19/09/2025
đż Le silence qui coupe le lien : ghosting et valeur des relations
Dans nos vies, le silence nâest jamais neutre. Quâil vienne dâun patient, dâun ami ou dâune rencontre amoureuse, il bouscule.
Faut-il y voir un manque de respect, un Ă©vitement, ou le reflet dâun malaise plus profond dans notre maniĂšre de crĂ©er du lien ?
Plongeons ensemble dans cette réalité souvent passée sous silence : le ghosting.
En cabinet, il mâarrive dâenvoyer un message dâencouragement ou une relance bienveillante. Parfois, la rĂ©ponse ne vient pas. Ce silence interroge. Il pique, il déçoit, il peut mĂȘme blesser â surtout quand on sâinvestit humainement.
Exemple trĂšs simple :
« Bravo, cela fait une semaine que vous ĂȘtes non-fumeuse. FĂ©licitations, je suis lĂ si vous avez besoin. »
Et derriÚre⊠rien. Pas un « merci », pas un signe.
Alors, on sâinterroge : est-ce du dĂ©sintĂ©rĂȘt, de la gĂȘne, de la honte dâavoir craquĂ© ?
Avec le temps et lâobservation (des patients⊠et de nos vies personnelles), jâen suis venue Ă voir ce silence comme un phĂ©nomĂšne Ă plusieurs Ă©tages : individuel, relationnel et sociĂ©tal.
Ce que le silence dit⊠et ce quâil ne dit pas
Ce quâil ne dit pas forcĂ©ment : « je ne te respecte pas ».
Ce quâil dit souvent : jâai honte / je nâai pas tenu / je ne sais pas quoi rĂ©pondre / je fuis le conflit / je suis saturĂ©(e) / je nâarrive pas Ă me remettre en mouvement.
Parfois, câest un rĂ©flexe neurophysiologique : figement, Ă©vitement, Ă©conomie dâĂ©nergie. Le silence devient un symptĂŽme plus quâun message construit.
Le ghosting dans la sphĂšre amoureuse : quand le lien se consomme
On connaĂźt bien le ghosting sur les applications de rencontre : disparaĂźtre sans explication, du jour au lendemain.
Un exemple fréquent :
Vous Ă©changez depuis plusieurs jours avec quelquâun, les messages sont fluides, il/elle vous dit : « HĂąte de te voir bientĂŽt. »
Puis soudain⊠plus rien. Le profil est toujours là , mais aucun mot. Silence absolu.
Et vous restez avec vos questions : « Ai-je dit quelque chose de travers ? Ai-je dĂ©plu sans mâen rendre compte ? »
ScÚne incarnée :
Vous rouvrez lâapplication, vous rafraĂźchissez lâĂ©cran. Vous voyez « en ligne il y a 3 minutes », ou « message vu Ă 18h03 ». Votre cĆur bat plus vite, vous attendez⊠mais aucune rĂ©ponse. Le vide devient plus lourd que mille mots.
Pourquoi cette banalisation ?
Abondance de choix et dĂ©filement infini : quand il suffit dâun clic pour passer dâune personne Ă lâautre, lâautre devient interchangeable.
CoĂ»t de sortie quasi nul : fermer une conversation, câest un clic. Lâabsence dâexplication devient une option facile.
Communication asynchrone : sans prĂ©sence rĂ©elle, la responsabilitĂ© relationnelle sâamenuise.
Illettrisme Ă©motionnel : dire « non », nommer son inconfort, supporter la gĂȘne⊠ce sont des compĂ©tences qui sâenseignent peu.
Fatigue psychique : surcharge cognitive, anxiĂ©tĂ©, burn-out attentionnel â on coupe lĂ oĂč câest le plus simple.
Résultat : le lien se traite comme un produit. On « prend tant que ça apporte », puis on passe à autre chose. Non pas toujours par malveillance, mais parce que nos outils et nos habitudes sociales rendent cette sortie silencieuse terriblement facile⊠et, petit à petit, normale.
Lâimpact pour celui/celle qui reçoit le silence :
DĂ©stabilisation (pas dâexplication = pas de sens),
auto-accusation (« quâest-ce que jâai fait de mal ? »),
micro-atteinte Ă lâestime (« je ne vaux pas une rĂ©ponse ? »),
et parfois une douleur de rupture sans rituel de fin, donc sans réparation.
Exemple quotidien que beaucoup ont connu :
Vous envoyez un long message à une amie pour prendre de ses nouvelles. Vous voyez « lu » en dessous⊠mais aucune réponse.
