11/11/2025
𝐅𝐚𝐮𝐭-𝐢𝐥 𝐩𝐚𝐫𝐥𝐞𝐫 𝐝𝐞 « 𝐝𝐞́𝐫𝐢𝐯𝐞 𝐩𝐫𝐞́𝐝𝐚𝐭𝐫𝐢𝐜𝐞 » ?
Le terme dérive prédatrice (ou predatory drift) est aujourd’hui bien connu dans le monde de l’éducation canine.
Il décrit ces situations où une interaction entre chiens, souvent ludique au départ, bascule soudainement vers un comportement de prédation.
On l’observe plus fréquemment entre chiens de gabarits très différents : un grand chien qui, en plein jeu, passe sans prévenir à une séquence de poursuite, d’attrape ou de secouement, sans véritable intention d’agression.
Le concept est généralement attribué à Ian Dunbar, vétérinaire et éthologiste, qui l’a utilisé dès les années 1990 et dans ses conférences et programmes de formation (Dunbar, 1999/2008).
Pour lui, il s’agit d’un glissement instinctif : sous l’effet d’une forte excitation, certains chiens activent une partie de leur chaîne de prédation sans s’en rendre compte.
La course rapide d’un petit chien, ses cris aigus ou une agitation soudaine peuvent suffire à déclencher cette réponse archaïque.
Dunbar voulait avant tout attirer l’attention sur un risque concret : 𝒄𝒆𝒍𝒖𝒊 𝒅𝒆𝒔 𝒋𝒆𝒖𝒙 𝒏𝒐𝒏 𝒆𝒏𝒄𝒂𝒅𝒓𝒆́𝒔 𝒆𝒏𝒕𝒓𝒆 𝒄𝒉𝒊𝒆𝒏𝒔 𝒅𝒆 𝒕𝒂𝒊𝒍𝒍𝒆𝒔 𝒕𝒓𝒆̀𝒔 𝒅𝒊𝒇𝒇𝒆́𝒓𝒆𝒏𝒕𝒆𝒔.
Son objectif était pratique : offrir aux éducateurs un repère simple pour prévenir les accidents, sans poser de concept scientifique.
Quelques années plus t**d, Jean Donaldson reprend la notion dans son ouvrage The Culture Clash (Donaldson, 1996) et lui donne une portée pédagogique.
Si le terme n’apparaît pas explicitement dans le livre, elle y décrit précisément le mécanisme de basculement qu’il désigne : un passage involontaire du registre social vers le registre prédateur.
Donaldson met l’accent sur la lecture des micro-signaux : le regard qui se fige, la vitesse qui augmente, la tension corporelle qui s’installe ou encore le moment où le jeu cesse d’être réciproque.
Pour elle, évoquer la dérive prédatrice permet surtout de sensibiliser aux signaux précurseurs et à la nécessité de gérer l’excitation pour éviter que le jeu ne dégénère.
Plus récemment, l’éthologiste Jim Ha (Université de Washington) a proposé une lecture plus critique.
Dans un article publié en 2015, il écrivait : « There is no such thing as predatory drift in animal behavior » (Ha, 2015).
Pour lui, le terme n’a pas de fondement scientifique et mélange plusieurs phénomènes connus : la surexcitation, la désinhibition ou la mauvaise lecture des signaux sociaux.
Dans ses conférences ultérieures, il nuance toutefois sa position et admet que le phénomène observé sur le terrain correspond bien à un basculement motivationnel vers la prédation (Ha, 2019). Il parle d’un glissement lié à des stimuli sensoriels forts (mouvement, cris, agitation) combiné à une communication altérée entre chiens de morphologies différentes.
Selon Ha, certaines races, souvent les plus grandes ou issues de lignées primitives, peinent à reconnaître les petits chiens comme des congénères.
Les signaux sociaux sont mal lus et, lorsque l’inhibition comportementale est faible, la situation peut rapidement dégénérer (Ha & Campion, 2018).
Ainsi, la « dérive prédatrice » n’est pas une catégorie scientifique, mais un terme de terrain utile pour vulgariser une réalité observée.
𝑫𝒖𝒏𝒃𝒂𝒓 𝒍’𝒂 𝒑𝒓𝒐𝒑𝒐𝒔𝒆́ 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝒑𝒓𝒆́𝒗𝒆𝒏𝒊𝒓 𝒍𝒆𝒔 𝒂𝒄𝒄𝒊𝒅𝒆𝒏𝒕𝒔, 𝑫𝒐𝒏𝒂𝒍𝒅𝒔𝒐𝒏 𝒍’𝒂 𝒖𝒕𝒊𝒍𝒊𝒔𝒆́𝒆 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝒆𝒏𝒔𝒆𝒊𝒈𝒏𝒆𝒓 𝒍𝒂 𝒍𝒆𝒄𝒕𝒖𝒓𝒆 𝒅𝒖 𝒄𝒐𝒎𝒑𝒐𝒓𝒕𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕, 𝒆𝒕 𝑯𝒂 𝒍’𝒂 𝒓𝒆𝒑𝒍𝒂𝒄𝒆́𝒆 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒖𝒏 𝒄𝒂𝒅𝒓𝒆 𝒆́𝒕𝒉𝒐𝒍𝒐𝒈𝒊𝒒𝒖𝒆 𝒑𝒍𝒖𝒔 𝒓𝒊𝒈𝒐𝒖𝒓𝒆𝒖𝒙.
Tous s’accordent sur un point : ces incidents ne relèvent ni de la « méchanceté » ni d’une volonté d’attaque, mais d’un glissement comportemental favorisé par la surexcitation, la confusion et un manque de contrôle émotionnel.
✨ Pour un professionnel, employer le terme reste pertinent à condition d’en préciser la portée : il désigne un phénomène empirique, pas un diagnostic.
Dans un cadre plus scientifique, on privilégiera des expressions comme activation de comportements de prédation en contexte social ou transfert motivationnel vers la prédation.
‼️𝐋𝐚 𝐩𝐫𝐞́𝐯𝐞𝐧𝐭𝐢𝐨𝐧, 𝐞𝐥𝐥𝐞, 𝐫𝐞𝐬𝐭𝐞 𝐥𝐚 𝐦𝐞̂𝐦𝐞. : éviter les écarts de taille trop importants dans les jeux libres, encadrer la socialisation inter-gabarits, observer la montée d’excitation et intervenir avant le point de rupture.
Mieux comprendre ces glissements, c’est éviter d’y projeter des notions de dominance ou de caractère et les replacer dans ce qu’ils sont réellement : des réponses émotionnelles et biologiques parfois dépassées par l’intensité du moment.
C’est en les reconnaissant pour ce qu’ils sont
(ni agressions, ni «instincts de tueur ») que l’on peut prévenir plutôt que juger, et construire des relations plus sûres et plus justes entre chiens.
👩 Boostels Megan, éducatrice et intervenante en comportement canin depuis 2013