10/09/2022
Un article interessant du regretté Jean Christian Raoult, trop tôt disparu.
"Feu digestif, crudivorisme et rock'n' roll"
Le monde de la médecine traditionnelle chinoise regarde d’un oeil très critique la mode du crudivorisme, au point parfois de la proscrire littéralement. Mais il faut pourtant relativiser cette exécration du cru par la médecine traditionnelle chinoise. Si on regarde attentivement les informations en provenance de différentes sources, on se rendra vite compte que cette quasi- interdiction du cru procède d’une mauvaise compréhension des textes, et que les textes de référence, comme c’est souvent le cas dans beaucoup de domaines, sont souvent tronqués, déformés, tandis que d’autres textes ont été délibérément occultés.
Tout d’abord, il faut comprendre qu’une des raisons essentielles de la méfiance par rapport aux aliments crus en Chine est simplement une question d’hygiène, et relève surtout d’une volonté d’éviter des intoxications alimentaires. Mais si on exclut cette question d’hygiène, il n’a jamais été question de dire que le cru était mauvais en soi. La preuve, la consommation de différents fruits crus l’été est traditionnellement prescrite, comme la pastèque par exemple, pour lutter contre la canicule (on dit que la pastèque est l’équivalent végétal de le fameuse prescription Bai Hu Tang). On trouve ainsi l’été des camions entiers de pastèques dans les rues de Beijing pendant la période estivale! Il est aussi mentionné dans la littérature classique l’histoire de taoistes qui ne se nourrissaient que de fruits, sans parler des fameux « immortels » qui, parvenus à un certain degré de maitrise du Qi, se retirent dans la montagne pour ne plus vivre que de Qi et d’eau fraiche! Le souci, c’est qu’entre taoiste et maoiste, même s’il n’y a qu’une seule lettre de différence, la différence philosophique est immense, voire infinie. Comme quoi, il ne faut jamais s’en tenir à la lettre, mais à l’esprit qui seul vivifie !
Bref, les textes concernant la diététique traditionnelle chinoise telle qu’elle est conçue et enseignée officiellement aujourd’hui, pourraient bien n’être qu’un corpus de textes choisis par le gouvernement communiste chinois, ayant pris soin de gommer systématiquement tout ce qui pourrait aller dans le sens de la spiritualité, ou même seulement y faire référence.
D’ailleurs, que penser d’une diététique qui prône la consommation systématique de riz blanc, alors que le riz blanc est de l’amidon pur, privé de tout principe nutritif qui, à terme, ne fait qu’encrasser l’organisme ? Et qui ignore totalement le problème de la souffrance animale ? Il est vrai que dans la Chine traditionnelle, le problème des conditions d’élevage atroces qu’on connaît aujourd’hui ne se posait pas. Et de toute façon, l’appréhension de la souffrance animale (et même humaine) en Asie (et en Chine en particulier) n’est pas du tout la même qu’en Occident. Sans porter de jugement, cela signifie en tout cas qu’on ne peut pas forcément transposer les conceptions chinoises au mode occidental sans les adapter en tenant compte de nos différences. Cela vaut aussi dans le domaine du Qi Gong. En effet, les chinois ne sont pas constitués tout à fait pareil sur le plan anatomique, en particulier au niveau de leur bassin; ainsi, beaucoup d’exercices de Qi Gong excellents pour les Chinois ne sont pas forcément adaptés pour les Occidentaux. Et il en est de même pour les pratiques spirituelles...
En fait, la médecine traditionnelle chinoise n’a jamais interdit le cru de manière absolue. Et de toute façon, dans l’esprit, la médecine (et donc aussi la diététique) traditionnelle chinoise est une voie du juste milieu, prônant que tous les aliments sont nécessaires et qu’il s’agit seulement d’une question de proportion entre eux, en fonction des besoins ou problématiques des individus. Ceci nous ramène à la question essentielle de la nécessité d’un diagnostic énergétique et, en même temps, à la véritable raison de la méfiance par rapport à la consommation de cru.
