24/09/2025
Le perfectionnisme moral est une forme subtile et redoutable de servitude intérieure. Il ne s’agit pas simplement de vouloir bien faire ; il s’agit de se soumettre à une exigence implacable, c'est à dire être irréprochable, toujours juste, toujours « bon », au point d’étouffer la part vivante, mouvante et faillible de soi. C’est une discipline secrète, silencieuse, qui ne s’affiche pas forcément dans les performances visibles mais qui enferme dans une prison plus intime : celle de la rectitude absolue.
Celui qui s’y soumet n’aspire pas à l’excellence mais à l’absence de faute. Pas à la générosité mais à la pureté. Pas à la responsabilité mais à l’innocence. Et c’est précisément cette quête de pureté qui blesse car elle dénie à l’humain sa condition, faite de contradictions, d’impulsions, d’ambivalences. L’exigence d’être toujours « du bon côté » n’ouvre pas sur l’intégrité mais sur la honte....Honte de ses colères, honte de ses désirs, honte de ses ratés, honte d’exister dans la complexité.
Le perfectionnisme moral use d’une arme redoutable qui est l’auto-surveillance. Le sujet devient son propre juge, inlassablement attentif au moindre écart, au moindre « faux pas » dans ses pensées, ses paroles, ses gestes. Et cette vigilance continue finit par absorber une énergie colossale, détournée de la vie créatrice et relationnelle. On croit s’élever, mais on se fige. On croit protéger les autres de son imperfection, mais on les prive de la vérité d’un être humain entier.
Ce qui est terrible dans cette mécanique, c’est que la norme n’est jamais atteinte. Chaque progrès devient la nouvelle base d’une exigence accrue. Chaque victoire morale efface aussitôt sa valeur, remplacée par une faute à éviter demain. Le perfectionnisme moral est donc une course dont l’arrivée recule à mesure qu’on avance. Il ne récompense jamais, il ne console pas. Il ne connaît pas la gratitude, seulement la dette.
Et pourtant, derrière cette dureté, il y a souvent une aspiration profondément humaine : ne pas faire de mal. Être digne de confiance. Offrir le meilleur de soi. Cette intention est belle, mais elle se déforme lorsqu’elle se transforme en absolu. Car ce n’est pas la bonté qui écrase, c’est l’obsession de ne jamais faillir. Or, la bonté véritable ne naît pas de la perfection mais de la vulnérabilité. Elle naît du courage d’admettre : "Je ne suis pas parfait, et c’est depuis cette imperfection assumée que je peux aimer et être aimé. "
Renoncer au perfectionnisme moral ne signifie pas se complaire dans la médiocrité ou l’irresponsabilité. Cela signifie accueillir en soi la pluralité de ses mouvements intérieurs. Cela signifie se reconnaître faillible, parfois maladroit, parfois injuste, mais toujours capable de réparation, d’ajustement, de croissance. La morale vivante n’est pas un code rigide, c’est un tissu de relations, de remords féconds, de réconciliations possibles.
Celui qui se libère du perfectionnisme moral découvre alors une vérité paradoxale : c’est au moment où l’on cesse de vouloir être irréprochable qu’on devient vraiment digne de confiance. Parce qu’on cesse de cacher ses ombres. Parce qu’on peut dire : "J’ai eu tort." Parce qu’on n’a plus besoin d’écraser sa propre humanité pour sauver une image.
Ainsi, le chemin n’est pas d’être « pur », mais d’être entier. Non pas impeccable, mais incarné. Non pas irréprochable, mais présent. La morale véritable n’est pas une ligne droite à suivre sans faillir, mais une danse fragile entre soi et le monde, entre ses élans et ses limites, entre sa lumière et ses zones d’ombre. Et c’est dans cette danse, imparfaite mais vivante, que réside la beauté la plus profonde de l’humain.
A bientôt au cabinet ✨
Clémence