19/11/2025
Quand Lacan avance que la guérison vient “de surcroît”, il met en garde contre une chose très précise : faire de la guérison comme normalisation l’unique but affiché de la cure. Dans ses textes et ses séminaires, il rappelle au contraire que la justification de l’analyste, comme son devoir, est d’améliorer la position du sujet.
Autrement dit : la psychanalyse ne renonce pas à transformer la vie de ceux qu’elle accompagne ; elle refuse simplement de réduire cette transformation à un retour rapide à la norme. La guérison, quand elle advient, est un effet possible et précieux d’un travail qui touche le sujet dans son rapport à lui-même, aux autres, à son histoire – et non un résultat à produire à tout prix.
C’est précisément cette tension-là que l’amendement 159, et plus largement la mise en place d’une psychologie d’État, viennent écraser. Au nom d’une certaine idée de l’“efficacité”, il s’agit d’aligner le soin psychique sur un modèle unique : protocoles courts, objectifs de correction, scores d’amélioration, indicateurs de conformité. La dimension éthique rappelée par Lacan – ne pas sacrifier le sujet à la norme, ne pas confondre amélioration de la position du sujet et simple ajustement comportemental – disparaît au profit d’un soin calibré sur les attentes du gestionnaire.
Et l’Ordre des psychologues dans tout ça ?
Dans cette perspective, la tentative récente de création d’un Ordre national des psychologues (PPL n°2587, déposée le 2 mai 2024 par Éric Poulliat et plusieurs députés de la majorité) prend un relief particulier. 
La dissolution de l’Assemblée a rendu cette proposition caduque, mais son contenu et les arguments avancés restent éclairants :
– d’un côté, l’idée de “mieux structurer” la profession et d’identifier un interlocuteur unique pour les pouvoirs publics ;
– de l’autre, la mise en place d’une instance ordinale placée sous la tutelle du Premier ministre, avec des pouvoirs disciplinaires. 
Dit autrement :
• un État qui cherche à façonner une psychologie à son image, centrée sur des dispositifs standardisés ;
• un Ordre qui viendrait servir de relais interne, chargé de cadrer la profession, de trier ce qui est “conforme” ou non, et de rappeler à l’ordre ceux qui ne s’aligneraient pas.
On voit bien le lien : une psychologie d’État a besoin d’une police intérieure de la profession.
Un Ordre, dans ce cadre, n’est plus seulement un espace de régulation déontologique ; il devient un instrument pour faire rentrer la diversité des pratiques dans un moule compatible avec les politiques publiques en place. Les psychologues qui “rentrent bien” dans ce moule seraient alors légitimés pour cadrer les autres, au nom de la profession tout entière.
La majorité des organisations de psychologues s’y sont d’ailleurs opposées, en pointant le risque d’un Ordre construit sans la profession, et d’une instance ordinale servant plus à rassurer l’État et ses partenaires qu’à protéger réellement les sujets et la clinique. 
Nous ne sommes pas contre la recherche, ni contre l’évaluation, ni contre l’idée d’une responsabilité collective. Nous refusons simplement que ces éléments soient utilisés pour mettre en place :
• une psychologie d’État réduite à des techniques de normalisation et de gestion des comportements ;
• un Ordre qui servirait de bras armé pour discipliner les psychologues rétifs à ce modèle.
Enjeux continuera à défendre une pratique qui reste du côté du sujet, de sa singularité, de son temps propre ; une pratique qui écoute et qui s’adapte, plutôt qu’elle n’impose ; une psychologie qui ne se met pas au service exclusif du discours du maître, mais qui garde ouverte la possibilité d’interroger ce qui, dans ce monde, fait souffrir – y compris quand cela dérange les pouvoirs en place.