
08/29/2025
Pour exister en tant que fille, il faut parfois prendre de la distance avec sa mère.
Et même si cela peut sembler radical, dans bien des histoires de femmes, c’est un pas nécessaire pour pouvoir vivre une vie à soi.
Je ne sais pas comment tu l’as vécu, mais toutes les mères ne parviennent pas à voir leurs filles comme des personnes distinctes, avec des désirs, des besoins et des critères différents des leurs.
Beaucoup, sans intention consciente de nuire, utilisent leurs filles pour combler des vides, réaliser des attentes ou réparer ce qui n’a pas été possible dans leur propre vie.
D’un regard féministe, nous comprenons que la maternité est traversée par des siècles d’exigences impossibles : être dévouée, être parfaite, tout faire bien. Beaucoup de femmes élèvent dans la solitude, sans réseau, sans ressources, sans temps ni souffle pour se demander ce dont elles ont elles-mêmes besoin.
Mais cette histoire n’excuse pas que leurs filles ne puissent pas avoir la leur.
Dans de nombreuses familles, la fille devient confidente émotionnelle, soutien, projet personnel. On attend qu’elle ressemble, qu’elle se conforme, qu’elle ne “déçoive” pas. Et si elle ne le fait pas, la sanction prend la forme du silence, du reproche ou du rejet.
Ce qui devrait être source de fierté (voici ma fille, différente de moi) devient une menace : pour l’identité, pour les croyances, pour la place dans le monde.
Et parfois, il y a quelque chose de plus douloureux encore : la trahison.
La mère qui expose sa fille devant les autres, qui se moque de son corps, qui révèle des secrets confiés, qui la compare pour la corriger. La mère qui utilise ce que sa fille lui a dit dans un moment de vulnérabilité comme une arme.
Cela laisse des marques profondes. Parce que la fille comprend, au plus intime, qu’il n’est pas sûr de faire confiance. Qu’elle ne peut pas être elle-même. Qu’être vue par celle qui devrait l’aimer implique d’être jugée ou ridiculisée.
D’un regard féministe et systémique, le lien mère-fille est profondément marqué par les mandats de genre et par une histoire de silences, de renoncements et de dettes entre générations. Souvent, dans ce lien supposé “sacré”, il y a en réalité une charge : l’imposition d’un modèle, une exigence de loyauté, une résistance farouche à ce que la fille soit différente.
D’autres filles ont été utilisées comme une extension du moi maternel.
On attend qu’elles pensent comme elle, qu’elles choisissent ce qu’elle a choisi (ou n’a pas pu choisir), qu’elles n’incommodent pas par leurs différences, qu’elles s’effacent.
Au fond, ce que beaucoup de mères ne tolèrent pas, c’est que leurs filles aient une vie plus libre, plus pleine, plus choisie. Alors surgissent la critique, la moquerie, le contrôle déguisé en inquiétude, ou même la désignation comme bouc émissaire.
Dans tous ces cas, le conflit de fond est le même : la mère ne parvient pas à voir sa fille comme une personne distincte. Comme quelqu’un avec ses propres limites, avec sa subjectivité, avec le droit d’être différente.
Pour pouvoir exister en tant que fille, il faut prendre de la distance.
Distance émotionnelle, symbolique ou physique.
Non par haine, non par ingratitude, mais pour sa santé.
Pour cesser de répéter.
Pour cesser de jouer un rôle.
Pour commencer à habiter une vie qui nous est propre.
Ce geste, bien que douloureux, est profondément aimant envers soi-même.
C’est le point de départ d’une véritable vie adulte.
Et parfois aussi, le commencement d’une nouvelle relation avec la mère : plus honnête, plus libre, plus réelle.
Plus vraie.
Parce qu’être fille, ce n’est pas être disponible en permanence.
Ce n’est pas complaire.
Ce n’est pas renoncer à être vue.
Ce n’est pas être la version 2 de sa mère.
Être fille, c’est aussi s’autoriser à prendre un autre chemin.
Parce que personne ne devrait avoir à se trahir pour appartenir.
Et aucun amour qui exige de s’annuler ne peut durer dans le temps.
Nous venons de ce corps, mais nous ne sommes pas ce corps.
Merci pour tout ; j’ai le devoir moral de suivre mon propre chemin, maman.
Être moi est mon obligation.
Merci María Sabroso