Ce silence pĂšse parfois bien plus quâune rĂ©ponse maladroite.
Le plus violent nâest pas le « non », câest lâabsence de clĂŽture.
Pourquoi certains ghostent (sans sâen vanter)
-Ăvitement du conflit et peur de dĂ©plaire,
-honte (je nâai pas tenu ma parole, jâai peur dâĂȘtre jugĂ©),
-immaturitĂ© relationnelle : on nâa pas appris Ă dire « merci, mais non »,
-surcharge : on remet à plus t**d⊠puis on disparaßt,
-figement : quand le systÚme nerveux se fige, le geste le plus simple (répondre) devient disproportionné.
Comprendre nâest pas excuser. Mais comprendre aide Ă ne pas se lâapproprier.
Réparer la valeur du lien : réhabiliter la petite clÎture
La clĂŽture relationnelle nâest pas une thĂšse de doctorat. Câest souvent un petit geste :
un merci,
un non clair et respectueux,
un « je mâarrĂȘte ici »,
un « jâai besoin de temps ».
Ces micro-rituels restaurent la valeur : ils disent « je te vois », mĂȘme si je nâavance plus avec toi.
Si vous recevez le silence (piste de régulation)
Prendre soin de son systĂšme nerveux : respiration, marche, pause Ă©crans â garder la tĂȘte hors de lâeau avant dâinterprĂ©ter.
VĂ©rifier la rĂ©alitĂ© : bug, changement de numĂ©ro, pĂ©riode chargĂ©e ? Ăviter les scĂ©narios-catastrophes automatiques.
Envoyer un seul message clair (si le lien compte) :
« Je prends de tes nouvelles. Si je nâai pas de rĂ©ponse dâici [date], je comprendrai que tu prĂ©fĂšres arrĂȘter lĂ . Prends soin de toi. »
Donner une porte et une date. Puis tenir parole.
Se dĂ©sengager sans se dĂ©nigrer : le silence de lâautre nâest pas la mesure de votre valeur.
Si vous vous surprenez à ghoster (piste de responsabilité douce)
Un mini-script suffit :
« Merci pour nos Ă©changes. De mon cĂŽtĂ© je nâai pas lâĂ©lan de poursuivre. Je te souhaite le meilleur. »
Ou, en contexte pro :
« Je mets le suivi en pause pour lâinstant. Si jâai besoin plus t**d, je reviendrai vers vous. Merci. »
Ce nâest pas confortable⊠mais câest respectueux et libĂ©rant pour tout le monde.
Et dans lâaccompagnement thĂ©rapeutique ?
Pour les soignants et praticiens (moi comprise), quelques repĂšres mâaident :
Cadre explicite dÚs le départ : « Je peux envoyer une relance. Sans réponse, je considérerai que vous reprenez quand vous voudrez. »
Une relance maximum, claire et sans moraliser ; puis laisser la porte ouverte.
Messages modĂšles prĂȘts Ă lâemploi (gagnent du temps & protĂšgent lâaffect).
HygiĂšne personnelle : ne pas confondre qualitĂ© de prĂ©sence et obligation de rĂ©ciprocitĂ©. Garder son Ă©nergie pour ceux qui sâengagent.
Le fond de lâhistoire : revaloriser la relation
Le ghosting ne se résout pas avec un hashtag. Il nous pose une question de culture du lien :
apprendre Ă dire non sans humilier,
oser la clĂŽture sans dramatiser,
remettre de la valeur dans les petits gestes (répondre, remercier, informer).
Câest simple⊠et câest profond.
đŹ Et vous, quâen pensez-vous ?
Avez-vous dĂ©jĂ Ă©tĂ© « ghostĂ©(e) » ? Comment lâavez-vous vĂ©cu ?
Vous est-il arrivĂ© de « ghoster » quelquâun ? Quâest-ce qui vous a retenu dâĂ©crire une clĂŽture ?
Que mettriez-vous en place, à votre échelle, pour redonner de la valeur au lien (perso ou pro) ?
Partagez vos expériences, vos phrases-ressources, vos rituels de clÎture.
Plus on met des mots, moins le silence fait mal. đż
âš RĂ©pondre, mĂȘme en une phrase, câest parfois peu⊠mais câest immense pour lâautre.
Câest dire : « Je tâai entendu, je tâai vu, je te respecte. »
Et si nous rĂ©apprenions ensemble Ă redonner de la valeur Ă ces petits gestes, peut-ĂȘtre que nos liens gagneraient en profondeur et en humanitĂ©.
Sandrine Gourdy đș