18/04/2025
LA HONTE
Merci pour ce texte qui me parle tant.
Elle a été au cœur de ma propre construction cette honte apprise dans les silences, les regards, les mots qui n’avaient l’air de rien. Et je l’ai à mon tour transmise avant de comprendre, avant de voir.
Cette honte présente aussi chez tant de personnes que j’accompagne.
Alors on prend le temps ensemble de la rencontrer, d’écouter ses besoins et ses peurs. Une fois rassurée, elle ouvre le chemin car elle est la gardienne du seuil de l´être libre et spontané tapi en chacun. Pour moi c’est chaque fois un cadeau d’accompagner comme une sage femme à cette renaissance délicate.
« Il y a des émotions qui brûlent. D’autres qui blessent. Et puis il y a la honte.
La honte, elle ne se voit pas. Elle ne se crie pas. Elle ne s’exprime pas clairement. Elle s’insinue. Elle s’imprime dans la posture, dans les silences, dans les absences. La honte ne s’affiche jamais volontairement. Elle vit en sous-sol. Et c’est précisément pour cela qu’elle dirige autant de vies sans jamais être identifiée.
Lorsqu’on se penche sur la vie d’un individu au microscope du profiling, on découvre une chose fascinante : une grande partie de ses décisions, de ses relations, et de ses talents étouffés sont directement influencés par un ou plusieurs noyaux de honte.
Cette émotion n’est pas une simple réaction passagère. C’est une structure. Un conditionnement. Une manière d’être au monde.
Vous n’êtes pas honteux. Vous avez été recouvert de honte.
L’erreur la plus fréquente consiste à croire que la honte est une caractéristique personnelle. Or, elle est presque toujours transmise, injectée, imposée. Par une éducation culpabilisante. Par une société normative. Par une culture familiale où le silence vaut dissimulation. Ou, plus subtilement encore, par la spiritualité elle-même.
Quand un enfant grandit dans un environnement où il se sent "trop", "pas assez", ou "incompris", il développe très tôt des stratégies pour s’adapter. Et la plus commune de ces stratégies consiste à camoufler ce qu’il est réellement. La honte devient alors une sorte de garde-fou : elle empêche l’élan, bride la parole, freine l’élève brillant ou l’artiste en devenir. Ce n’est pas un défaut de confiance. C’est une infection identitaire.
Ce que je vois dans mon travail de profiling, ce ne sont pas des gens qui "manquent de confiance en eux". Ce sont des individus qui ont appris à avoir honte de leurs vérités les plus fondamentales.
Et c’est là que tout commence à se figer.
Le masque social : conséquence directe d’un terrain honteux
La honte inconsciente crée un effet de compensation. Quand on a honte, on se construit une version de soi acceptable. Cela devient un réflexe, puis une seconde peau.
C’est ce que j’appelle le masque social : un rôle silencieusement choisi pour se protéger du rejet, de l’humiliation ou de la marginalisation. Ce masque peut prendre la forme d’un personnage fort, séducteur, brillant, effacé ou même spirituel. Ce n’est pas qu’une posture : c’est un camouflage.
Et tant que ce camouflage fonctionne, il devient la "personnalité" de l’individu. Il n’est plus guidé par son essence, mais par une stratégie inconsciente : ne plus jamais ressentir la honte originelle.
Ce mécanisme est extraordinairement puissant… et destructeur à long terme.
Car sous ce masque, les vrais désirs s’étouffent, les vraies émotions se censurent, et les vrais liens deviennent impossibles.
La honte relationnelle : quand l’intimité devient menaçante
Dans la sphère intime, la honte agit comme un saboteur invisible. Elle rend la vulnérabilité dangereuse. Elle empêche les vrais rapprochements. Elle contamine l’amour par des mécanismes d’évitement, de suradaptation ou de dépendance affective.
Pourquoi certaines personnes quittent toujours au moment où ça devient profond ? Pourquoi d’autres s’accrochent à des partenaires destructeurs ? Pourquoi tant de relations échouent sans qu’aucun des deux ne puisse nommer ce qui cloche ?
Très souvent, c’est la honte qui orchestre ces schémas.
La honte relationnelle, c’est cette sensation que si l’autre me voit vraiment, il me rejettera. C’est l’idée que mon intimité est indigne, que mes failles sont dégoûtantes, que mon histoire me rend fondamentalement "non aimable".
Tant que cette croyance n’est pas dissoute, l’amour reste conditionnel, et les relations deviennent des transactions émotionnelles déguisées.
