09/09/2025
✳️La santé en Algérie entre promesses de décentralisation et exigences de qualité
par Mohamed Tahar Aissani
♦La réunion présidée récemment par le ministre de la Santé, Abdelhak Saihi, a mis en avant une volonté affichée de renforcer la décentralisation dans la gestion du système de santé. Autonomie des structures hospitalières, simplification des procédures, délégation de prérogatives aux directions locales : autant de mesures qui semblent, sur le papier, vouloir rapprocher la décision du terrain. Mais derrière l’annonce, se dessine une réalité plus complexe, où l’histoire des réformes sanitaires algériennes et les attentes du citoyen invitent à une lecture critique.
♦Car le système de santé national n’en est pas à sa première tentative de réorganisation. Les Plans Locaux d’Action Sanitaire (PLAS) lancés sous Mohamed Seghir Babès avaient déjà ambitionné, dans les années 1980, de rationaliser l’offre de soins en fonction des besoins réels des wilayas. Sous Amar Tou, la cartographie de la médecine de proximité s’était déployée avec vigueur, multipliant les polycliniques et centres de santé censés désengorger les hôpitaux. Plus t**d, le ministre Guidoum Yahia avait insisté sur la formation médicale continue, la mise en place de conseils d’administration dans les hôpitaux et l’intégration de la dimension intersectorielle avec l’appui du Pr Aberkane Abdelhamid, qui plaidait pour un maillage reliant santé, éducation, environnement et collectivités locales. Ces jalons montrent que la volonté de réforme ne date pas d’hier, mais que sa concrétisation reste inégale.
♦La loi sanitaire de 2018 fixe pourtant un cadre clair : gratuité des soins, égal accès pour tous, complémentarité public-privé et droit du patient à l’information. Le code de déontologie médicale rappelle aussi les devoirs éthiques du médecin : indépendance professionnelle, obligation d’une formation continue, primauté de la dignité du malade. Or, entre ces textes et la pratique, le décalage est criant. La formation médicale continue demeure largement facultative quand elle devrait être obligatoire. Les conseils d’administration, souvent formels, n’ont pas toujours le poids nécessaire face à une administration centrale omniprésente. Quant au patient, il reste trop souvent prisonnier d’un parcours de soins opaque, oscillant entre files d’attente interminables et recours au secteur privé, coûteux mais jugé plus efficace.
♦La promesse de décentralisation pourrait être un levier de transformation si elle s’accompagne d’une réelle autonomie budgétaire, d’un contrôle rigoureux de la qualité et d’une responsabilisation locale. Car la qualité ne peut être proclamée : elle se mesure, se contrôle et s’évalue. Dans les pays dont les systèmes de santé sont performants — qu’il s’agisse du modèle universel britannique, du système socialisé scandinave ou du modèle hybride français — les critères de qualité sont intégrés à tous les niveaux : satisfaction du patient, sécurité des soins, formation continue obligatoire, audits réguliers et agences nationales de contrôle. L’Algérie s’est dotée d’une Agence nationale de contrôle et de qualité en santé, mais son action reste timide, faute de moyens et de culture de l’évaluation.
♦Au fond, le malade algérien attend moins des réformes sur papier que d’un changement tangible : être accueilli dignement, soigné rapidement, informé clairement. L’insatisfaction actuelle n’est pas seulement liée au manque de moyens, mais à un déficit de gouvernance et de transparence. Une autonomie mal pensée risquerait même de renforcer les inégalités entre wilayas dynamiques et régions périphériques.
♦L’Algérie, qui a inscrit pas moins de 134 projets d’hôpitaux publics et 342 projets privés en 2024, se trouve à la croisée des chemins. Le volume de projets ne suffira pas sans une culture de l’évaluation, sans un financement pérenne et sans une obligation claire de formation continue pour les médecins. Les textes existent, les structures aussi. Ce qui manque encore, c’est ce souffle éthique et organisationnel qui permettrait de transformer le droit en réalité, et la promesse en confiance retrouvée entre le malade et son système de santé