09/10/2024
Toutes vos histoires sont belles, pleines de sens et de résonances. Certaines le sont d'autant plus et j'ai envie de vous partager l'histoire de C. que j'ai eu le plaisir d'accompagner aujourd'hui.
Pourquoi C. as-t-elle décidé de pousser la porte de mon cabinet ?
C. vient me voir pour un problème de sommeil. Toutes les nuits, elle est réveillée systématiquement entre 1h30 et 3h du matin, avec plus ou moins de difficultés à se rendormir.
Voici donc notre point de départ pour la consultation : le sommeil.
On commence par faire un petit point sur l'environnement de C. Que fait-elle dans la vie ? Est-elle mariée ? A-t-elle des enfants ?
C. a 62 ans, elle est mariée, a deux enfants et un petit fils. Sur le plan professionnel, C. exerce le merveilleux travail de famille d'accueil et, plus précisément d'enfants nés sous X et dont elle s'occupe jusqu'à ce qu'ils trouvent une famille d'adoption. Un travail que C. aime énormément et fait avec beaucoup d'amour.
Mais alors... Quelle peut bien être l'origine de ces soudains troubles du sommeil ? Quelle est l'ombre au tableau ?
À cela, C. me répond que le seul enfant qu'elle ait accueilli plus longtemps que quelques mois vient de quitter le nid. Il a été pris en charge en foyer après 6 ans à ses côtés. Ça ne se passe pas très bien... C. peut le voir de temps en temps mais elle ne peut que constater son mal-être, impuissante. Récemment, C. a appris qu'elle ne pourrait bientôt plus le voir, que son rôle s'arrêtait tout simplement ici. Tout s'effondre... Les troubles du sommeil apparaissent.
Je commence par expliquer à C. que la plage horaire durant laquelle elle se réveille correspond, en médecine traditionnelle chinoise, à la phase d'activité de l'énergie du foie. De façon générale, l'énergie du foie représente la colère. C'est bien ça, me dit C., elle est en colère.
J'explique à C. que ce qu'elle ressent aujourd'hui, et ce qu'elle pense être à l'origine de ses problèmes de sommeil n'est probablement qu'une résonnance liée à une blessure bien plus profonde.
Alors ? Et si on cherchait la blessure originelle ? Je demande à C. de me parler de ce qu'elle sait du contexte autour de sa venue au monde et de me partager des faits marquants de son enfance, si elle s'en souvient.
C. commence par m'expliquer que sa mère ne voulait pas d'elle, ce sont ces mots. Et la façon dont ils sont formulés est importante. Dans sa conception des choses, ou plutôt à travers le prisme de ce qu'elle a entendu de sa mère, C. n'est pas un bébé surprise. Elle est un accident, le fruit d'un non désir. Même si rien ne change au niveau des faits, l'impact au niveau de la mémoire cellulaire est bien différent. C. m'explique que sa mère s'est rendue compte de sa grossesse à 4 mois et qu'elle ne pouvait plus l'interrompre. Il en ressort donc que, dès sa vie foetale, C. a été confrontée à une blessure de rejet.
La grossesse durera sept mois au lieu de neuf. La mère de C. n'étant pas là, il ne s'agit pas de refaire l'histoire et de l'interpréter. Il en ressort néanmoins qu'il est fréquent qu'une grossesse non désirée mène à un accouchement prématuré dû à l'urgence pour la mère de sortir de cet état qu'elle n'a pas souhaité. Seconde confrontation au rejet.
Après sa naissance, C. sera accueillie et élevée par sa grand-mère. Sa maman ne se sentant pas capable d'assumer ce rôle. Troisième confrontation au rejet même si C. garde de bons souvenirs d'enfance et que sa grand-mère a été d'une grande bienveillance. Mais la grand-mère n'est pas la mère.
À l'âge de 7 ans, C. fera la douloureuse expérience de perdre son papa. Même si le rejet n'est pas manifeste et volontaire, C. se retrouvera à nouveau face à une autre blessure proche de celle du rejet : l'abandon.