La Rate est considérée en médecine traditionnelle chinoise comme responsable de la transformation des aliments en énergie vitale (en Qi et en Sang, pour utiliser les termes précis de la médecine chinoise). Elle est responsable au quotidien de l’entretien de la santé, de la vitalité et de l’immunité et il est donc essentiel de s’assurer qu’elle dispose d’une bonne énergie afin de pouvoir remplir cette tâche cruciale de manière optimale. Cette énergie, c’est ce qu’on appelle le
Qi de la Rate; or, on insiste beaucoup plus souvent sur le Yang de la Rate que sur le Qi de la Rate. Pourquoi, peut-on se demander, puisque théoriquement, le Qi de le Rate suffit à produire du Qi et du Sang? En fait, on retrouve en fait là la notion de « feu digestif » (agni) si chère à la médecine ayurvédique, qui, elle aussi, est une médecine traditionnelle multimillénaire. C’est à dire que pour transformer correctement les aliments en énergie pour le corps, il faut suffisamment de « feu » dans le système digestif. Ainsi, cette capacité de transformation des aliments et de production d’énergie vitale suppose la présence suffisante d’un élément Yang (puisque le Feu est Yang). C’est pourquoi non seulement le Qi de la Rate, mais aussi le Yang de la rate, est fondamental pour la digestion et l’assimilation. Or, le souci, c’est que la consommation excessive de cru, surtout s’il s’agit d’aliments de nature fraîche ou froide, peut facilement endommager ce fameux Yang de la Rate. Et si c’est le cas, non seulement on va développer différents symptômes désagréables, voire des affections chroniques, mais la Rate ne pourra plus transformer en énergie des aliments crus, censés justement nous apporter plus d’énergie que les aliments cuits. Au lieu d’avoir plus d’énergie et d’immunité, on aura donc au contraire de moins en moins d’énergie, une immunité de plus en plus affaiblie et tout un tas d’affections à la clef, caractéristiques de ce qu’on appelle vide du Yang de la Rate avec accumulation de vent-froid-humidité.
Le Feu digestif, Agni dans la tradition ayurvédique, ou Yang de la Rate en médecine chinoise
est essentiel pour pouvoir transformer
les aliments en énergie
Il faut savoir que le chinois est pragmatique et ne mettra jamais sa santé en danger sous prétexte de dogmes rigides, mais il n’en est pas du tout de même pour l’occidental, beaucoup plus prisonnier du mental et de sa cohorte de dogmes rigides. Combien de fois ai-je vu en cabinet des gens qui s’étaient mis au crudivorisme par conviction, inspirés par je ne sais quel thérapeute ou guru, et qui allaient à l’évidence de plus en plus mal alors qu’ils prétendaient aller de mieux en mieux et qu’ils étaient convaincus jusqu’au trognon de leur cerveau que ce régime était l’ultime panacée. C’est un peu comme si une personne étant dans un bateau en train de prendre l’eau et de couler, en train de s’enfoncer de plus en plus profondément dans l’eau, vous disait que tout allait très bien et même de mieux en mieux! Arriver à ce niveau de dissociation entre le corps et le mental, c’est quand même impressionnant...et triste!
