27/08/2025
Il y a quelques années, j'ai écrit un petit traité sur l'emprise. Dès lors, Je me suis spécialisée dans la question de l’emprise, comprenant très tôt qu’elle serait l’enjeu majeur de notre époque. J’en ai fait mon cheval de bataille, car elle représente le combat essentiel de notre génération : celui de préserver la liberté intérieure et la dignité humaine. Dans cette perspective, un groupe thérapeutique consacré à l’emprise sera proposé cette année, dans le 03 à Arpheuilles St Priest, afin d’accompagner celles et ceux qui souhaitent comprendre, partager et surtout se libérer de ses mécanismes destructeurs.
- L’emprise : quand l’humain perd sa liberté intérieure
L’emprise psychologique ne se limite pas à une relation toxique ou à la domination d’un individu sur un autre. Elle est un mécanisme subtil, progressif et insidieux qui peut investir tous les espaces de nos vies.
Dans le couple ou la famille, elle s’exprime par la manipulation affective, le contrôle des pensées et des actes, jusqu’à réduire l’autre au silence et à l’impuissance. Dans le travail, elle se cache derrière la pression hiérarchique, la peur de perdre sa place ou l’obsession de la performance. Mais l’emprise s’élargit aussi à nos sociétés modernes : publicités qui dictent nos désirs, réseaux sociaux qui captent notre attention, modèles économiques qui nous poussent à consommer toujours plus.
Comme le soulignait Aldous Huxley : « La victime de la manipulation mentale ne sait pas qu’elle est une victime. Pour elle, les murs de sa prison sont invisibles et elle croit être libre. »
C’est toute la force de l’emprise : faire croire à celui qui la subit qu’il agit par choix, alors qu’il est déjà pris dans les filets d’un système de contrôle.
- L’emprise affective dans le couple
Dans la relation amoureuse, l’emprise s’installe souvent sous couvert d’amour. Elle commence par des attentions, puis se transforme en contrôle : critiques déguisées, isolement progressif, culpabilisation. La victime se sent responsable du bien-être de l’autre et en oublie le sien. Peu à peu, le couple n’est plus un espace de liberté, mais une cage invisible où l’un impose ses désirs, ses règles, son pouvoir.
La dépendance affective alimente ce cercle vicieux, où l’amour devient prétexte à domination et où le « nous » efface totalement le « je ».
- L’emprise parentale
Dans certaines familles, l’amour parental peut être détourné en outil de contrôle. Le parent, parfois inconsciemment, façonne l’enfant selon ses propres peurs, ses frustrations ou ses attentes, jusqu’à nier sa singularité. Il devient, tout au plus, une extension narcissique des parents : un objet gravitationnel, pour le moins déshumanisé.
L’enfant grandit alors avec la conviction qu’il doit plaire, obéir ou se conformer pour mériter l’affection. Il ira parfois jusqu'à se nier lui-même pour répondre à cette objectification. Cette emprise laisse des traces profondes : difficulté à poser des limites, peur du rejet, incapacité à s’affirmer.
Comme l’écrit Anne-Laure Buffet : « L’emprise exclut toute notion d’altérité, de bienveillance, de protection… L’individuation est presque impossible face à un parent qui se tient en embuscade. »
- L’emprise sexuelle et perverse
Certaines formes d’emprise sont particulièrement violentes et destructrices. Il s’agit de l’emprise sexuelle, qui peut se manifester par le harcèlement, le viol, la pédophilie ou l’inceste. Ces violences ne se limitent pas au corps : elles brisent l’esprit, l’âme qui est la part la plus noble de l’être humain, détruisant la confiance, la capacité à aimer et la dignité. L’emprise sexuelle exploite la vulnérabilité, manipule la dépendance et instaure un contrôle absolu : elle est souvent accompagnée de mensonges, chantages ou menaces, renforçant le sentiment d’isolement et de domination.
- L’emprise des technologies modernes
Aujourd’hui, l’emprise prend aussi la forme des technologies et des flux numériques. Internet, les réseaux sociaux, la pornographie, les jeux en ligne et les algorithmes de consommation créent une dépendance insidieuse. Ils captent l’attention, façonnent les désirs, et imposent des normes de comparaison qui abolissent la personnalité et l’unicité de chacun.
Ces flux constants « lobotomisent » la conscience, en substituant à la pensée critique une succession d’images, de stimulations et de réponses automatiques. L’individu devient dépendant d’« objets extérieurs » pour se sentir exister : likes, notifications, validations virtuelles. C’est l’un des visages contemporains les plus puissants de l’emprise, car il agit silencieusement, collectivement, et touche même ceux qui croient y échapper.
- Les miroirs du narcissisme
Les réseaux sociaux renforcent ce phénomène par les miroirs du narcissisme : chacun se met en scène - et met en scène le monde - dans une image idéalisée, perverse, exhibitionniste ou mensongère, comparée à celles des autres, offerte au voyeurisme, et se retrouve piégé dans une quête sans fin de reconnaissance. Ce miroir déformant devient une emprise psychique, où l’on ne vit plus pour être mais pour être vu.
- Le mensonge comme emprise absolue
Parmi toutes les formes d’emprise, le mensonge est peut-être la plus destructrice. Car c'est de là, que découle toute négation. Il faut commencer par nier quelque chose ou quelqu'un pour installer un mécanisme pervers, une emprise. Mentir, c’est voler le réel de l’autre. C’est enfermer une personne dans une illusion fabriquée, dans une folie orchestrée par celui qui falsifie la vérité et donc la réalité. Le mensonge installe une asymétrie radicale : l’un vit dans la toute-puissance, l’autre dans l’aveuglement et la dépendance. Cette manipulation radicale ne détruit pas seulement la confiance, elle anéantit le rapport au monde, car elle prive la victime de la possibilité d’habiter une réalité commune.
- Quand l’emprise devient destructrice
Elle fragilise l’identité, efface la confiance en soi et enferme l’individu dans la dépendance. À un certain stade, elle peut mener à une véritable aliénation psychique, où la personne perd la conscience de sa propre valeur et de son droit à l’autonomie. Elle mine insidieusement, vide de sa substance, bloque l'énergie vitale, ce qui peut mener au délitement de l'être sous emprise, la maladie, la folie et dans le pire des cas, la mort. Une fois le sujet mort psychiquement et spirituellement, la mort physique devient le point ultime de non retour.
- Rompre le cercle
Sortir de l’emprise suppose d’abord d’ouvrir les yeux : reconnaître que ce que l’on vit n’est pas normal, que cette voix intérieure qui dit « quelque chose cloche » mérite d’être écoutée.
C’est aussi réapprendre à penser par soi-même, à poser des limites, à se reconnecter à ses besoins fondamentaux. Cela demande parfois un accompagnement thérapeutique, mais aussi une réappropriation collective de ce que signifie vivre libre et humain dans un monde qui tente sans cesse de réduire notre singularité.
Conclusion : L’emprise comme négation du réel
Qu’elle soit affective, parentale, sexuelle, technologique ou sociale, l’emprise est toujours une même dynamique : elle nie la réalité et détruit la part la plus noble de l’être humain. Elle falsifie le monde tel qu’il est, elle déforme l’être tel qu’il est, annihile son âme et sa dignité. En ce sens, l’emprise n’est pas seulement un pouvoir exercé : c’est une négation profonde du réel - qu’il soit celui d’une relation, d’une société, ou d’un individu.
Natali Reic