24/05/2025
Lettre ouverte aux députés en vue du vote sur la loi pour l'aide à mourir, à diffuser sans modération
Marie Curis
21 Allée JB Lulli
78180 Montigny le bretonneux
A Montigny, le 24 mai 2025
Chers députés,
Soyez vraiment bénis de défendre la vie ! Tenez bon !
Comme beaucoup j'ai été touché par le livre d'Anne-Dauphine Jullliand, Deux petits pas sur le sable mouillé sorti en 2011. L'auteur parle de son bonheur qui explose à la découverte puis l'annonce de la maladie dégénérative de leur petite fille qui n'a plus que quelques mois à vivre. Elle lui fait une promesse : "Tu vas avoir une belle vie. Pas une vie comme les autres, mais une vie dont tu pourras être fière. Et où tu ne manqueras jamais d'amour." Cette promesse si belle, elle est pour tous !
2011, c'est aussi l'obtention de mon diplôme d'état de psychomotricienne. Quand j'ai découvert ce livre témoignage, j'étais en dernière année d'école, en stage hebdomadaire à l'hôpital national Saint-Maurice auprès d'enfants atteints de paralysie cérébrale et dans un institut d'éducation motrice à Marne-la-coquette. Ces stages m'ont énormément apporté sur le plan humain et j'ai choisi comme mémoire de fin d'étude Comment accompagner l'enfant polyhandicapé dans sa normalité ? « Qu’est-ce qu’un handicapé ? Celui qui te fait croire que tu es normal... » (Simone Korff-Sausse).
« En fin de deuxième année, j’ai effectué mon premier stage auprès d’une population polyhandicapée, en Maison d’Accueil Spécialisée. J’y ai retrouvé cette joie de vivre et cette capacité à m’adapter et à être totalement disponible pour l’autre démuni, recevant beaucoup à son contact. »
« Ce sont des enfants avant tout, des enfants parmi les autres. Je reconnais dans leurs besoins, leurs désirs et leurs capacités, une ressemblance, une identité commune. Afin de les accompagner dans leur normalité, dans ce qu’ils ont de normal, il faut d’abord reconnaître leur valeur. Nos regards doivent les encourager, voir au-delà de leur handicap et les faire vivre. Il faut ensuite établir une communication, nous adapter à leurs possibilités.
La complémentarité de l’équipe est alors fondamentale. Chacun des professionnels et des parents peut recevoir de l’expérience des autres, et, dans l’échange, se rassurer de ses peurs.
Ces enfants mettent une lumière sur nos vies. Ils nous révèlent à nous-mêmes. Nous nous découvrons d’abord des peurs et des failles, puis une capacité à donner le meilleur de nous-mêmes. Quand le bien-être de l’enfant est au centre de nos préoccupations, la prise en charge prend sens. L’on voit alors les progrès, même infimes de l’enfant et l’on se réjouit de le voir développer ses potentialités. Ces enfants nous apprennent aussi beaucoup sur l’humanité et la normalité. Ils nous questionnent et font ressortir en nous des talents inestimés pour mieux les accompagner. Ils nous invitent à nous adapter, à aller plus loin, à mieux nous connaître, mais surtout à devenir de plus en plus psychomotriciens. »
Anne-Dauphine a continué de témoigner, de rayonner, de publier d'autres livres tous aussi magnifiques les uns que les autres. En 2017, elle a réalisé un film touchant Et les mistrals gagnants, hymne à la vie dans sa fragilité. Ce film documentaire montre à hauteur d'enfant des moments vécus par Ambre, Camille, Charles, Imad et Tugdual, des enfants de cinq ans et demi à neuf ans, malades depuis longtemps. Ils ont des pathologies différentes et résident dans cinq endroits de France différents. En portraits croisés, se découvre leur quotidien, avec leurs jeux, leurs joies, leurs rêves, les soins nécessités par leur pathologie. Faisant preuve d'une grande maturité et de lucidité face à leur maladie, ils vivent dans l’instant présent avec intensité, capables de passer sans transition du rire aux larmes, montrant que la maladie n'empêche pas d'être heureux.