Comme point commun à toutes ces expériences, C. n'a jamais pu exprimer son choix. La condition même de son existence résulte du fait qu'il était trop t**d pour interrompre la grossesse. C. n'a pu que s'en remettre à la décision de sa mère. Le non choix se manifestera à nouveau à la naissance (deux mois avant terme, alors que C. aurait peut-être eu besoin de plus de temps). C. n'aura pas non plus eu le choix de rester ou non avec sa maman. Elle sera placée chez sa grand-mère. S'en suivra le décès du père de C. où, encore une fois, elle n'aura eu d'autre choix que de subir l'abandon.
Quelle est la situation de C. aujourd'hui ?
C. aura consacré sa vie à s'occuper d'enfants qui vivent le rejet de leur mère. Une vie professionnelle entière à tenter de soigner ses propres blessures en les rendant moins douloureuses pour les autres. Une vie à essayer de jouer le même rôle que sa grand-mère : apporter de la douceur et panser les plaies.
Aujourd'hui, il est question pour C. de se voir interdire d'aider un enfant dans la souffrance alors même qu'elle y a consacré son existence. On dit à C. que son rôle s'arrête ici et qu'elle ne pourra plus voir cet enfant. Que fait le cerveau à cet instant précis ? Il ouvre une fois de plus le premier fichier dans l'ordinateur. Celui qui est à l'origine de la blessure de rejet et qui se trouve dans la mémoire cellulaire de C. depuis sa vie foetale. Puis tous les sous fichiers qui y sont associés (la naissance prématurée, le placement chez la grand-mère à la naissance, et toutes les blessures de rejet que C. a pu vivre tout au long de sa vie).
Encore une fois, dans la situation actuelle, on ne laisse pas le choix à C. Elle ne reverra pas cet enfant, parce qu'il en a été décidé ainsi. À nouveau, la blessure et la colère refont surface sous forme de réveils nocturnes. Le corps de C. ne fait qu'exprimer la blessure dans l'espoir qu'elle s'y att**de. Chose difficile... Quand on a passé sa vie à soigner les blessures des autres pour ne pas se confronter aux siennes.
En travaillant sur cette blessure, C. se donne le droit de reconnaître qu'elle s'est sentie rejetée et qu'on ne lui a pas laissé le choix. Que les décisions ont toujours été prises pour elle. Ce n'est que parce qu'elle a regardé sa blessure en face que C. peut maintenant choisir de la revivre encore, ou de dire stop. C. approche de la retraite... Le nid sera bientôt vide. Les enfants nés sous X seront confiés à d'autres familles. Ce qui semblait si effrayant pour C. se révèle enfin être salvateur. Si mes blessures sont cicatrisées, alors je n'ai plus pour mission de vouer ma vie à soigner celles des autres...
Cette publication était très (trop... 🫣) longue mais il me tenait à cœur de vous partager l'essence même de mon travail que j'aime tant. Je ne suis pas là pour soigner vos blessures. Je suis là pour vous aider à les regarder en face et à les soigner vous-même.
Écoutez-vous... Observez vos réactions dans chaque situation. Quelle est l'émotion qu'elle génère ? Quelle type de blessure résonne ? Et quand avez-vous été confronté à cette blessure pour la première fois. Posez-vous des questions simples... Est ce que cette situation vous fait vous sentir rejeté ? Abandonné ? Trahi ? Humilié ?
Une fois la blessure identifiée, remontez le fil de vos souvenirs, cherchez les résonnances... Elles sont là, quelque part, et elles ne demandent qu'à être mises en lumière, regardées et reconnues. Alors, seulement là, vous aurez le choix de dire stop.
Questionnez-vous aussi sur vos choix de vie et particulièrement votre orientation professionnelle. On ne choisit pas son métier par hasard, comme on a pu le voir avec l'exemple de C.
Si vous êtes arrivé jusqu'ici, bravo 🙂 et merci d'avoir pris le temps de lire ce partage ❤️