01/07/2025
Sugarai face à un tournant : une transition nécessaire pour pérenniser la filière bois-énergie locale
Implantée au cœur de la vallée d’Hergarai, la SCIC Sugarai s’est imposée en dix ans comme un acteur emblématique de la transition énergétique en Pays Basque intérieur.
Née d’une réflexion portée par l’association Hergarai Bizi, la coopérative est le fruit d’une mobilisation collective réunissant les habitants, les six communes de la vallée, ainsi que de nombreux partenaires publics et privés (Communauté de Communes, Commission Syndicale de Cize, ONF, CRPF, société Agour, etc.). L’objectif : relancer une dynamique forestière locale, soutenir le développement économique, préserver les paysages, et contribuer à la lutte contre le changement climatique à travers une gestion plus durable et rationnelle des forêts. Dans ce territoire historiquement marqué par l’exploitation de la forêt d’Iraty, Sugarai s’est rapidement affirmée comme un outil de structuration de la filière bois-énergie.
En dix ans, la coopérative a ainsi mis en place une filière de production d’énergie renouvelable fondée sur la valorisation de ressources locales : près de 1 500 stères de bois bûche et 1 000 tonnes de plaquettes forestières sont produites chaque année à partir du bois issu des massifs d’Iraty et des forêts environnantes.
Une ambition territoriale fondée sur la gestion durable des forêts
Dès l’origine, Sugarai s’est inscrite dans une démarche articulée autour de la souveraineté énergétique, des circuits courts et de la gestion durable des forêts. Ce modèle s’intègre pleinement à la stratégie de décarbonation portée par la Communauté d’Agglomération Pays Basque (CAPB). L’ensemble des volumes de bois exploités est certifié PEFC (Programme pan-européen de certification forestière), garantissant une exploitation responsable et renouvelable des ressources locales.
Face aux signes croissants de dégradation des massifs forestiers, la coopérative a élargi son intervention à des actions de reboisement et de reconstitution des forêts dégradées. Près de cinquante hectares ont ainsi été revalorisés, dans le cadre du premier projet français à bénéficier du label bas carbone.
Les plaquettes produites par Sugarai alimentent aujourd’hui plusieurs chaufferies collectives, notamment celles de la fromagerie d’Irati à Mendive et de Garazi, qui assure la fourniture de chaleur à des équipements publics essentiels tels qu’une piscine, une maison de retraite et une clinique. Le bois bûche, quant à lui, était destiné à un large public de particuliers du territoire.
Un modèle techniquement solide, mais économiquement fragilisé
Malgré les réussites techniques et l’utilité sociale et environnementale du projet, Sugarai fait aujourd’hui face à une réalité économique plus difficile. Si la production de plaquettes forestières connaît une dynamique positive, portée par une demande locale croissante, la filière bois bûche s’avère de plus en plus difficile à maintenir.
Produisant près de 1 500 stères par an pour une demande estimée à plus de 2 000 stères sur le territoire, la coopérative se heurte à une équation économique défavorable. L’exploitation du hêtre dans les zones escarpées d’Iraty, particulièrement complexe, engendre des coûts logistiques élevés. À cela s’ajoute un prix de vente au niveau local parmi les plus faibles de France, ce qui empêche d’atteindre l’équilibre financier.
Une réorientation stratégique : arrêt du bois bûche et recentrage sur la plaquette
Face à cette impasse, Sugarai a fait le choix d’interrompre la production de bois bûche. Cette décision, aussi difficile qu’inévitable, marque un recentrage stratégique sur une activité désormais viable et porteuse : la production de plaquettes forestières. Rentable, en croissance continue, et appelée à augmenter de plus de 40 % dans les trois prochaines années, cette filière constitue aujourd’hui le pilier central du modèle économique de la coopérative.
Il ne s’agit pas d’une fermeture ni d’un repli, mais d’une réorganisation stratégique destinée à maintenir les acquis et à ouvrir de nouvelles perspectives. La situation financière de Sugarai reste saine : les actifs de la SCIC demeurent supérieurs à son passif, ce qui lui offre une marge de manœuvre pour envisager l’avenir avec prudence, mais sans inquiétude immédiate.
Une gouvernance citoyenne à réinventer
Sugarai est gérée par une équipe de bénévoles particulièrement investis depuis sa création. Ce modèle de gouvernance citoyenne, emblématique des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), a permis à la structure de porter un projet innovant, en lien étroit avec les collectivités locales et les acteurs du territoire. Mais après dix ans d’engagement, ce fonctionnement montre ses limites. Il devient de plus en plus complexe de gérer une activité aussi technique, structurante et exigeante sans ressources humaines permanentes. L’essoufflement du modèle bénévole rend nécessaire une évolution du mode de gestion. Plusieurs pistes sont actuellement étudiées pour passer à une gouvernance professionnelle, avec l’appui d’acteurs qualifiés du secteur.
Une filière locale à préserver, pour une énergie durable et résiliente
La trajectoire de Sugarai illustre les potentialités et les fragilités d’un modèle local fondé sur la valorisation durable des ressources forestières. Elle met en lumière la nécessité de mieux prendre en compte les réalités de l’exploitation en zone de montagne, où les conditions d’accès rendent les chantiers plus complexes, plus longs à organiser, et nettement plus coûteux que dans les plaines.
À l’heure où les politiques publiques encouragent la relocalisation énergétique, la réduction de la dépendance aux énergies fossiles et la promotion des circuits courts, il devient impératif de sécuriser économiquement ces dispositifs exemplaires. Le maintien et le développement d’une filière forêt-bois locale, durable et résiliente, reposent sur un appui politique renforcé, cohérent avec les ambitions affichées en matière de transition énergétique.
Le soutien aux structures telles que Sugarai doit désormais s’inscrire dans les politiques territoriales, à travers des dispositifs adaptés : tarification tenant compte des surcoûts de production, contractualisation pluriannuelle pour sécuriser les investissements, accompagnement spécifique à l’exploitation en milieu difficile, et intégration de ces enjeux dans les démarches d’aménagement durable du territoire.
C’est à ce prix que pourront être pérennisés les acquis de la filière bois-énergie du Pays Basque intérieur, et consolidés les engagements locaux en faveur d’un avenir énergétique plus sobre, plus solidaire et plus enraciné dans les ressources du territoire.