
Et avec cette réécriture, c’est une partie entière de notre psyché collective qui a été amputée.
🧠 Le mythe comme matrice de l’inconscient
Je suis psychiatre. Je sais à quel point les récits fondent nos représentations, nos désirs, nos peurs, notre rapport à nous-mêmes. Le mythe, qu’il soit ancien ou moderne, fonctionne comme un miroir de l’âme collective.
Alors je me demande :
Qu’arrive-t-il à une humanité qui se raconte depuis des millénaires à travers des histoires de conquête, de séparation, de force et de méfiance ?
Et si l’absence de récits valorisant le soin, l’interdépendance, la lenteur, la réconciliation… créait un vide dans nos esprits ? Et si nos épidémies contemporaines — anxiété, solitude, burn-out, violence — étaient aussi les symptômes d’un imaginaire blessé ?
🌆 Est-il trop t**d pour revenir à l’essentiel ?
Je ne crois pas. Mais je sais que cela demande du courage. Car il ne s’agit pas de rejeter en bloc la modernité, ni de fantasmer un retour puriste à une époque révolue. Il s’agit de se souvenir, c’est-à-dire de ramener dans le cœur ce qui a été oublié.
Une société plus matrifocale aujourd’hui ne serait pas une société qui remet les femmes au sommet d’une pyramide inversée. Ce serait une société qui déconstruit la pyramide elle-même. Qui met le vivant au centre. Qui honore à parts égales le rationnel et le sensible, l’action et l’intuition, la puissance et la vulnérabilité.
Ce serait un monde où le pouvoir ne s’exercerait plus sur, mais avec. Où la Terre ne serait plus vue comme un stock de ressources, mais comme une entité vivante à laquelle nous appartenons.
💠 Ce que je ramène de Grèce, profondément
De ce voyage, je ne ramène pas seulement des paysages et des souvenirs familiaux. Je ramène une soif de réintégrer en moi — et autour de moi — les dimensions oubliées du féminin. Je ramène une intuition qui me semble vitale :
Nous avons avancé vite, mais nous avons laissé derrière nous quelque chose de fondamental. Et peut-être que pour aller plus loin, il faut revenir vers l’arrière. Revenir, non pas pour fuir, mais pour réenraciner.
Je veux contribuer à faire émerger un monde où les mythes qui nous portent seraient plus complets, plus incarnés, plus équilibrés. Un monde où l’on cesserait d’opposer la force et la tendresse, le savoir et la sagesse, le masculin et le féminin — pour mieux les faire dialoguer.
Et si, au fond, tout cela avait toujours été là, sous nos pieds, dans la poussière des ruines et le chant du vent… Attendant simplement que nous prêtions l’oreille.