L'on écoute plus jamais pareil la chanson éponyme de Renaud : « Entendre ton rire qui désarme les murs et guérit les blessures... Regarder la vie tant qu'y en a. Te raconter qu'enfin il faut aimer la vie et l'aimer même si, le temps est assassin et emporte le rire des enfants. »
Comment un aidant peut rayonner et choisir de rajouter de la vie aux jours, quand on ne peut rajouter des jours à la vie ?
En 2013 je suis devenu maman. L'accouchement de 49 heures terminé par une césarienne a été une grande souffrance physique et psychique. Dans ma dépression et ma difficulté à sentir mon amour pour mon enfant, j'ai rencontré une maman, Michèle. Elle était en deuil mais rayonnait et cela m'a interpellé : elle venait de perdre leur deuxième enfant d'un cancer et elle était plus joyeuse que moi !
« Il y a tout ce que l'on ne contrôle pas, comme donner de l'amour sans raison, être libre au fond d'une prison, le courage de demander pardon, c'est beau mais ça ne s'explique pas. La vie reprend, la vie redonne quand on ne l'attend pas. Et même la somme de tous les hommes ne pourrait changer ça. Comme la nature quand elle reprend ses droits, la blessure quand elle devient la foi, le murmure quand il devient la voix quand on ne l'attendait pas. On devrait ressentir, laisser passer nos pensées, ne pas être pressé. On n'éteindra jamais le soleil mais il arrive qu'on perdre l'étincelle. Alors si un jour je ne m'émerveille plus, rappelle moi combien j'y ai cru » (la vie des Frangines)
Oui, la vie reprend, la vie redonne. Aujourd'hui, mon grand a 10 ans, je l'aime et je suis épanouie dans ma maternité avec 5 enfants désirés et suis même au foyer pour vivre chaque instant avec eux malgré un métier que j'aime et des projets quand ce sera le bon moment.
Peut-on vivre intensément quand on accompagne la souffrance ou traversons la mort ? Comment peut-on trouver la force de se lever chaque matin pour s'occuper d'un proche malade ou mourrant ? Comment continuer à vivre alors que l'on a peur qu'il parte et que l'on ne sait quelle saveur pourra bien avoir la vie à son départ ? Comment être là quand l'autre n'est plus que présence ? Comment tenir face à ses angoisses de mort ? Comment ne pas lui transmettre les nôtres ?
J'ai touché du doigt la réponse quand mon 5ème enfant, Jeanne a été gravement malade en septembre 2022.
Elle avait 6 mois et demi. J'ai senti que c'était très grave et suis allée consulter aux urgences de Versailles. Le chef de service des urgences pédiatriques a confirmé mon intuition : Jeanne souffrait d'un syndrome hémolytique et urémique SHU. Une bactérie, l'E-Coli s'était introduit dans son alimentation et pouvait ressortir en atteignant n'importe quel organe vital : « Jeanne est en double insuffisance rénale. Ses globules rouges descendent et vont continuer à le faire pendant plusieurs jours. Elle aura probablement des transfusions et peut-être une dialyse. Tous les organes vitaux peuvent être atteints. Cela va durer minimum 7 jours d'hospitalisation en néphrologie à Robert Debré. » Notre hospitalisation mère-enfant aura duré 10 jours avec 2 transfusions et une équipe extraordinaire d'humanité et de compétence.
Soit je m'effondrais, soit je vivais intensément chaque seconde me disant que c'était peut-être la dernière partagée avec ma fille. Je n'ai pas beaucoup dormi pendant ces 10 jours, entre les écrans lumineux avec leurs oscillations de vie, les bruits de couloir, de chariots, les prises de constantes, l'inquiétude… mais j'ai reçu une force de vie incroyable pour tenir par amour et choisir de décider que tout était grâce et que quoi qu'il se passe, ce serait bien et que je serai là.
Voici le texte que j'ai écrit pendant les jours critiques où on ne pouvait pas encore dire qu'elle était hors de danger :
« Robert Debré, 22 et 25 septembre 2022
Après une nuit d'hospitalisation pour le syndrome hémolytique et urémique de Jeanne, je réalise que ce qui m'a empêché de dormir, en plus de l'inquiétude (une phrase comme au fer rouge : « tous les organes vitaux peuvent être atteints »), ce sont tous les écrans indiquant les constantes vitales de Jeanne -tension, fréquence cardiaque, saturation et fréquence respiratoire. Et au petit matin me vient cette pensée :
Toute cette lumière, c'est la vie.
