
29/08/2025
Élevés sans punition
Quand mes enfants étaient petits et qu’une conservation lambda m’amenait à expliquer MA parentalité, au mieux, je recevais des regards sceptiques, au pire je retrouvais en face de moi une tripotée de Cassandres me prédisant les pires horreurs quand mes enfants seraient grands. Ainsi une cousine (sans enfant !) m’a un jour doctement expliqué, alors que je portais un de mes enfants, qu’il était primordial que je sorte de ma phase de fusion si je ne voulais pas en faire un ado dépendant et timoré. Un inconnu m’a prédit un enfant roi parce que j’écoutais les émotions de mon enfant qui venait de tomber et contrecarrait les habituels « c’est pas grave, ne pleure pas » qu’il lui assénait. Une amie m’a déclaré que tout ça, c’était bien joli, mais que si je ne faisais pas preuve de plus d’autorité rapidement, je ne m’en sortirais plus à l’adolescence et que je devais ds maintenant lui montrer qui faisait la loi. Des exemples de la sorte, j’imagine que tous les parents qui essaient d’accompagner leur enfant dans la bienveillance en ont. Et ces sombres perspectives, je les lis aujourd’hui souvent dans les sections commentaires des réseaux sociaux qui traitent de près ou de loin de la parentalité positive.
J’ai la chance d’être peu réceptive à ce genre de commentaires et cela n’a finalement pas impacté mon rôle de mère. Mais je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde alors je souhaitais vous partager la réaction que j’ai reçue ce matin d’une personne qui côtoie depuis quelques années mes grands ados dans le cadre de leurs activités extrascolaires et qui m’a envoyé ce petit message : «Vos fils sont adorables et si investis, c’est si rare de nos jours que je tenais à le préciser. » Ce type de retour, j’en ai très fréquemment de la part de leurs professeurs, des adultes qui les connaissent et qui les encadrent ponctuellement ou régulièrement. Ils sont décrits comme curieux, respectueux, attentifs, entreprenants, adorables, empathiques… bien loin des enfants rois et des adolescents violents et incontrôlables que l’on me prédisait. Et je connais plein de familles autour de moi qui relatent les mêmes faits : nos ados, anciens bébés portés, câlinés, cajolés, écoutés, vont bien et sont très appréciés des adultes qui les fréquentent. Alors évidemment, je ne suis pas en train de vous dire que la parentalité positive est une recette qui crée à coup sûr des adultes bienveillants. Je ne suis pas non plus en train de vous dire que mes enfants sont parfaits. Je veux juste pointer du doigt qu’il est possible d’accompagner des enfants sans violence et en dehors du système de punitions/récompenses vers une vie respectueuse d’autrui et de la société.
Les enfants en souffrance qui exprime un rejet de leur entourage et de la société ne sont pas des enfants qui manquent de punitions. Ce sont des enfants qui manquent de repères : soit parce qu’on ne leur a pas appris à respecter l’autre (mais alors on confond encore une fois parentalité positive et laxisme), soit parce que le monde qui leur est proposé ne leur donne tellement pas envie, qu’ils refusent de l’intégrer. La société occidentale a heureusement décidé depuis quelques temps de ne plus avoir recours à la terreur pour exister : elle autorise les enfants à avoir une opinion et à l’exprimer. Mais elle n’est pas prête à entendre celle-ci quand elle diverge des attentes établies et elle ne permet malheureusement pas à la majorité de ces/ses enfants de s’épanouir au quotidien. Voilà comment on en arrive à tout confondre et à rejeter la faute des incivilités grandissantes sur le soit-disant manque d’éducation des enfants. Il faudrait mieux les tenir, leur faire peur avec des règles strictes, les punir quand ils s’écartent du droit chemin... Alors que si nous ne parvenons pas à faire société, ce n’est pas à cause de l’écoute des émotions et de la loi anti-fessée, ce n’est pas parce que certains d’entre nous se mettent à la hauteur des enfants pour leur parler, ou parce qu’ils ont aboli le tristement célèbre « va dans ta chambre », c’est parce que nous peinons à donner à nos enfants envie de participer pleinement à un groupe auquel nous n’avons nous-même parfois plus tellement envie de prendre part. C’est parce que nous ne parvenons pas à leur laisser une place digne d’intérêt et à les protéger suffisamment de ce qui menace leur intégrité physique et morale.
Alors quand je reçois ce type de compliment sur mes enfants ou quand on me dit que j’ai fait du bon boulot, je m’imagine parfois leur mettre une étiquette : estampillés « élevé sans punition ni récompense », juste avec de l’amour, de la patience, des compromis et du temps, beaucoup de temps. Je ne suis pas certaine qu’ils apprécient mais je me dis que cela contribuerait à répandre la bonne parole : le problème, ce n’est pas la parentalité positive, bien au contraire, c’est même une des solutions. Le problème, c’est tout ce qui est autour et qui enlise nos jeunes citoyens de manière imperceptible mais certaine: les heures interminables passées à l’école, le manque de reconnaissance, les réseaux sociaux et les écrans, la sédentarité, le harcèlement, l’avenir compliqué et effrayant que nous leur proposons, tout ce qui fait qu’aujourd’hui, le développement sans précédent de la détresse psychologique chez la jeunesse devrait conduire à une vraie prise de conscience gouvernementale et sociétale. Mais comme d’habitude, les vrais questions de fond passent à la trappe.