14/08/2025
Mémoire du pharmacien
Foufou Ali (Extraits)
Moi, PACO et le berger
Son allure est élégante, ses vêtements sont signés des plus belles marques des années soixante-dix. C’est un immigré de deuxième génération revenu dans son pays après sa retraite pour devenir berger. Chaque matin, il part en forêt et ne revient qu’au coucher du soleil. Il ne se rend en ville qu’une fois par semaine, pour faire ses emplettes au marché hebdomadaire. Tel est le mode de vie qu’il a choisi, et son visage laisse transparaître une profonde satisfaction.
Il nous rend visite presque tous les mardis à la pharmacie, pour récupérer quelques affaires ou simplement pour nous saluer. C’est un homme joyeux, plein d’entrain, débordant de vitalité — un cœur vibrant de vie.
Au cours d’une de ses visites, il m’a laissé un message : il souhaitait me voir.
Pour la petite histoire, il savait que nous préparions des formulations pharmaceutiques à la pharmacie. Il en avait même utilisé certaines. Sur le moment, je ne lui ai pas accordé beaucoup d'attention, occupé par d’autres tâches. Je lui ai tout de même donné rendez-vous pour la semaine suivante.
Cette fois-là , il est venu me faire part de certaines observations qui ont immédiatement capté mon attention. J’ai compris que je n’étais pas en face d’un homme ordinaire. Il faisait preuve d’une remarquable capacité d’observation, et sa manière de s’exprimer révélait une belle culture, sans doute acquise au cours de ses longues années d’exil à Paris.
Il m’a parlé de son troupeau de vaches. Deux d’entre elles, m’a-t-il dit, restaient souvent à l’écart du reste du troupeau. Il avait remarqué, au fil du temps, des changements morphologiques et comportementaux notables chez ces deux bêtes : elles étaient devenues plus actives, plus énergiques, plus élégantes, et leur pelage était devenu plus doux. Leur masse musculaire avait augmenté, leur apparence s’était distinguée de celle des autres vaches, et elles produisaient davantage de lait.
Selon lui, cette transformation était liée à une plante particulière qu’elles consommaient. Doté d’un instinct sensible, il a tout de suite pensé qu’il s’agissait d’une plante médicinale. Je l’ai écouté avec attention, pris des notes, et lui ai fixé un rendez-vous pour la semaine suivante afin qu’il m’emmène sur place l’observer.
C’est là que commence l’histoire. Et c’est à partir de ce moment que mon ami Paco entre en scène...
Il était ponctuel, et moi prêt à partir. Nous sommes montés en voiture jusqu’à un certain virage, après quoi nous avons poursuivi à pied. Nous avons marché longtemps, la géographie devenait de plus en plus difficile, surtout à mesure que nous pénétrions dans les profondeurs de la forêt. Honnêtement, c’étaient des forêts denses et des pentes escarpées — les montagnes de Kabylie, connues pour leur relief exigeant.
Au bout d’une heure de marche, je commençais à fatiguer. Nous avons atteint le fond d’une falaise. Après quelques instants de repos, j’ai levé la tête : je ne voyais qu’une petite ouverture dans le ciel. Les branches des arbres obscurcissaient ma vision. J’avais perdu tout sens de l’orientation. Je ne distinguais plus l’est de l’ouest, ni le nord du sud.
Franchement, je me croyais en Amazonie, en train de tourner un documentaire . Je n’entendais que le croassement des corbeaux, comme s’ils attendaient une proie… peut-être nous.
Une légère peur s’est emparée de moi. Je me suis dit : « Si jamais le berger oublie le chemin du retour, comment allons-nous sortir de ce labyrinthe ? » Je me suis alors rappelé une anecdote de mon enfance, lorsque j’avais 12 ans, avec mon cousin Massoud, de quatre ans mon aîné. Nous étions partis chasser les oiseaux et nous nous étions perdus en forêt. Par chance, il avait eu l’idée de grimper à un grand chêne pour nous orienter.
Quant au berger, lui, il était serein. Il connaissait parfaitement les lieux.
Nous avons poursuivi la marche jusqu’aux rives d’une vallée. C’est là que je l’ai vue.
Une plante d’un vert éclatant, avec des fruits rouges. Un véritable plaisir pour les yeux.
J’en ai cueilli quelques brins, mais cela ne m’a pas suffi : j’ai arraché la plante entière. J’étais fatigué par la marche et ne voulais pas revenir bredouille. J’étais euphorique, comme si j’avais trouvé un trésor — sans même connaître son nom, ni ses usages, seulement les indications du berger.
Ce fut le début de mon voyage dans la nature.
Mes premières observations me disaient que je l’avais déjà vue, quelque part dans un ouvrage scientifique, mais je ne me souvenais ni où ni quand. À vrai dire, à cette période, j’avais beaucoup négligé la lecture.
Mes recherches n’ont rien donné. Je n’avais d’autre choix que de consulter mon ami Paco, une véritable encyclopédie des plantes médicinales. Je suis allé le voir avec la plante.
Il m’a surpris. À peine l’eut-il vue qu’il m’en donna le nom et les propriétés thérapeutiques. Il avait vécu une expérience similaire avec elle. Paco participait souvent à des expositions nationales et internationales, possédant un laboratoire spécialisé dans l’extraction des huiles végétales.
Il avait été contacté par un géant labortoire européen des plantes médicinales , actif en Algérie durant la période coloniale, lui avait demandé s’il pouvait leur fournir cette plante. Mieux encore, ils lui avaient indiqué l’endroit exact où la trouver : un lieu-dit nommé Bani Sobeih. Ils possédaient même une carte botanique détaillée de l’Algérie.
Paco s’était donc rendu sur place. Avec la photo de la plante, il avait interrogé les habitants. Ceux-ci lui avaient immédiatement indiqué le bon endroit. Un site vaste, s’étendant sur plusieurs kilomètres. Mais le projet d’exportation n’avait pas abouti, faute d’accord entre les deux parties.
La plante en question, c’est le fragon, à partir duquel est fabriqué le médicament Cyclo3. C’est son extrait que nous avons nous-mêmes réalisé, titré et standardisé, et présenté au SIPHAL (Salon international des produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques) en 2013, en compagnie de notre ami, le pharmacien belge LUC ALLARD, qui avait été séduit par cette plante.
El Milia Le 01/03 / 2015