02/09/2024
Article issu de la r***e Alternative Santé - du 16 07 2024
Régié par Jean-Pierre Giess
Notre destinée serait-elle, au moins en partie, prédéterminée ? Dans le sillage de l’épigénétique, une nouvelle voie suggère que certains évènements de la vie (en particulier les traumatismes) pourraient s’inscrire dans les gènes, et donc être transmis aux générations suivantes, avec des conséquences spécifiques sur la santé.
L’ADN a longtemps été considéré comme l’alpha et l’oméga d’un héritage génétique immuable. L’épigénétique a depuis introduit la notion de variabilité dans l’expression des gènes, sous l’influence de facteurs essentiellement environnementaux. Aujourd’hui, le concept d’« héritage épigénétique transgénérationnel » suggère que des traumatismes vécus par nos aïeux pourraient laisser une « trace » sur certains gènes, laquelle serait héritable et pourrait entraîner des troubles de la santé (comme l’asthme ou l’anxiété) et du comportement (alimentation, mise en danger de soi…) chez les descendants.
Des événements qui marquent… jusque dans l’ADN
Une guerre, un génocide (1) ou une famine, des facteurs environnementaux (stress, produits chimiques…) ou encore des traumas psychoaffectifs, politiques ou socio-économiques pourraient « marquer » une personne sous la forme d’informations épigénétiques héréditaires (l’épigénome) qui viendraient se « superposer » à la séquence d’ADN.
Pour simplifier, on peut considérer que l’épigénome est au matériel génétique (l’ADN) ce que le système d’exploitation est au matériel informatique. L’ADN (assimilable aux mémoires et aux processeurs de l’ordinateur) n’est, le plus souvent, pas altéré par des événements intenses ; c’est l’épigénome qui subit des modifications, celles-ci induisant des changements dans l’expression des gènes.
On a cru jusqu’à récemment que ces variations épigénétiques n’affectaient que la génération qui les développent, sans être transmissibles aux suivantes, parce qu’elles étaient « effacées » par différentes étapes de reprogrammation du matériel génétique dès le début du processus de reproduction. Mais des études (2), y compris sur des mammifères, indiquent qu’il existe des entorses à cet effacement, qui ont pour conséquences la transmission de « marques épigénomiques » capables d’influencer la destinée de la progéniture.
Rescapés de la Shoah, du Rwanda, du 11 septembre 2001, de désastres naturels…
Les marques en question consistent essentiellement en une méthylation de l’ADN, l’un des procédés majeurs qu’utilise l’épigénome pour activer ou inhiber des gènes. Différentes recherches auprès de populations traumatisées ont révélé que celles-ci présentaient des marqueurs associés à la méthylation de l’ADN sur certains gènes et que ceux-ci se retrouvaient aussi chez leurs enfants.
Qu’il s’agisse des survivants de la Shoah ou du génocide au Rwanda en 1994 (3), ou de vétérans de la guerre du Vietnam (4), cette découverte pourrait expliquer notamment la forte prévalence d’une sensibilité exacerbée au stress chez les descendants de victimes ou de témoins de telles atrocités – en particulier le syndrome de stress post-traumatique chez des personnes n’ayant pas vécu dans leur propre chair des évènements communément considérés comme traumatiques.
Alors que de nombreux thérapeutes s’intéressent à l’impact des mémoires familiales et transgénérationnelles, voire à la « mémoire des cellules », ces découvertes issues du champ de la biologie amènent leurs pierres à l’édifice pour mieux comprendre ces phénomènes passionnants.
Des « héritages » divers
Eu égard à la longévité humaine et à certains aspects éthiques associés à de telles recherches, il est plus commode d’étudier les modalités de ces mécanismes sur des modèles animaux comme le vers rond (Caenorhabditis elegans) (5) ou les souris. Chez ces dernières, la séparation des mères et de leurs petits, dans des conditions stressantes, induit dans la descendance davantage de symptômes de dépression, de pertes de mémoire (jusque sur trois générations) et de comportements à risque (jusque sur cinq générations).
Chez les êtres humains, les études prétendant établir un lien direct entre des changements épigénétiques chez les parents et des conséquences chez les enfants sont quasi inexistantes, principalement à cause des difficultés à mettre en place de telles recherches. Une étude (6) a toutefois pu montrer que l’expérience nutritionnelle d’une cohorte de près de 9 000 Suédois avant leur puberté avait déclenché une réponse transgénérationnelle spécifique dans la lignée masculine. Il s’avère que l’accès à la nourriture en abondance (dans les années 1874 à 1910) des grands-pères paternels avant leur puberté permettait de prédire une mortalité plus élevée (par cancer, mais aussi toutes causes confondues) chez les petits-enfants de sexe masculin, mais pas chez les petites-filles – en comparaison avec les lignées des grands-parents pour qui l’accès à la nourriture avait été plus difficile. Pourquoi l’impact des pratiques alimentaires se traduit-il spécifiquement à la descendance masculine ? Difficile de savoir à ce stade !
Lorsqu’on analyse ce phénomène dans l’autre sens – l’impact positif de la restriction calorique sur la longévité des descendants – ces résultats semblent faire écho à des découvertes récentes montrant par exemple que le jeûne intermittent est facteur de longévité via la méthylation de l’ADN.
Pas gravé dans le marbre
Les changements épigénétiques ne se transmettent pas irrémédiablement à la descendance. Certaines « cicatrices épigénétiques » liées à des traumatismes semblent pouvoir être neutralisées, notamment grâce à un environnement positif : ainsi, par exemple, lorsque des souris adultes traumatisées en début de vie sont placées avec des souris « normales » dans des cages équipées de jeux, leurs symptômes de comportements traumatiques, ainsi que ceux de leur descendance, disparaissent. Extrapolée à l’humain, cette découverte fait là aussi écho aux nombreuses recherches récentes sur les facteurs de résilience affectifs et sociaux permettant aux personnes de résister aux conséquences de leurs traumas d’enfance.
Ensuite, il faut garder à l’esprit que les modifications épigénétiques, lorsqu’elles ont lieu, ont aussi une utilité : celle d’activer des gènes qui permettront à la descendance de faire face à l’adversité et de s’y adapter plus rapidement, une des clés de la survie pour de nombreuses espèces. Ce champ de recherche, avec l’arrivée de technologies de séquençage de nouvelle génération, pourrait encore nous en apprendre beaucoup sur nous-mêmes…