Grâce de voir toutes les étoiles dans la nuit. C'est la grâce de la tempête. Alors que tout semble disparaître, je m'accroche avec confiance et espérance à ce qui est à portée de mains et d'yeux pour qui sait saisir et voir.
Grâce de l'émerveillement, grâce de la vie !
Quelle chance d'être vivant !
Pourquoi tout me paraît facile quand tout est si difficile ? Car la vie me réapparaît dans toute sa beauté, dans sa fragilité.
Je peux faillir mais Dieu me porte et m'emporte. Son Esprit Saint m'emmène toujours plus loin sur le chemin de la vie.
Chaque jour, des trésors me sont offerts et je les apprécie plus quand je crains de les perdre. Comme une nappe qui est tirée, je réalise qu'il y a urgence à la saisir et la garder, à contempler et savourer tout ce qui est dessus.
Je rends grâce car la vie est don. La paix est don.
Émerveillement, cueillir la vie, accueillir et vivre pleinement ce temps qui bientôt ne sera plus.
Il n'y a plus de temps pour des regrets, pour ressasser, traînasser. Vis car la vie, c'est maintenant. Bats toi pour la vivre. Elle a tant à te donner.
Ma petite Jeanne est mon école de grâces :
celle de voir, de regarder vraiment avec présence et attention,
celle de disponibilité avec des oreilles qui écoutent et prêtent attention à tout,
celle de mettre tout en bouche, tout savourer, tout digérer,
celle de rire et sourire,
celle de sentir ce qui est bon et vaut la peine d'être goûté,
celle de croquer dès que possible la vie à pleine dents,
celle de l'émerveillement de tout petits riens,
celle de tout prendre à bras le corps, de faire confiance et d'embrasser,
celle de se mettre en mouvement sans plus attendre,
celle de repousser les obstacles et persévérer toujours,
celle d'aimer, se laisser aimer et faire confiance en toutes ses compétences propres et en tous ceux qui nous entourent et particulièrement en Dieu dont les bienfaits et les promesses ne peuvent se compter. »
Jeanne a aujourd'hui 3 ans et une force de vie incroyable ! Elle est suivie à vie en néphrologie, avec un contrôle, désormais annuel.
Mon expérience est celle partagée par beaucoup d'aidants. Oui, c'est dur d'être aidant, de voir son proche souffrir et ne pas pouvoir le soulager, d'avoir peur qu'il meurt. Mais nous ne sommes pas seuls. Parfois il y a des équipes merveilleuses, toujours des associations extraordinaires qui sont là, en plus de la famille et des amis sur lesquels on peut compter et la foi pour certains.
Ce qui ne tue pas rend fort. C'est dans la faiblesse que je suis fort. C'est dans la faiblesse que je me découvre des capacités insoupçonnées de présence, d'amour, de don de soi pour être pleinement avec celui que j'aime et qui est encore là même s'il est souffrant, diminué, absent, mourant. C'est toujours le même, ce proche aimé et aimable. Quand il ne reste plus rien, il y a toujours l'amour, un regard, un sourire, une présence.
La semaine dernière, j'ai accompagné ma grand-mère pour installer mon grand-père de 90 ans qui n'arrivait plus à respirer sans oxygène. J'ai tu mes besoins pour être là où l'on m'attendait et donner de la joie. Quelle joie de voir le sourire de mon grand-père et de ma grand-mère soutenue dans son aidance ! La vie était fragile mais elle était là. Et mon grand-père, contre tout avis médical est revenu chez lui, en quelques jours, sans oxygène. Heureusement que l'oxygène lui a été donné car il vit toujours et est en bonne santé aujourd'hui !
Quel dommage ce serait de ne pas donner l'occasion de vivre si intensément l'accompagnement de son proche ! Quel dommage ce serait de couper le fil de la vie même s'il s'amenuise ! Quel dommage ce serait de louper cette intensité des derniers instants, ces réconciliations, pardons et beaux moments partagés! Il y a toujours des trésors pour qui sait les saisir et les voir. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.
Alors pourquoi vouloir tuer la vie ? Pourquoi vouloir tuer l'espoir ?
