31/10/2024
Retranscription intégrale d’une interview réalisée par Théo Ganiage pour Chérie FM sur le thème de la peur dans le cadre d’Halloween 2024, dont des extraits ont été diffusés sur Chérie FM le 31 octobre 2024.
Théo Ganiage :
COMMENT FONCTIONNE LA PEUR ?
Delphine Cochand :
La peur est une réaction émotionnelle face à un danger extérieur, qui s’accompagne de sensations corporelles (crispation, augmentation du rythme cardiaque, etc.). Cette peur va générer 3 types de comportements possibles : combattre, se figer, ou fuir.
Il n’est pas possible de juguler la peur intégralement, au mieux on arrive à la contrôler et à faire en sorte qu’elle ne se transforme pas en panique.
La réaction de peur et le comportement qu’on va adopter face à elle sont influencés par nos représentations psychiques, c’est-à-dire nos croyances, nos pensées, conscientes et inconscientes, sur nous-même et sur le monde qui nous entoure. Ces représentations sont à la fois subjectives, propres à chacun, prises dans et construites par notre histoire personnelle, notre vécu, et à la fois issues du collectif, de la culture. Vous avez sans doute remarqué que la plupart des humains ont un certain nombre de peurs en commun, en particulier dans une culture donnée.
QU’EST-CE QUI FAIT QU’ON RESSENT CETTE SENSATION ?
Eprouver de la peur dans certaines circonstances fait partie intégrante de notre fonctionnement psychique normal. La peur vient attester de notre connexion à l’environnement dans lequel on évolue.
La peur est une réaction à une menace, réelle ou imaginaire. La peur n’est pas la même chose que l’angoisse, qui vient de l’intérieur, mais elle peut l’accompagner et elle est étroitement liée à l’angoisse de mort. Dans la peur on identifie un objet extérieur, par exemple le soir d’Halloween on marche seule dans la rue et on se retrouve nez à nez avec une personne d’assez grande taille, vêtue de noir, qui porte un masque blanc. Ce n’est pas directement cette personne qui nous fait peur mais l’inconnu qu’elle suscite : on ne sait pas qui se cache sous le masque, on ne sait pas quelles sont ses intentions, est-ce qu’elle est juste là pour faire du porte à porte et récolter des bonbons, ou est-ce qu’il s’agit d’un psychopathe comme Michael Meyers qui va nous poignarder ? On n’est pas sûr. Donc on peut avoir plus ou moins peur, en fonction de notre personnalité, de nos représentations, de si on a vu les films « Halloween » ou pas, etc.
QU’EST-CE QUI VA FAIRE QU’ON VA AVOIR PEUR ON NON DE TELLE OU TELLE CHOSE ?
On va avoir peur de telle ou telle chose en fonction de notre histoire personnelle, de notre vécu, et de celui de nos parents, car ils peuvent aussi nous transmettre leurs propres peurs.
Par exemple si vous avez été mordu par un chien étant enfant, la probabilité que vous développiez ultérieurement une peur, voire une phobie des chiens, sera beaucoup plus élevée que chez la moyenne de la population.
QUEL EST LE MEILLEUR MOYEN DE VAINCRE SES PEURS EN TANT QU’ADULTE ?
Chaque cas est différent, il n’existe donc pas de réponse générique à cette question. Ça va dépendre de la personnalité de chacun, de la nature et de l’intensité de la peur, de son origine, etc.
Mais dans tous les cas, la première étape consiste à accepter qu’il est tout à fait normal de ressentir de la peur dans certaines situations, ce n’est pas une faiblesse, ça ne doit pas être source de honte. Si on porte un jugement négatif sur la peur qu’on ressent, cette autodépréciation risque fort de nous empêcher d’agir et de contrôler notre peur.
De manière générale, hors situation de violence, ça va dépendre si la peur en question est véritablement invalidante ou s’il s’agit simplement d’une gêne occasionnelle. Dans le premier cas on pourra envisager de faire une psychothérapie pour comprendre l’origine de cette peur. Dans le second cas aussi, tout dépend de la façon dont la personne vit sa peur.
Dans le cadre d’une situation de violence par exemple, on peut s’inspirer des enseignements de certains instructeurs de combat de l’armée ou des groupes d’intervention de type GIGN. Ils proposent une technique de contrôle en 3 points :
- accepter la peur
- en reconnaître les symptômes
- la surmonter, en se disant par exemple que la peur qu’on ressent ne va pas nous empêcher d’agir, utiliser des techniques de respiration pour contrôler le rythme cardiaque, etc.
COMMENT AIDER LES ENFANTS A VAINCRE LEURS PEURS ?
En tant que parent, on peut commencer par rassurer l’enfant en lui disant qu’il est normal d’avoir peur d’un certain nombre de choses, que les adultes aussi ressentent la peur. Qu’il n’y a aucune honte à ressentir de la peur, que ce n’est pas une faiblesse en soi.
