04/10/2025
J'étais dans ma voiture, arrêté au feu rouge, quand ça m'a submergé. Une vague de tristesse, venue de nulle part. Pas de raison apparente. Juste cette boule dans la gorge et les yeux qui piquent.
Mon premier réflexe ? "Ressaisis-toi, t'es ridicule." Mon deuxième ? Chercher une explication rationnelle. Mon troisième ? Allumer la radio pour noyer tout ça.
C'est ça qu'on nous a appris, non ? Les émotions, c'est suspect.
La colère ? "Calme-toi." La tristesse ? "Sois fort." La peur ? "N'aie pas peur." Même la joie, parfois : "Ne t'emballe pas trop." Comme si ressentir était une faiblesse. Comme si être humain était un défaut à corriger.
Pendant des années, j'ai été un champion du contrôle émotionnel. Je pouvais sourire en réunion alors que la rage bouillonnait. Je pouvais dire "ça va" alors que tout s'écroulait. J'étais devenu expert dans l'art de mettre mes émotions dans des boîtes, de les étiqueter "appropriées" ou "inappropriées", de les ranger au fond pour ne plus les voir.
Sauf que les émotions, c'est comme l'eau. Tu peux construire des barrages, mais la pression monte. Et un jour, ça cède.
Pour moi, ça a été un matin banal, devant mon café. Ma fille m'a dit "Papa, tu souris jamais vraiment." Boom. Le barrage a explosé. Des mois, des années d'émotions refoulées qui remontaient d'un coup.
C'est là que j'ai compris : on ne peut pas sélectionner. Quand tu t'anesthésies à la tristesse, tu t'anesthésies aussi à la joie. Quand tu refuses la colère, tu refuses aussi la passion. Quand tu fuis la peur, tu fuis aussi l'excitation. On devient des zombies émotionnels, ni vraiment malheureux, ni vraiment heureux. Juste... éteints.
La révélation est venue d'une échange avec une vielle chamane mexicaine qui m'a dit : "Les émotions sont comme des enfants. Plus tu les ignores, plus ils crient fort. Mais si tu t'assieds avec eux, si tu les écoutes vraiment, ils te disent ce dont ils ont besoin et se calment."
J'ai commencé petit. Quand une émotion montait, au lieu de la fuir ou de la juger, je me posais. "OK, qu'est-ce qui est là ?" Pas pour analyser. Pas pour comprendre. Juste pour reconnaître. "Ah, de la colère. Bonjour colère. Où es-tu dans mon corps ? Dans mes mâchoires ? Mon ventre ?"
Au début, c'était inconfortable. Très. Mon mental hurlait : "Qu'est-ce que tu fous ? Reprends-toi !" Mais petit à petit, quelque chose s'est adouci. Les émotions, quand on les accueille, ne restent pas. Elles passent. Comme des vagues. Elles montent, culminent, redescendent. Mais seulement si on les laisse faire leur travail.
J'ai découvert que chaque émotion est une messagère :
* La colère dit : "Une limite a été franchie"
* La tristesse dit : "Quelque chose d'important a été perdu"
* La peur dit : "Attention, prépare-toi"
* La joie dit : "C'est aligné avec qui tu es"
Quand on écoute le message au lieu de tirer sur le messager, tout change.
La pleine conscience m'a appris une pratique simple qu'on appelle RAIN :
* Reconnaître : "Qu'est-ce qui est là ?"
* Autoriser : "C'est OK que ce soit là"
* Investiguer : "Où est-ce dans mon corps ?"
* Non-identification : "Je ne suis pas cette émotion"
Pas besoin d'une heure. Parfois, 30 secondes suffisent. Tu sens la moutarde monter ? RAIN. La gorge qui se serre ? RAIN. Cette joie qui pétille ? RAIN aussi. Parce qu'accueillir, ce n'est pas que pour les émotions "désagréables". C'est pour tout le spectre de l'expérience humaine.
Ce qui m'a le plus surpris, c'est l'effet sur les autres. Quand tu arrêtes de juger tes propres émotions, tu arrêtes de juger celles des autres. Ta femme pleure ? Tu n'essayes plus de "réparer". Tu es juste là. Ton collègue est en colère ? Tu n'essayes plus de le calmer. Tu écoutes ce que sa colère essaye de dire.
L'accueil des émotions, ce n'est pas devenir une éponge émotionnelle. C'est devenir un océan. Les vagues passent, mais l'océan reste.
Un participant m'a dit un jour : "Depuis que j'accueille mes émotions, je me sens paradoxalement plus stable. Comme si en acceptant le mouvement, j'avais trouvé mon centre." C'est exactement ça. La stabilité ne vient pas du contrôle. Elle vient de la capacité à danser avec ce qui est.
Cette capacité d'accueil, elle se cultive. Elle s'apprend. Elle se pratique dans des espaces sécurisés, avec d'autres qui explorent le même chemin. Il existe des lieux où l'on peut déposer les masques, où les émotions sont bienvenues, où l'on apprend ensemble à naviguer les vagues intérieures sans se noyer.
Bien sûr, ce n'est pas toujours facile. Certaines émotions sont plus coriaces. Certains patterns plus ancrés. C'est un chemin, pas une destination. Mais chaque fois que tu choisis d'accueillir plutôt que de fuir, de ressentir plutôt que de contrôler, tu reprends un peu de ton humanité.
Et toi, là, maintenant... qu'est-ce qui est vivant en toi ? Peux-tu juste le reconnaître, sans jugement, comme on reconnaîtrait un vieil ami à la porte ?
C'est le début de la réconciliation. Avec tes émotions. Avec toi-même. Avec la magnifique complexité d'être humain. Parce que tes émotions ne sont pas tes ennemies. Elles sont la preuve que tu es vivant.
Et peut-être qu'un jour, dans un cadre bienveillant, tu pourras explorer cette voie plus profondément, apprendre à naviguer tes émotions avec grâce, et même accompagner d'autres dans cette traversée.
Texte transféré de Jean Marc Terrel