En 2023, j'ai rencontré Caroline Brandicourt, cette femme extraordinaire, atteinte d'une maladie neurodégénérative, qui a fait le défi fou de faire 1000km de vélo pour faire connaître les soins palliatifs dans les 21 départements qui en sont dépourvus ! J'ai pédalé 11 km dans Paris, pour la vie, à ses côtés.
Ce que je retiens de cette rencontre :
-sa présence, son écoute, sa confiance,
-son image partagée dans l'intimité de notre échange : 2 bœufs sont sous le même joug. Tant que le jeune bœuf se débat, il souffre. Le vieux bœuf lui confie : "oui c'est difficile mais arrête de te débattre, appuie toi sur moi". Et alors, le joug devient plus léger.
N'est-ce pas une belle leçon de vie quelle que soit l'épreuve à traverser? Choisir d'accueillir la vie comme elle est, se laisser porter par son courant plutôt que résister rend les choses plus douces et sources de bien des grâces. Et en tant que soignants, proches, n'avons-nous pas envie d'être ce bœuf sur lequel l'on peut s'appuyer avec confiance et qui soulage rien que par sa présence stable et rassurante ?
-l'émotion sur son visage de notre arrivée quand elle retourne dans son fauteuil après ces km en vélo et est applaudie longuement
-et bien sûr sa conférence de presse devant le ministère de la santé:
"On vit à fond et heureux. On a envie de vivre. grâce aux autres on vit des moments fantastiques. La loi actuelle est bonne et suffisante. Promouvoir l'euthanasie, c'est ne pas tenir compte de la réalité. Toute la société choisit d'éliminer le souffrant au lieu d'éliminer la souffrance. Aider une personne à ne plus souffrir est vraiment gagner en humanité".
Les Frangines évoquent la douceur d'une présence dans leur chanson "Seras-tu là ?"
"Et je me sens si seule si loin de toi parfois. J'ai tant besoin de ta voix, tant besoin de tes bras. Seras-tu là à côté de moi ? Dans mes doutes et dans mes peurs. Dis est-ce que t'es toujours là ? Est-ce que tu pleures avec moi ? Et je me sens si seule … Tant de fois, je l'ai vu, tu m'as portée, comme on porte un secret".
Je vous souhaite de porter vos proches, vos soignés, d'être cette présence aimante, réconfortante, simplement là avec la vie et le vivant !
J'ai demandé à Caroline comment l'on pouvait se former en soins palliatifs. Et j'ai commencé en septembre 2024 à le faire avec Visitatio, voisins et soins. Car on ne le dit pas assez, il y a des solutions, il y a des aides, il y a des accompagnements possibles.
Si on se croit seul en tongs face à un everest à franchir (pour reprendre Anne-Dauphine), c'est décourageant.
Mais en vrai, il y a un guide, il y a un magasin d'équipement en bas et la cordée tout le long de la montée et parfois même de belles rencontres et des haltes où l'on trouve repas et repos. Alors pourquoi rester en bas et même creuser pour en finir plus vite avec cette vie si difficile ?
Prenons ce que la vie donne. Les cartes du jeu de la vie sont distribuées. Parfois la main semble mauvaise mais qui sait, peut-être en bluffant, on peut faire une partie extraordinaire et finir vainqueur ?
« Oui mes amis nous allons vivre, et vivre fort, intensément, à ne regarder que devant, vivre à plus de 100 000% en oubliant qu'on va mourir, vivre sans condition, vivre vraiment, sans 'peut-être', sans 'oui mais attend', vivre sans jamais subir, le regard fier, le courage et le cœur battant, nous relevant malgré le pire, sans perdre aucun moment, sans jamais perdre aucun moment, en se serrant, en s'embrassant à oublier qu'on va mourir, vivre sans regret et sans tourment. Oh mes amis nous allons vivre et vivre sans anesthésiant, vivre sans être de tous ces gens qui meurent bien avant de mourir, vivre toujours en se disant qu'à part l'amour rien n'est urgent. D'ici là nous allons vivre, à tout donner, à tout venant, car rien ne vaut que ces instant où l'on oublie qu'on va mourir. Oui mes amis nous allons vivre ! » (Grégoire, vivre)
Aujourd'hui s'offre le choix d'être la main tendue ou la mort tendue. Que choisirez-vous ?
Choisis donc la vie pour que toi et ta descendance vous viviez !
Marie Curis