Ensuite le parent peut inviter l’enfant à verbaliser ses peurs spécifiques. Il pourra proposer un accompagnement différent selon la nature et l’intensité de la peur décrite par l’enfant.
S’il s’agit d’une peur « classique » de l’enfant, la peur du noir par exemple, le parent pourra proposer des objets rassurants, comme une petite veilleuse, proposer à l’enfant de dessiner sa peur avant d’aller se coucher et de la ranger dans un tiroir, etc. Ce type de peur ne va en général pas nécessiter de consultation chez un psychologue, à moins que vous n’ayez épuisé toutes les solutions et que votre enfant n’arrive toujours pas à dormir seul sereinement (je me permets de préciser que proposer à l’enfant de dormir avec le ou les parents n’est jamais une bonne solution).
A l’inverse, pour reprendre l’exemple de la peur des chiens, si elle s’apparente à une véritable phobie (avec tentatives d’évitement, attaques de panique, etc.), à ce moment-là mieux vaut consulter un professionnel qui pourra accompagner l’enfant au mieux. La phobie peut avoir pour fonction de transformer l’angoisse en peur identifiée et localisée. Le professionnel pourra aider à identifier de quel type d’angoisse sous-jacente il s’agit.
Il arrive aussi que le ou les parents aient été, en tant qu’enfant, en proie à la même peur que leur enfant, ou ne soient jamais parvenu eux-mêmes à vaincre cette peur. Dans ces cas-là il est intéressant de se demander quelle est la part d’identification de l’enfant au parent - ou inversement - qui intervient dans cette peur ? Est-ce qu’il y a un bénéfice pour l’enfant et/ou le parent dans le fait que cette peur existe et persiste ? Il arrive par exemple qu’un enfant s’imagine, que s’il n’avait pas telle ou telle peur, son parent s’intéresserait moins à lui, l’écouterait moins, etc… La consultation d’un professionnel pourra permettre de travailler ces questions.
Pour rester dans le contexte d’Halloween, les adolescents peuvent trouver à travers le visionnage de films d’horreur une façon de gérer certaines de leurs peurs, notamment celles relatives à la transformation de leur corps. Dans les films d’horreur, les personnages monstrueux peuvent constituer pour l’adolescent un support de projection de ses ressentis négatifs.
LA PEUR EST-ELLE QUAND-MEME UN RESSENTI NECESSAIRE AU BON FONCTIONNEMENT DU CERVEAU HUMAIN ?
La peur contribue à la préservation de la vie, elle est articulée à notre instinct de survie, comme chez l’animal. Si vous vous trouvez face à un danger susceptible de mettre votre vie en péril et que vous ne ressentez pas de peur, vous n’allez pas éprouver la nécessité de vous protéger de ce danger et vous risquez de mourir !
Donc par extension oui, la peur est nécessaire au bon fonctionnement du cerveau humain puisqu’elle permet tout simplement dans certaines situations de rester en vie ! Et sans vie, pas de cerveau fonctionnel !
Blague à part, et de façon moins radicale, lorsque la peur fonctionne comme une défense contre l’angoisse, en la focalisant sur un objet précis, comme dans le cadre de la phobie, elle peut donc permettre au cerveau, à la psyché, de mieux gérer une angoisse plus diffuse dont on a plus de mal à identifier l’origine.
Mais la peur peut néanmoins nuire au bon fonctionnement du cerveau, et du corps dans son ensemble, si elle est trop souvent présente pour tout et n’importe quoi, si elle devient trop invalidante. Tout est question d’équilibre. On sait qu’un stress chronique favorise la sécrétion d’une hormone nommée cortisol en quantités trop importantes, ce qui entraine à terme des effets délétères sur l’organisme : troubles du sommeil, difficultés de concentration et de mémorisation, irritabilité, dépression, hypertension, prise de poids, etc.
POURQUOI AIME-T-ON AVOIR PEUR ?
On aime avoir peur quand on peut le faire de manière contrôlée, organisée, sans risque pour notre intégrité physique ou notre vie, par exemple en allant sur un manège à sensations, ou en regardant un film d’horreur : on peut se faire peur en toute sécurité, dans notre salon ou au cinéma. On choisit de se faire peur, de se laisser envahir par cette émotion forte et de cette façon on peut apprendre à mieux la contrôler, voire à la banaliser en en rigolant entre amis.
Les films d’horreur ont des effets bénéfiques sur le corps et le cerveau : pendant le visionnage du film les mécanismes du stress sont fortement sollicités, avec notamment des poussées d’adrénaline, ce qui fait qu’après le film on va éprouver un sentiment de détente, qui va agir comme un renforcement positif, c’est-à-dire qu’on va avoir envie de retrouver cet état en renouvelant ce genre d’expérience. C’est la même chose pour les manèges à sensations fortes.