Le dogme dans le domaine thérapeutique s'exprime souvent sous la forme que j'ai baptisée "le mythe de la panacée universelle", et celà vaut aussi pour le crudivorisme. Mais qu'est ce que ce mythe de la panacée universelle? Beaucoup de gens tendent à penser que si une chose est bonne pour eux, un produit, un médicament, une cure, un régime, peu importe, elle est bonne pour tout le monde! Ceci part sans doute d'une bonne intention, celle de partager avec les autres ce qui a réussi pour nous, mais c'est contraire au bon sens le plus élémentaire. Sachant que nous nous sommes tous différents, que nous avons des parcours, des constitutions, des problématiques différentes, comment une chose unique pourrait-elle convenir à tout le monde? Dit comme cela, cela parait être évidence et pourtant, c'est une erreur que l'on retrouve en permanence. Par exemple, on a découvert récemment en Occident les vertus thérapeutiques des baies de goji et du coup, on en fait un marketing tapageur laissant penser que c'est une panacée qui donne de l'énergie, augmente l'immunité, fait baisser le cholestérol et perdre du poids, possède de puissants effets anti-oxydants, favorise le fonctionnement cérébral, etc; je regrette simplement qu'elles ne fassent ni le ménage, ni le repassage, et surtout qu'elles ne nous rendent pas parfaits et immortels! En fait, on connait les vertus thérapeutiques des baies de goji en médecine traditionnelle chinoise depuis 3000 ans, mais on sait aussi pour quoi et pour qui cela cela ne convient pas! Il en est de même pour le crudivorisme, qui réussit extrêmement bien à certains et à même sauvé la vie à certains, mais cela ne veut pas dire que c'est bon pour tout le monde. Par exemple, cette alimentation convient généralement très bien aux personnes de type Yang (Bois ou Feu), qui en ressentent généralement les bénéfices très rapidement. En revanche, les personnes de type Yin, qui sont plutôt de constitution, fragile, qui ont tendance à être fatiguées et frileuses ont généralement une faiblesse du Yang de la Rate et du Rein; par conséquent, elles peuvent avoir
beaucoup de mal à supporter le régime crudivore et risquent au contraire de voir leur état de santé s'aggraver. Et si ces personnes s'entêtent à persévérer dans ce régime en s'accrochant à des idéaux dogmatiques et rigides, elles iront seulement de plus en plus mal et ne tirerons aucune bénéfice du régime crudivore!
Même si on admet que le régime cru puisse être une panacée ou un but idéal à atteindre, il faut rester pragmatique et organiser une transition progressive et personnalisée vers ce régime qui soit fondée sur le bilan énergétique de la personne, en faisant bien attention à préserver le Yang de la Rate. Pour ce faire, ce ne sont pas les possibilités qui manquent :
1. Connaître la nature de aliments et faire attention à consommer suffisamment d’aliments crus de nature tiède ou chaude.�
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2. Limiter la quantité d’aliments crus de nature froide.�
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3. User et abuser des épices qui sont quasiment tous de nature tiède ou chaude er permettent donc d’entretenir ce fameux feu digestif (ou Yang de la Rate)�
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4. Utiliser ponctuellement (ou parfois en cure) des huiles essentielles pour tonifier le Yang de la Rate (par exemple gingembre, cannelle de Chine, poivre noir, clou de girofle, etc)
5. Boire du chai indien composé d'épices comme cannelle, gingembre, poivre noir, clou de girofle, cardamome, etc, de préférence sucré avec du miel ou du rapadura, et sans lait.�
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6. Recourir à la pharmacopée chinoise (ou aux moxas) pour renforcer le Yang de la Rate, jusqu’à ce que celui-ci atteigne un niveau satisfaisant.
A noter qu’à défaut de moxas, l’absorption consciente (ce qui s’apparente donc à une forme de Qi Gong) de la chaleur du soleil par le plexus solaire et par le chakra sacré dans la région du ventre, à peu près à mi-chemin entre le p***s et le nombril, est aussi un excellent moyen naturel (et gratuit) de tonifier le Yang de la Rate. On peut même pratiquer le sun-gazing en captant l’énergie du soleil par les yeux. Et pour ceux qui auraient peur de se blesser les yeux, on peut aussi regarder le soleil les yeux fermés et absorber l’énergie du soleil par le 3ème œil; cette technique a aussi l’avantage de pouvoir être pratiquée même lorsque le soleil est intense, comme vers midi, par exemple.
En tout cas, il est important de bien préparer le terrain si on veut bénéficier de tous les avantages du régime crudivore. Il faut prendre le temps de cette préparation car cela permettra aussi que la conscience de la personne murisse, ce qui est facteur-clé de réussite, mais qui demande toujours du temps. L'accompagnement, l'évolution, ne doivent pas seulement se faire sur le plan physiologique, mais aussi sur le plan mental et spirituel car matière et esprit sont indissociables.