27/08/2024
Séparation symbolique et solitude intérieure
Un patient, B., s'est séparé d'un commun accord de sa compagne, A., depuis trois semaines.
Il me dit : "J'ai dit à A. que nous vivons le temps de la rupture, elle m'a répondu "non, nous vivons le temps de la séparation".
Vu comment A. et B. continuent de se parler, de se donner quotidiennement des nouvelles, ce que dit l'ex-compagne a du sens.
Derrière la décision de se quitter, il y a chez tous les deux une tentative de trouver les façons symboliques de se séparer.
Pour le moment, vu qu'ils continuent une relation à distance même en disant qu'ils ne sont plus ensemble, ils utilisent la séparation physique comme un tremplin, une analogie, un élan... pour trouver les voies de la séparation symbolique.
Cela illustre parfaitement cette phrase en forme de paradoxe : "Ils se sont quittés faute d'avoir pu se séparer."
C'est-à-dire : on se quitte physiquement parce qu'on n'arrive pas à se séparer symboliquement.
Les allers-retours rupture-séparation, engueulades-réconciliations sont une mise-en-scène de cette question.
Quand Bono chante "Je ne peux pas vivre avec toi ni sans toi", il raconte de la même façon ce tâtonnement, sinon ce désarroi, de l'être humain à travers les aléas de la séparation symbolique.
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"Séparation symbolique" est une autre façon de parler de solitude intérieure - à distinguer de l'isolement physique.
Nous, sujets, faisons en sorte de ne pas sentir cette solitude en nous remplissant de toutes sortes de drogues, de croyances, de relations... autrement dit d'objets.
Nous nous gavons d'objets dans le but que l'objet (tenu, détenu, aimé, mangé, désiré, absorbé, haï, esclave, maître,...) nous détourne de cette solitude, croyant qu'elle est vide et insupportable sans objet.
"Séparation symbolique" pourrait donc parler de cet état intérieur où, ayant reconnu ma solitude, je n'englobe plus l'autre dans le sens ultime de ma vie. Il est un élément du réel, digne de considération et d'amour comme tout élément du réel, mais il ne donne ni le sens de ma vie, ni ne le lui enlève.
Séparation symbolique parlerait donc de liberté.
Et de deuil du monde rêvé où l'autre est tout.
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Pour le nourrisson, l'autre est tout à juste titre, dans son extrême dépendance.
On peut poser l'hypothèse que c'est le monde du nourrisson qui parle chaque fois que nous entendons celui ou celle qui "ne vit plus" parce que l'autre est parti, et toutes les déclinaisons sur le même mode : je vis ceci parce que tu as fait/dit/pensé/imaginé/réalisé/voulu/pas voulu/pas dit cela.
Dans cette solitude intérieure reconnue, la vie prend son intensité, c'est-à-dire que dans cette reconnaissance il se passe le contraire de ce qu'on a toujours cru qui allait se passer : ce n'est pas fade et ce n'est pas vide.
Débarrassé des croyances qu'un objet va m'apporter le sens de ma vie, c'est le moment où toute la vie peut s'engouffrer dans mes sens et mon corps, quand elle n'est plus limitée par mes croyances que l'amour et le monde doivent être comme ceci ou comme cela.
Cela nous laisse avec ce vivant, dont nous sommes une partie -- ce vivant incompréhensible et intense, dont l'intensité est à la mesure de l'incompréhensible.
Plus je crois comprendre, plus j'enferme le monde dans le résultat de ma réflexion.
Plus je sais que je ne sais rien, plus le monde est vaste et intense.