31/08/2025
Ma sœur est morte à l’âge de huit ans, sous mes yeux.
Un conducteur ivre a brûlé le feu rouge pendant que nous traversions la rue.
J’ai survécu d’un pas. Elle, non.
Depuis ce jour-là, le silence est devenu une habitude dans ma maison.
Mes parents ont cessé de se parler, de rire, de vivre.
Le déjeuner se prenait avec la télévision allumée, le dîner sans un mot.
Nous n’avons jamais été riches, mais avec elle, tout paraissait moins lourd.
Quand elle est partie, c’est comme si la vie s’était éteinte peu à peu.
Mon père s’est mis à boire.
Ma mère est devenue une ombre qui cuisinait sans sel et regardait par la fenêtre.
J’avais dix ans.
Et même si je respirais encore, j’avais l’impression de ne plus être là.
À treize ans, j’ai arrêté de manger.
Pas par vanité, mais parce que quelque chose en moi était si vide que la nourriture n’avait plus de goût.
Je me suis évanoui en classe et l’on a accusé le petit-déjeuner.
Jamais on n’a parlé du reste.
À quatorze ans, j’ai commencé à écrire des lettres que je n’envoyais pas.
L’une disait : « Ma mère me manque comme elle était avant. »
Une autre : « J’ai l’impression que si je mourais, ce ne serait pas si grave. »
Et encore : « J’ai peur de devenir quelqu’un qui ne fait qu’observer sa vie de loin. »
Aucune n’a jamais eu de réponse.
À quinze ans, on m’a diagnostiqué une dépression sévère.
Ma mère a pleuré, mon père n’est pas venu au rendez-vous.
On m’a donné des pilules, mais personne ne m’a donné d’étreinte.
On me disait seulement de faire des efforts, de ne pas exagérer, que tout le monde est triste parfois.
Alors j’ai fait semblant d’aller mieux.
La nuit du 21 juillet fut la pire.
Pas pour quelque chose de précis, mais pour tout ce qui s’était accumulé.
Je me suis enfermé dans la salle de bain, non pas pour mourir, mais pour disparaître un instant.
Je me suis assis dans la baignoire, j’ai fermé les yeux… et je me suis endormi.
Quand je me suis réveillé, j’étais à l’hôpital.
Ma mère était la seule à être là, assise avec un visage qui ne comprenait rien.
Je lui ai dit : « Je ne voulais pas mourir, j’avais seulement besoin que quelqu’un remarque que je mourais à l’intérieur. »
Ce fut la première fois qu’elle m’écouta vraiment.
À partir de ce jour, nous avons recommencé à zéro.
Thérapie familiale.
Balades.
Pleurs qu’on n’avalait plus.
Ce ne fut pas de la magie, mais un processus.
Aujourd’hui j’ai vingt-deux ans, et je travaille comme psychologue clinicien.
Parfois, les jeunes qui viennent en consultation me disent :
« Je ne sais pas pourquoi je me sens si seul. »
Et moi, je pense simplement :
« Tu le sais. C’est juste que personne ne t’a appris à le dire. »
« Il y a des blessures qui ne saignent pas… mais qui crient doucement chaque jour jusqu’à ce que quelqu’un décide de les écouter. »
— Andrés Molina