08/11/2025
LE TAOISME CHINOIS: UNE VOIE PLURIELLE ET EN REVELATION CONTINUE
(Réflexion inspirée par *Daode* n°1 – Automne 2025)
La nouvelle r***e "Daode – La Voie et ses Vertus", se déclamant la "R***e DES communautés francophones taoïstes", vient de paraître, en mettant à disposition des lecteur une sorte d'annuaire des communautés taoïstes francophones.
Petit "oubli": le Centre et Temple taoïste Ming Shan, reconnu et soutenu par la Fédération Taoïste Mondiale et l'Association Taoïste de Chine, officiellement inauguré en mai 2024 en présence de 4 maîtres majeurs du taoïsme contemporain dont Zhang Fangzhang,...n'y figure pas.
A la place, la r***e a préféré mettre en avant l'association taoïste Quanzhen suisse, une association basée en suisse allemande et donc...totalement germanophone.
Smile. And think.
En elle-même, la r***e offre un regard intéressant sur une forme de taoïsme francophone, prônant authenticité, retour aux sources, Wudangshan en couverture, cérémonies monastiques à 5h30, un moine Quanzhen devenu, selon la r***e, Fangzhang au Mexique.
C'est une belle fenêtre sur Quanzhen (dans la mesure où Wudang est actuellement institutionnellement sous l'égide Quanzhen), ce courant contemplatif et institutionnel, et je salue cette mise en avant, qui permettra sans doute d'éclairer un pan du taoïsme pour les personnes désireuses d'entrer dans la complexité des lignées.
Par ailleurs, il est bon que d'autres acteurs se fédèrent pour porter une ou des paroles différentes de celles que Ming Shan peut largement diffuser. Il est toujours important que des contre-points existent pour garder l'équilibre dans la force ("s**t, c'est pas authentique").
Mais un sociologue spécialisé y verrait une énigme malaisante: où est passé 70 % du taoïsme chinois, ce paysage vivant et divers qui nourrit l'essence même de la Voie ?
En Chine continentale, on estime à 6 000 à 9 000 le nombre de temples taoïstes actifs aujourd'hui, restaurés ou rouverts depuis les années 1980 après les ravages de la Révolution culturelle.
Selon des études comme celles de Stephen Jones dans "Daoism and Religion in Modern China" (2024) et des rapports de la "China Taoist Association (CTA)" relayés par Patheos (2025), 60 à 70 % de ces sites relèvent du courant "Zhengyi (正一)"– laïc, familial, rituel et magique.
Fondé en 142 ap. J.-C. par Zhang Daoling, Zhengyi est bien plus ancien que Quanzhen (qui émerge au XIIe siècle, largement influencé par le bouddhisme), plus répandu (surtout dans le Sud : Jiangxi, Guangdong, Sichuan, où il anime la vie quotidienne), et plus proche du chamanisme ancestral des ères Han et Wei (200 av JC à 260 ap JC).
Ses prêtres et pratiquants, souvent mariés et transmettant via des lignées familiales, officient funérailles, exorcismes, astrologie, feng shui, talismans et rituels communautaires – un taoïsme yang, opératif, ancré dans le peuple, loin des projecteurs étatiques. C'est la forme largement la plus répandue à Taiwan actuellement.
Contrairement à Quanzhen, institutionnalisé au Nord sous patronage officiel (Baiyun Guan, Wudang), Zhengyi reste plus "rock", moins édulcoré par les influences politiques contemporaines : il pulse dans les villages, préservant un héritage brut et chamanique sans alignement forcé sur les normes centralisées.
Pourtant, dans la r***e "Daode", Zhengyi est invisible. Pas un mot sur Longhushan (son berceau), Maoshan (foyer de la magie), les prêtres laïcs ou les transmissions claniques.
Le taoïsme y brille monastique, méditatif, Quanzhen-centré – une image propre, exportable, qui séduit l'Occident par sa quiétude.
C'est un choix éditorial judicieux : Quanzhen vend du "spirituel pur", tandis que Zhengyi, avec son énergie rituelle et ses pratiques "populaires", pourrait sembler trop terre-à-terre, trop "pratique", voire "superstitieux". C'est pourtant le pan taoïste le plus proche de la source même du taoïsme, le chamanisme wu.
Mais en se réclamant d'un taoïsme "authentique" chinois pour légitimer son propos, la r***e efface pourtant cette moitié yang, ce Zhengyi qui représente pourtant la majorité vivante de la tradition...chinoise!
À Ming Shan, nous avons choisi de ne pas choisir pour vous: nous embrassons les deux : Quanzhen Longmen pour la structure intérieure, plus discrète et donc forcément moins visible, Maoshan (officiel et du Sud) pour la magie opérative (Xuan Xue), Wujimen pour la transmission clanique et familiale. Nous souhaitons incarner un taoïsme authentique mais intégratif et progressiste, où la Voie s'incarne dans le monde, sans cloître ni édulcoration politique imposée.
Nous pensons que c'est à vous de décider quelle est la polarité de la pratique la plus judicieuse pour vous à un moment donné de votre trajectoire. Pas à nous. C'est pourquoi nous prônons et incarnons cette diversité, avec conviction.
Espérons que les prochains numéros de "Daode" exploreront ces autres facettes tout aussi authentiques et chinoises du taoïsme – le Zhengyi chamanique, laïc et yang, qui équilibre le Quanzhen contemplatif, ainsi que d'autres courants. Et que ce faisant, la r***e fera de la place aux nombreux acteurs en francophonie qui incarnent un taoïsme différent de la seule vision Quanzhen.
Si ce n'est pas le cas, aucun problème, bien sûr, mais dans ce cas il semblerait plus judicieux de positionner la r***e comme celle voulant fédérer les communautés francophones Quanzhen uniquement.
En fonction de son évolution, nous verrons s'il convient de lancer une autre r***e permettant d'offrir un regard différent et complémentaire sur d'autres formes de taoïsme authentique en francophonie. Il y en a beaucoup.
Car un système fonctionnel, comme la Voie elle-même, ne peut se passer d'aucune des deux polarités du Yin et du Yang : sans l'une, l'autre s'effondre. La plénitude naît de leur danse, pas du choix de l'un contre l'autre, tout comme il semblerait absurde de prôner l'inspiration au détriment de l'expiration.
A l'heure où le monde se replie en positions de plus en plus duelles et identitaires, espérons que le taoïsme occidental saura incarner une pensée ouverte et complexe, donnant de la place à l'ouverture et à la diversité.
Bonne réflexion et pratique.
Fabrice