01/06/2025
TCA et culpabilité : l’engrenage omniprésent
La culpabilité se distingue du remords (regret d’un acte passé) et de la honte (centrée sur l’image de soi exposée au regard d’autrui). Elle leur est pourtant souvent associée.
Elle traverse tous les troubles des conduites alimentaires, mais ne s’y inscrit jamais de la même façon.
Chez les jeunes atteint·e·s d’anorexie mentale, le simple fait de manger peut susciter un sentiment de faute. Manger, c’est céder. C’est abdiquer devant une exigence intérieure de pureté, de perfection, de maîtrise. Ici, la culpabilité ne porte pas sur un acte : elle s’enracine dans l’être même. Elle pousse à la restriction comme à une forme d’auto-purification, presque sacrificielle. Il s’agit d’effacer ce corps en trop, qui se forme, se transforme, se gonfle de désirs et de velléités d’indépendance ; le contraindre à cesser de grandir, le réduire à un squelette — comme pour faire mordre la poussière à l’adversaire intérieur.
Chez celles et ceux qui souffrent de boulimie nerveuse, la culpabilité surgit après la crise. Ces jeunes disent souvent : « J’ai craqué. Je suis nul·le. Je me rattraperai demain. » Le sentiment de faute vient d’une autre abdication : ne pas avoir gardé le contrôle, avoir laissé s’échapper la hantise de grossir — qui est aussi, souvent, une peur de grandir. Alors surviennent les tentatives de réparation : vomissements, privations, sport intensif… Mais rien n’est vraiment « réparé », car la crise suivante réactivera le même cycle : pulsion → perte de contrôle → punition.
Dans l’hyperphagie boulimique, la culpabilité est plus diffuse, souterraine, souvent masquée par la honte ou le repli. On engloutit des aliments « interdits » — sucrés, gras — pour se consoler, se taire, s’anesthésier. Puis vient ce regard intérieur : « Je me dégoûte. Je n’y arriverai jamais. » Une culpabilité sans mots, sans gestes, sans recours… où la seule issue semble être la dissimulation.
Dans tous les cas, la culpabilité enferme. Elle coupe du lien, empêche la parole, freine l’accès au soin. Elle mérite d’être nommée, reconnue, explorée — non pour être éteinte ou jugée, mais pour devenir une trace humaine, pensable, transformable.
Il s’agit d’aider le sujet à comprendre que cette inflexibilité douloureuse est à la mesure des ressources exceptionnelles qu’il ou elle détient sans le savoir. Qu’elle est une pâte à travailler, un matériau intérieur qu’il est possible de modeler — pour que cette force s’exprime enfin du côté de l’ouverture, du lien, de l’estime de soi.