10/10/2025
L’absence ou un mauvais modèle
Il y a des vies qui se construisent avec des modèles, et d’autres malgré eux, certains grandissent sous le regard exigeant d’un maître, d’un parent, d’une figure d’autorité.
D’autres, sans personne pour montrer le chemin, inventent les leurs, bricolent des repères, cherchent des phares dans le brouillard. Mais tous, sans exception, se modèlent à partir de quelque chose ou de son absence.
Car l’être humain ne se développe pas dans le vide. Il observe, imite, ajuste, teste, échoue, recommence.
C’est sa manière d’apprendre , modéliser, puis expérimenter, et que l’on parle d’un parent, d’un professeur, d’un mentor, d’un ami, d’un groupe, d’un idéal… le principe reste le même , notre psyché cherche une forme à reproduire.
Nous sommes des êtres de référence, façonnés par les empreintes du monde et c’est dans la tension entre ce que nous avons reçu et ce que nous choisissons de garder que se dessine notre singularité.
Chaque modèle, qu’il soit inspirant ou chaotique, laisse une empreinte. Il ne s’agit pas seulement d’actions à imiter, mais de façons d’exister. Le modèle transmet une posture face au monde , la manière de réagir, d’aimer, de douter, de se réparer.
L’enfant, l’élève, le disciple, le simple observateur… tous apprennent en silence, en lisant entre les gestes.
Un mot, un ton, un regard, une absence, tout est signifiant. L’inconscient, en bon architecte, construit à partir de ces fragments une structure de sens, voilà comment il faut faire pour être aimé, pour être en sécurité, pour réussir, pour mériter.
Puis, une fois ces modèles intériorisés, ils deviennent des moteurs , certains nous portent, d’autres nous freinent. Certains nous élèvent, d’autres nous enferment. Mais tous participent à ce grand apprentissage qu’est la construction de soi.
Le modèle parfait n’existe pas. Il n’existe que des humains, avec leurs forces, leurs peurs, leurs blessures, leurs incohérences, et pourtant, beaucoup continuent de courir après un modèle idéal, une forme de vérité absolue à imiter. Or, cette quête produit souvent l’effet inverse, elle fige.
Quand le modèle se fissure, l’élève vacille. Quand celui qu’on croyait solide tombe, il ne reste plus qu’à se tenir à soi-même, parfois c’est là que commence la maturité.
L’absence de modèle, ou la défaillance d’un modèle, n’est pas forcément une tragédie, c’est aussi une invitation à créer, à se définir autrement.Là où l’exemple manque, l’imagination se déploie, là où l’autorité échoue, la liberté naît.
Mais tout dépend de l’histoire qu’on se raconte.Certains feront de l’absence un gouffre, d’autres en feront une scène ouverte. La différence n’est pas dans le vécu, mais dans le sens que chacun donne à ce vécu.
Les modèles invisibles, certains modèles ne se montrent jamais, Ils se glissent dans les livres, les chansons, les films, les paysages.
Un poème, une mélodie, un geste d’inconnu peuvent parfois influencer plus durablement qu’un parent ou un professeur.
L’esprit humain a cette faculté prodigieuse de projeter le sens là où il en manque, c’est comme ça que se créent les vocations, les croyances, les passions. Un modèle n’a pas besoin d’être vivant pour inspirer il suffit qu’il soit signifiant.
Mais cette même plasticité peut aussi engendrer des dérives. Un idéal trop absolu, un héros inatteignable, une perfection fabriquée deviennent des prisons mentales, on finit par se juger à l’image d’un mythe.
C’est souvent dans cette comparaison incessante que naissent la honte, la culpabilité, ou la dévalorisation.
Les modèles imparfaits, eux, laissent des traces plus ambiguës, ils transmettent à la fois des forces et des failles. Un parent autoritaire inculque la rigueur mais aussi la peur de mal faire.
Un professeur passionné inspire, mais impose parfois une norme invisible , “sois comme moi.”
Un guide spirituel peut ouvrir une voie, tout en enfermant dans sa propre vision du monde.
Pourtant, sans ces contradictions, il n’y aurait pas de conscience, car c’est souvent dans la dissonance que naît la réflexion et face à un modèle défaillant, on apprend à penser par soi-même, à discerner, à trier.
On cesse d’imiter, on commence à choisir.
Le problème, c’est que le cerveau humain n’oublie pas , il automatise.
Ce qui a été appris dans la peur, dans le manque, dans la contrainte… reste comme une ligne de code enfouie et un jour, sans y penser, on agit comme eux”, même si on s’était promis de ne jamais le faire.
