11/04/2024
« Je suis nul » mais je me soigne
Dans ma pratique de psy et de superviseur, j’ai noté au fil du temps que la croyance : « je suis nul(le) » est une croyance assez répandue. Cette croyance a des effets dévastateurs pour la personne en terme d’estime de soi, avec tous les effets que ça implique derrière dans la vie de la personne. Je ne vais pas développer ici les effets de cette croyance. Je m’intéresse plus ici au point de vue du thérapeute car cette croyance est particulièrement difficile à transformer. Bien sûr en tant que patient c’est aussi très important de comprendre pourquoi ce « boulet » reste là malgré tous vos efforts et toutes vos années de thérapie. Le risque étant que ces difficultés confirment une fois de plus votre croyance, l’ancrant un peu plus profondément encore. Ce qui suit vous donnera, je l’espère, des perspectives de libération. Ouf !
Avec le temps j’ai identifié les différentes raisons pour lesquelles cette croyance peut mettre en échec le thérapeute. On peut voir les mêmes mécanismes avec des croyances proches : « je suis bête, idiot, moche, une mauvaise personne, un monstre... ». Regarder ça ensemble peut nous éclairer aussi sur les origines de cette croyance.
1. Cette croyance est associée à de la honte. La honte est un sentiment particulièrement pénible à vivre. Si je vis de la honte, je veux me cacher, disparaître (dans un trou de souris). La honte est associée avec du figement, l’état dorsal du système nerveux (voir la théorie polyvagale). Très souvent la personne met en place de façon non consciente des mécanismes pour éviter d’éprouver de la honte. Ce qui fait que cette croyance « je suis nul(le) » est souvent tapis dans l’inconscient, pas facile à déceler, à identifier. Ou elle est inavouable. Et quand on l’approche, la personne peut chercher à éviter de la contacter sans même s’en rendre compte.
Nommer la honte, rassurer la personne sur ce qu’on éprouve pour elle en tant que thérapeute peuvent être importants à ce stade. La honte peut provenir d’un jugement extérieur explicite : « tu es nul(le) », ou implicite : regard, attitude qui sous-entend ce jugement. Ces attitudes ou jugement viennent souvent de figures d’autorité : professeurs, groupes (notamment dans des cas de harcèlement), parents… Il est important que le thérapeute se positionne alors clairement : « ça n’est pas normal ». Il est aussi important d’aller visiter les différents traumas à l’origine de cette croyance.
Si la croyance vient d’une figure d’attachement de la personne (parent, grand frère, sœur, grand parent…), le thérapeute aura intérêt à dénoncer cet agissement et proposer à la personne de faire une autre expérience dans le présent. Une expérience où la personne puisse se sentir vue telle qu’elle est, sans jugement, sans attente. Où la personne puisse se sentir précieuse aux yeux du thérapeute. Car « être vu tel qu’on est » et « se sentir précieux aux yeux de ses parents » sont des besoins de base, que nous avons tous. Il est crucial que le thérapeute explicite ça clairement. Un enfant qui n’a pas pu nourrir ces besoins de base avec ses parents va penser que ça n’est pas normal d’avoir ces besoins. Et il va développer de la honte. Honte qui s’ajoutera à toute celle associée à la croyance « je suis nul ».
2. Cette croyance est souvent une croyance de fond, là encore souvent inconsciente (tapie au fond). Elle peut être vécue comme une évidence, un fondement, faisant partie de la personne. C’est d’autant plus difficile d’y toucher que c’est une croyance identitaire. C’est facile de le repérer, elle commence par « je suis » (ou la croyance peut être résumée ainsi ).
Ainsi la personne peut paradoxalement être effrayée qu’on touche à cette croyance. Si en effet on remettait en cause cette croyance, ça poserait la question suivante : « si je ne suis pas nul(le), alors qui suis-je ? ». Question vertigineuse, abyssale, que la personne souhaite généralement repousser. J’ai constaté qu’il est avantageux à ce moment d’inviter simplement la personne à porter son attention sur ses appuis au sol et sur son fauteuil, ainsi que sur moi, thérapeute. Ça a un effet assez rapide en général. La rassurer sur ma présence engagée dans ce temps de transition, de transformation.
Dans ce moment, je partage aussi mon expérience quant au fait que je ne pourrais pas moi-même formuler en quelques mots qui je suis et que ça ne me pose pas de problème particulier dans ma vie. Et que l’important n’est pas tant de savoir qui je suis que de sentir que « je suis ». Sentir mon corps. Revenir à la sensation présente, à mes appuis. Comme l’a écrit récemment la philosophe madame de Funès, passer de la question de l’identité au sentiment de soi. En général quelques minutes suffisent pour intégrer ce changement. Si besoin aller voir mon article sur ma page FB « Psychothérapie humaniste » sur la difficulté à vivre du « bizarre ».
3. Cette croyance est parfois transmise par la ou les générations précédentes. Là encore, comme cette croyance est rarement explicite, il n’est pas toujours facile de voir d’emblée si c’est le cas. Dans mon expérience, les personnes sentent rapidement cette filiation. Et comme toute filiation, elle peut déclencher des résistances à lâcher cette croyance. J’entends souvent : « quel lien ai-je avec mon parent si je n’ai plus cette croyance ? » . C’est à prendre au pied de la lettre. « Hé oui, quel lien pourriez vous avoir en dehors de cette croyance ? ». J’insiste là sur l’intention de la personne : quel lien souhaiterait-elle avoir dans l’absolu avec ce parent ? Un lien qui ne dépendrait pas de ce parent. (par exemple pas du genre « je souhaite être écoutée, vue… »). Un lien qui ne dépend que de soi, de son élan. Très souvent un lien de coeur apparaît, tout simplement. J’invite la personne à imaginer ce lien souhaité. A le sentir. Ça demande un peu de temps pour goûter, incarner suffisamment ce lien. Quelques minutes suffisent. Une fois que le nouveau lien est installé, la personne est généralement prête à lâcher l’ancien. La vieille croyance « je suis nul(e) » peut alors se transformer. Ne pas hésiter à demander l’aide d’un élément de la nature pour alchimiser le tout : le feu, le vent, la lumière…
Tout ça vous paraît un peu simple, un peu trop « magique » ou au contraire trop complexe ? Essayez. Faites votre popote. Adoptez ce qui vous parle.
A noter que les deux dernières étapes de cet article peuvent servir pour d’autres croyances du type : « je suis un(e) guerrier(e) », « je suis fort(e) » ou autres croyances limitantes.
Brice de Charentenay, superviseur et psychopraticien certifié en Intelligence Relationnelle, IFS et Gestalt Thérapie
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