10/04/2025
La thérapie, c’est s’écouter en train de dire`
par Gaëtan Nédonchel, psychologue clinicien
Quand on franchit le seuil d’un cabinet de psychologue, on pourrait croire, presque instinctivement, qu’on vient chercher une réponse. Comme s’il y avait, quelque part, une solution toute faite que l’on pourrait acheter, recevoir, appliquer. Pourtant, l’expérience clinique montre tout autre chose : on ne vient pas chercher une solution, on vient la construire. Et, souvent, cette solution était là, déjà, en creux, en attente d’émerger dans le fil d’un discours.
La thérapie, c’est précisément cela : s’écouter en train de dire.
Parler pour s’entendre
Ce que l’on dit en thérapie n’est pas seulement destiné à l’oreille du thérapeute — il est tout autant (et parfois surtout) destiné à soi-même. Il y a une valeur profondément transformatrice dans le simple fait de parler. Non pas de "dire des choses", mais de dire, au sens actif. Car ce qui se dit dépasse souvent ce que l’on croit dire.
C’est là que l’écoute du clinicien entre en jeu. Non pas pour valider ou corriger, mais pour accompagner le sujet dans cette exploration de sa propre parole. Pour lui offrir un espace où ses mots peuvent se déployer, résonner, parfois se contredire, se couper, se suspendre. C’est dans cette dynamique que le sujet peut s’écouter, réellement.
Les lapsus, les silences, les mots
Sigmund Freud nous a appris à écouter les "actes manqués", ces petits accrocs du discours qui trahissent l’inconscient. Jacques Lacan a repris cette intuition en soulignant combien l’inconscient est structuré comme un langage. Dès lors, ce ne sont pas seulement les contenus qui comptent, mais la forme même du dire : les mots choisis, les répétitions, les hésitations, les silences.
Un lapsus, un mot de travers, une blague qui tombe mal : autant de failles dans le tissu du discours qui révèlent bien plus qu’elles ne cachent. Lacan parlait aussi du "vide", de ce moment où rien ne vient — le fameux blanc. Ce n’est pas un échec de la parole, c’est un indice. Quelque chose résiste. Quelque chose se tait. Et il faut pouvoir entendre ce silence comme une forme de langage.
Le sujet divisé et l’adresse à l’Autre
Dans la théorie lacanienne, le sujet n’est pas un "moi" unifié, mais un être divisé, pris dans les filets du langage. Parler en thérapie, c’est adresser sa parole à un Autre, et c’est dans cette adresse que peut se produire une vérité. Une vérité qui ne vient pas de l’extérieur, mais de ce qui se dévoile dans l’acte même de parler.
Le thérapeute n’apporte pas de vérité ; il soutient l’émergence d’un dire. Il ne détient pas les clés du problème, mais il peut aider le patient à entendre ce qu’il dit déjà, sans le savoir.
La solution n’est pas à acheter, elle est à entendre
La grande illusion serait de croire que la solution est ailleurs, hors de soi. Mais la clinique nous enseigne que ce qui fait symptôme, ce qui fait souffrance, porte déjà en soi sa propre logique, son propre message. La thérapie devient alors le lieu où cette logique peut se dévoiler, où ce message peut se traduire — parfois à travers le détour d’une association, d’un souvenir, d’un mot étrange.
En ce sens, on ne vient pas "prendre" une solution, mais apprendre à écouter ce que l’on dit, ce que l’on a dit, parfois sans le savoir. La solution n’est pas un produit, c’est une construction, un cheminement dans et par la parole.
"Ce n’est pas de tout dire qu’il s’agit, mais de faire entendre ce qui, dans ce que l’on dit, est déjà porteur de vérité", disait Lacan. La thérapie, dans sa forme la plus simple et la plus puissante, consiste à offrir un espace pour que le sujet puisse s’écouter en train de dire. C’est dans cette écoute, souvent inattendue, que quelque chose peut enfin commencer à se transformer.