Ces comportements sont simplement des moteurs d’excellence mal calibrés, des stratégies qui ont fonctionné dans un contexte, mais qui deviennent inadaptées dans un autre.
Le perfectionnisme, la dépendance, l’hyper-contrôle, la fuite, la colère ne sont pas des fautes, mais des apprentissages réussis… dans un environnement précis.
La question est , faut-il continuer à les utiliser ?
L’apprentissage humain est un chef-d’œuvre d’efficacité, observer, tester, rater, corriger, intégrer, automatiser.
C’est cette boucle vertueuse qui nous a permis d’évoluer, d’aimer, de créer.Mais c’est aussi elle qui nous piège.
Ce que l’on répète devient naturel, et ce qui devient naturel finit par sembler vrai.
Ainsi, un comportement appris tôt, même nocif, se transforme en identité , “je suis comme ça.”
Mais ce n’est pas vrai, nous ne sommes pas “comme ça” nous avons appris à être comme ça et tout ce qui a été appris peut être réappris.
Encore faut-il oser regarder le modèle originel sans haine ni déni, le reconnaître, le comprendre, et lui dire, “Merci de m’avoir servi jusqu’ici, mais je n’ai plus besoin de toi.”
C’est là que commence la conscience et la conscience c’est déjà un changement.
Le modèle n’est pas figé dans le passé.Il évolue parfois à notre insu.
On découvre de nouveaux mentors, on lit d’autres auteurs, on fréquente d’autres milieux, à chaque rencontre réécrit la carte du monde.
Les neurosciences parlent de plasticité neuronale, la PNL parle de recadrage, la philosophie parle de liberté intérieure. Tous désignent la même chose , la capacité de l’esprit humain à redéfinir ses repères.
Un jour, on cesse de chercher un modèle pour devenir soi-même une référence, non pas pour être imité, mais pour être aligné, c’est là que s’inverse la logique , on ne suit plus le modèle, on en inspire un nouveau.
Mais cette bascule n’est jamais définitive, elle se rejoue à chaque relation, chaque défi, chaque épreuve. Nous sommes tour à tour le modèle et celui qui cherche un modèle, et c’est dans cette alternance que réside la richesse humaine.
L’absence, si on la regarde autrement, n’est pas un vide, c’est un espace de création, un silence où peuvent naître les idées, les émotions, les liens nouveaux.Elle n’est pas seulement un manque, mais une possibilité.
C’est dans l’absence d’un guide qu’on découvre son instinct. C’est dans l’absence de norme qu’on explore sa propre voie. C’est dans l’absence de reconnaissance qu’on apprend à s’aimer sans témoin.
L’absence oblige à se réinventer, et cette réinvention peut être douloureuse, certes, mais elle est souvent le point de départ d’une autonomie réelle. Je suis sûr que beaucoup de grands esprits se sont construits ainsi , non pas contre un modèle, mais autour du vide laissé par lui.
Il ne s’agit donc pas de savoir si le modèle est bon ou mauvais. Il s’agit de comprendre ce qu’il produit en nous. Comment il s’est inscrit, comment il agit encore, comment il influence nos choix les plus anodins.
Peut-être que le vrai questionnement n’est pas , “Ai-je eu un bon modèle ?”
Mais plutôt , “qu’est-ce que j’ai fait de ce que j’ai eu ?” et, en miroir “qu’est-ce que je transmets, consciemment ou non, à ceux qui m’observent ?”
Car nous sommes tous, à notre manière, les modèles de quelqu’un. Un mot prononcé, un regard posé, une attitude face à la peur ou à la joie, tout cela éduque. On ne choisit pas toujours d’être un exemple, mais on l’est souvent, malgré soi.
Alors, peut-être que le seul vrai modèle à poursuivre est celui de la présence consciente, être là, imparfait, cohérent autant que possible, lucide sur ses failles. Montrer qu’on cherche encore, et qu’apprendre, c’est déjà vivre.
Et après ? Faut-il conclure ? Probablement pas.
Car ce serait figer une vérité qui, par nature, doit rester mouvante, le modèle évolue avec nous, il se redessine à chaque regard porté sur lui.
Ce texte n’est pas une réponse, mais une invitation, observer ses modèles, les bons, les mauvais, les absents, les imaginaires. Les remercier, peut-être. Les questionner, sûrement, et, sans tout effacer, retrouver le droit de choisir à nouveau.