La honte éducative et familiale : un héritage non choisi
Il est crucial de comprendre que la honte se transmet. Elle ne s’invente pas seule.
Un parent qui n’a jamais guéri sa propre honte va, sans le vouloir, en projeter les fragments sur ses enfants. Cela peut prendre la forme de critiques, de comparaisons, de sarcasmes, d’attentes irréalistes… ou pire : d’un silence glacial.
Il y a des adultes qui portent encore aujourd’hui la honte d’un regard parental jamais valorisant, d’un mot cruel prononcé un soir d’enfance, d’un tabou jamais abordé.
Et ils l’ont intégrée comme une vérité.
Le processus de libération commence souvent par cette phrase :
"ce n’était pas ma honte".
Il faut parfois une vie entière pour oser dire : on m’a fait croire que j’étais honteux, mais je n’ai rien fait de honteux.
Ce n’est pas un acte intellectuel. C’est une bascule émotionnelle profonde. Une rupture intérieure avec l’origine toxique de ce sentiment.
La honte spirituelle : l’ultime piège
Il existe une forme de honte encore plus sournoise, car elle se pare de lumière. C’est la honte spirituelle.
Elle naît dans les milieux où l’on vous enseigne que certaines pensées, certains désirs ou certaines émotions sont "impures", "égoïstes", "involutives" ou "non alignées".
C’est la honte de ne pas être “éveillé”. La honte de ne pas vibrer “haut”. La honte d’être encore en colère, triste, dépendant ou humain, tout simplement.
Cette forme de honte est dangereuse, car elle peut conduire à une dissociation identitaire. L’individu s’auto-censure, développe une personnalité "lumineuse" mais coupée de ses racines. Il ne s’autorise plus à penser par lui-même. Il devient une caricature du développement personnel.
Là encore, le masque est une stratégie de survie.
Mais sous la surface, il y a souvent une douleur immense. Celle de ne plus savoir qui l’on est vraiment, ni ce que l’on ressent au fond.
Libérer la honte ne suffit pas : il faut la rencontrer
Beaucoup de discours thérapeutiques visent à “libérer” la honte. Mais cela présuppose qu’elle est un ennemi. Ce n’est pas exactement le cas.
La honte est souvent un signal. Un indicateur de frontière violée. Une mémoire qui n’a pas été reconnue. Une tentative archaïque d’autoprotection.
Vouloir la libérer sans la rencontrer, c’est passer à côté de sa puissance de transformation.
Le premier acte n’est pas de chasser la honte, mais de l’écouter. De la regarder dans les yeux. De comprendre ce qu’elle a voulu éviter. Et de décider, en conscience, si cette stratégie est encore pertinente.
En remontant la piste des fractures. Il s’agit de décoder les postures, les automatismes, les discours répétés et les silences pesants pour identifier où et quand la honte a pris le pouvoir.
Ce moment, une fois découvert, devient un point d’inflexion. On peut alors commencer à reconstruire. Non pas une version “meilleure” de soi, mais une version plus vraie.
Votre vérité n’est pas honteuse
Voici ce que la honte ne veut jamais que vous entendiez : votre vérité n’est pas honteuse.
Ce que vous avez ressenti enfant n’était pas un défaut. Ce que vous n’avez pas osé dire dans vos relations n’était pas absurde. Ce que vous n’avez pas créé, exprimé ou tenté n’était pas un manque de valeur. C’était la honte qui parlait à votre place.
Si vous avez saboté une opportunité, ce n’était peut-être pas par peur d’échouer, mais par peur d’être vu. Si vous avez évité certaines confrontations, ce n’était pas par lâcheté, mais parce que vous aviez appris que vous n’aviez pas le droit. Si vous n’avez pas osé être pleinement vous-même, ce n’est pas que vous manquiez de courage. C’est que vous n’aviez pas encore compris d’où venait le poison.
Et maintenant que vous le savez, que voulez-vous faire de cette prise de conscience ?
Il ne s’agit pas de se blâmer. Il ne s’agit pas non plus de tout révolutionner. Mais de regarder votre vie actuelle avec un œil nouveau. De repérer où la honte dicte encore votre conduite. Et d’amorcer, petit à petit, le processus de dépouillement.
Ce processus est exigeant. Il nécessite du discernement, de la patience, et parfois un accompagnement de qualité. Mais il vous rend à vous-même.
C’est un déshabillage. Une reconquête. Un acte d’amour radical envers votre vérité. »
Rafael Arielli