
14/09/2025
14 septembre 2025
Je l’évoquais dimanche, je l’ai vu lundi. Au marché dense, pas folichon, Biniou traînait savates, le coude appuyé sur une béquille, vieillard cacochyme.
Certes, la dernière fois que je le vis, ce trompe-la-mort n’était pas bien fringant. Mais là, version squelette, la chair collée à l’os, Alain (son prénom) peinait à avancer. Au bistrot, le valétudinaire vint, péniblement, se joindre à notre table.
J’eus l’impression que l’Ankou, symbole mythique de la mort dans les légendes bretonnes, asseyait ses breloques sur une banquette, bleue, skaï, d’un bistrot populaire. Lourdement, le goéland famélique y affala son reste de fessier. On eut remplacé sa canne orthopédique par une faulx, y eut motif à confusion.
C’est toujours éprouvant de voir la mort chez le vivant. On cale devant une telle scène. Lui, l’ancien souffleur de cornemuse, s’amuse. Un pétillant dans l’œil, un rictus presque coquin au coin des lèvres, le blafard fait rigoler la galerie, en commandant un diabolo violette, ajoutant qu’il aime cette fleur-là, en particulier..
Il rassure, pas de crabe dans les bronches, ni ailleurs. Je demande nouvelles de son inséparable. Son collègue s’est mis, lui aussi, à l’eau mais hormis d’aller voir notre énergumène, ne sort plus de chez lui. Le cancer n’est pas la cause de son affaiblissement.
Par contre, L, un lourdaud que j’ai fréquenté un peu, en a un et sérieux, pancréas. Notre Agecanonix (qui n’a que soixante quinze ans) se prépare aux funérailles. A-t-il conscience que la gueuse aiguise sa lame juste au-dessus de sa tête ? A priori, non, l’émacié, encore volubile, parle de ses cuites comme un militaire de ses anciennes batailles.
Il me plaît le bonhomme. La rumeur dit qu’il fût fortuné, qu’il eût femme jolie à ses côtés. L’épousée lui donna une fille. Le fêt**d aurait tout perdu à cause de son appétence pour la bibine. Je l’eus connu à l’époque, je lui aurais donné conseil : « on ne perd rien quand on ne possède rien ». Ce fut l’intangible maxime de ma démarche à la recherche du solaire.
Je ne jetterai pas la pierre. L’ange n’occupe pas ma maison et la déraison fut couvent (souvent, oups, lapsus...) moteur pour sortir de mes tripes, le chant en moi, celé. D’ailleurs, depuis, toujours, je m’en moque des réputations et les mauvaises m’attirent plus que les autres. La mienne chez les fâcheux et les assis ne fut guère, reluisante. Mes refus de me soumettre aux pas de leur danse de pacotille n’encouragea pas l’affaire.
Je ne mesurais pas la vie à l’aune des valeurs mercantiles ou sentimentales. La notoriété me laissait de marbre. Je fuyais les micros. J’osais la tentative du vol au milieu de la basse-cour, en évitant les coups bas de la volaille.. L’insolence déplaît..
J’écris, cela, cœur léger. J’y suis parvenu, à l’instinct, sur mon promontoire. Je rédige sans la pression des passions humaines. Je collecte et interprète sensations et émotions à portée du larron.
Pour m’illusionner une place parmi les autres, je concède , seulement dimanche, de partager, poèmes et proses, fruits de ma singulière recherche que les parangons de la raison trouveront, incongrue voire idiote.
Je plie mon bras droit, tordu. Je frappe de l’aplat de la main gauche, le creux de sa courbe. J’adresse, aux melons du sérail, le plus rapide des bras d’honneur. Le jean-foutre marque son total rejet de leur matérialisme sans âme, ni grâce....
Le geste bravache effectué, j’essaime ma moisson hebdomadaire sur vos murs.
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JE ME JAUGE
J’ai en tête une chanson qui ne pense pas, qui n’aime pas, qui joue facile. Une populaire, ils disent. Je ne crois pas, enfin, pas son meilleur. Un air bête aux paroles niaises encrassent ma cafetière. C’est un rap répétitif. Le muscle mémoire, l’a enregistré, contre son gré, harcelé par la propagande marchande.
Je râle, je maugrée, je peste. Je suis tout déboussolé par cette intrusion du médiocre dominant dans mon monde sensible. Je n’ai rien à y opposer à ce lavage du cerveau.
Il me suffirait de sortir, de humer dans la rue une odeur chassant l’importune reng*ine, de l’exorciser par la fine sensation du vrai sur la peau. Je ne m’y résous pas. Je tente de faire acte de résistance, en ne m’aidant pas de l’’extérieur. Je me jauge.
Suis-je vraiment capable, par la volonté, de me débarrasser des parasites, inhérents à tout système, générant des maîtres et des esclaves ?
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ELLES MENTENT D’ELLES-MÊMES
Pantalon rose, tee-short jaune, veste bleu marine, une femme, un peu forte,, avance à petits pas sur le trottoir. En face, le geste ample, l’air résolu, un jeune couple, que suit une petite fille, dévore l’espace, avec la gourmandise de la confiance.
Je glane sujet dans la rue, sans savoir qu’en faire. Je relate, c’est tout. Je n’interprète pas. Je n’en rajoute pas sur l’opposition des images. Elles mentent d’elles mêmes.
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POMME NOMADE
Ne dis pas du mal des gens
ils cancanent autant sur toi
Non, mets ton doigt
dans l’interstice
entre le verbe
et son complément
nourris-les de virgule
ou autres ponctuations
si musique le demande et soit
celui qui reçoit
plus que celui qui dirige
Jambes, épaules et murs
toit tout cornu
sous les solives
feront de ta pomme
une nomade rêveuse
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MOTS FOUS
L’un d’eux
posa son oreille
sur le ventre
de la violoncelliste
L’autre plus hardi
prit entre ses mains
une nuée de notes sauvages
échappées de sa bouche
et les malaxa
kinésithérapeute
sourcilleux jusqu’à
ce qu’elles furent sages
Lorsque
mes mots s’expriment
je les laisse délirer
quand ils ont pris
en chemin
un verre d’absinthe
Serge Mathurin THÉBVAULT